L'École Primaire comme je voulais la raconter
Ci-dessous un petit guide que j'ai envoyé à déjà plus de 280 collègues de CE1 et plus lorsqu'ils se trouvaient confrontés à des élèves non-lecteurs.Il me semble plus simple de le diffuser via ce blog que de continuer à le faire parvenir aux uns et aux autres au coup par coup.
L'utilisation est simple : page après page, pendant 10 à 15 minutes par demi-journée, à la vitesse dont les élèves sont capables. S'ils sont lents, ils ne liront qu'une page ou deux par séance et absorberont ici peu mais bien ce qu'ils ne connaissaient pas, s'ils sont plus rapides, c'est qu'ils réviseront, en se rassurant et en se réassurant, des graphies déjà connues et avanceront alors à raison de 5 ou 6 pages par session, dialogues explicatifs compris.
Le mieux est de retranscrire les pages au tableau et de les faire lire, soit en chœur (jeu du micro), soit un élément de la page chacun son tour (lecture en cascade), en ne faisant jamais relire plus de deux ou trois fois la même page (après, pour la plupart, c'est de la récitation).
Quand l'attention se dilue, on change d'activité : ils sortent les ardoises et la page suivante est dictée élément par élément (procédé La Martinière) et vérifiée en direct. Bien entendu, quand il s'agit de mots comportant des lettres muettes (chat), des accents qui ne s'entendent pas (fâché, à), des consonnes doubles, des majuscules, ces éléments sont donnés aux enfants afin qu'ils écrivent d'emblée, sans faute, les mots avec leur orthographe réelle.
On peut écrire au fur et à mesure au tableau les éléments qui ont déjà été dictés et, en fin de dictée, faire relire tous les éléments, dans le désordre, en privilégiant le décodage et non le par cœur,
Attention, ceci est un outil d'apprentissage graphémique de l'écriture-lecture, il ne remplacera pas un manuel d'étude de la langue. Il peut, temporairement, remplacer la lecture sur un manuel ou un album de compréhension de texte. Il peut et il doit. Il faut pour cela beaucoup dialoguer avec les enfants sur le sens de ce qu'ils lisent :
1) sens lexical des mots,
2) sens grammatical intuitif des mots-outils et des terminaisons :Par exemple, pour "et" en première page : « On dit Tom et Nathan, quand on veut parler des deux en même temps ; c'est Tom et puis Nathan. C'est la même chose pour Benoît et Angèle, puis pour Taïlan et Mathis... »
Ou encore, en page 9 : « Quand le verbe est conjugué avec je, il se termine par e... quand il est conjugué avec tu, il se termine par es... quand il est conjugué avec il, c'est de nouveau la terminaison e."
3) le sens général de la phrase puis du petit texte qu'on décode tous ensemble.
Reprendre les conseils ci-dessus, sans passer par le travail collectif au tableau. Mettre les quatre à cinq élèves ensemble autour d'une table, un livret à la main chacun et opter, comme ci-dessus, pour la lecture en chœur ou pour la lecture en cascade. Travailler d'autant plus la compréhension qu'il s'agit d'élèves dont on a coutume de dire qu'ils « n'ont pas eu le déclic ».
S'il s'agit d'un seul enfant en souffrance dans une classe d'enfants tous au moins lecteurs lents, il faut savoir quelle est la nature du problème.
Est-ce un enfant en difficulté intellectuelle? un enfant-roi habitué à ce que tout cède devant lui et incapable de fournir un effort ? un enfant hyperactif handicapé par les nombreuses sollicitations auditives, visuelles, kinesthésiques, olfactives qui papillonnent autour de lui dans une classe, même si elle ne comporte que 12 élèves ?
→ Si c'est le premier cas, les Alphas, utilisés en parallèle du Borel Maisonny (tome 1, si celui-ci va trop vite) peuvent l'aider à s'intéresser et mémoriser ces informations trop abstraites pour lui. Cependant, il ne faut pas se voiler la face : si l'immaturité globale de l'enfant pousse à le comparer à un enfant de moins de cinq ans, il y a quand même très peu de chances qu'il progresse suffisamment pour arriver à apprendre à lire et à écrire.
→ Si c'est le second, seule la fermeté pourrait selon moi avoir de l'effet. Sans celle des parents par derrière, je ne suis pas sûre que celle de l'enseignant suffise. À moins que vous ne réussissiez à le séduire avant qu'il ait réussi à faire de vous sa « chose », comme il fait habituellement. Mais, ne nous leurrons pas, c'est le cas le plus difficile car, de la séduction à l'esclavage, il n'y a qu'un pas.
→ Si c'est le troisième, la solution serait l'AVS qui reste près de lui et fait écran entre tous ces parasites et lui, à condition que ce soit quelqu'un de très calme et de très empathique. Ou l'orthophoniste, en extra-scolaire. Ou encore les APC, tous les jours, jusqu'à ce qu'il sache lire...
Pas simple...
Attention au pire de nos ennemis à cette époque de l'apprentissage : LE PAR CŒUR !
Ce « par cœur », souvent assimilé à une aide à l'automatisation, trompe les élèves sur le travail à entreprendre : il s'agit d'habituer l'œil à associer un à un, deux par deux, trois par trois, etc., les signes graphiques. Et les habitudes, ça vient lentement... c'est comme ça. Surtout quand on sort de 6 à 7 années de vie où l'oreille et la bouche fonctionnaient très bien ensemble, sans effectuer ce détour visuel appuyé qui fait perdre un temps fou.
C'est pourquoi il faut bannir les exercices de fluence tant qu'on redoute qu'ils provoquent chez les élèves ce réflexe qui semble les sauver en leur permettant des performances chronométrées bien supérieures à celles de leurs camarades qui font un détour par le décodage précis d'éléments visuels.
Autoriser le décodage un à un, tout en aidant pour que cela ne traîne pas trop, c'est permettre au réflexe de s'installer et de s'automatiser. N'hésitez pas à rappeler le son de la lettre s'il est oublié, en vous accompagnant du geste Borel Maisonny ou/et du personnage des Alphas.
Laissez-le syllaber tant qu'il en aura besoin tout en le poussant à aller toujours un petit peu plus vite.
Aidez aussi à redire le mot un peu plus vite, en suivant du doigt et en anticipant le son que l'enfant va produire de quelques dixièmes de seconde.
Aidez enfin à redire la phrase un peu plus vite, mot à mot, sans jamais exiger une « fausse lecture liée » qui est en fait de la récitation pendant laquelle les yeux font ce qu'ils veulent...
Et n'oubliez pas : les progrès seront d'autant plus rapides que les élèves sentiront que vous vous attachez à ce qu'ils comprennent ce qu'ils lisent, même si c'est très simple. Donc :
→ pas trop de syllabes à décoder ou à coder, sauf les tout premiers jours
→ beaucoup de mots qu'on explique même s'ils sont très simples ( « fâché... Qui peut être fâché ? Pourquoi sommes-nous fâchés parfois ?... un chat... Qui a un chat ? Comment s'appelle-t-il ?... il chasse... Qui peut chasser ? Comment ? Quelles sont ses armes de chasse ?... il sèche... De quoi peut-il s'agir ?... Pourquoi ça ne peut pas être la serviette ou la nappe ?...)
→ de plus en plus de phrases qui racontent quelque chose et sur lesquelles on peut imaginer un implicite.
On complètera ce travail au niveau de la compréhension par des lectures offertes nombreuses sur lesquelles on dialoguera aussi, selon le principe développé par Pierre Péroz dans ses conférences sur l'écoute en maternelle.
Attention aux manuels de CP ou de CE1 qui proposent une version très restrictive de la compréhension, compétence par compétence. Si ce système fonctionnait, depuis le temps qu'il est utilisé très majoritairement dans les classes d'élémentaire, il y a longtemps que les élèves français réussiraient les tests de compréhension de textes de PISA. Or, ce n'est pas le cas...
Préférez la compréhension au fil des textes, tous azimuts, pour le plaisir de savoir comprendre les pensées des personnages, suivre le fil d'une intrigue, donner un sens en utilisant le contexte, raisonner sur les causes des actions, etc.
Il est aussi très important, si l'on veut aider les élèves à réellement combler leur retard, de commencer l'étude de la langue, à l'oral et à l'écrit, avec le matériau graphémique dont ils disposent.
Choisissez une méthode ascendante plutôt que descendante, c'est-à-dire une méthode qui part des mots plutôt que des textes ou de la phrase, puisque, pour leur moment, leur vitesse de décodage leur permet de décoder des mots avant de décoder des phrases, et décoder des phrases avant de décoder un texte.
Cela permet, dès les premiers jours, de parler de noms, d'articles, de verbes et de les manipuler pour découvrir le genre et le nombre, la relation sujet-verbe, les temps de conjugaison.
Vous trouverez d'ailleurs dans ce manuel des pages entières consacrées à un fait grammatical traité sous le biais de la lecture et de l'écriture de régularités :
→ page 7 : noms masculins et féminins ; les articles un et une
→ page 9 : conjuguer un verbe au présent aux trois personnes du singulier ; la lettre S, marque de la 2e personne du singulier
→ page 13 : le verbe être au présent aux trois personnes du singulier
→ page 14 : des articles et des noms au singulier et au pluriel ; la lettre S, marque du pluriel des noms
→ page 15 : la troisième personne du pluriel des verbes du 1er groupe au présent
etc.
Cette progression n'empêche pas de déjà s'intéresser à la phrase puisqu'on en trouve plusieurs dès le début, présentées avec leur majuscule et leurs points. La présence de phrases interrogatives et exclamatives permettra, grâce à l'intonation orale et à l'explication collective de l'implicite, de dégager peu à peu ces notions et de commencer des manipulations orales visant à en fixer le sens.
Comme on trouve très vite des verbes au présent et au futur, puis grâce aux trois personnes du singulier du verbe être, des verbes au passé, on pourra aussi, grâce à l'explication collective de l'implicite fixer le sens, puis le lexique, de la variation en temps du verbe.
Il est inspiré de la progression Borel Maisonny dont il reprend certaines phrases, souvent complétées et arrangées, au milieu d'autres écrites pour la méthode. Cette progression a été largement condensée pour permettre à des élèves qui ont déjà des bases de réviser selon un rythme beaucoup plus rapide et d'ajouter à leurs connaissances en écriture-lecture les éléments d'une progression d'étude de la langue explicite.
On n'y trouvera pas les gestes à associer à chaque phonème mais ils sont faciles à trouver sur internet.
Les prénoms des premières pages peuvent être changés. On les remplacera par des prénoms d'élèves de la classe ou des prénoms déchiffrables dès les premières leçons (Sofia - Sacha - Zoé - Yves - Chérif - Izia - Léo - Lola - ...).
Nota bene : Les polices utilisées sont Calibri, pour l'écriture scripte et CrayonE et CrayonL pour l'écriture cursive.
Le problème de chevauchement des lettres, souvent signalé par des collègues, disparaît si on ouvre le document en passant par Adobe plutôt que par le logiciel « par défaut » proposé par Windows.
Télécharger « Non-lecteursCE1.pdf »
À la demande de certains collègues, je rajoute le fichier en version « aide aux élèves dyslexiques », avec caractères adaptés à leur trouble et syllabes colorées. Personnellement, il me fait « parpelèger », comme on dit en Provence, mais si cela peut aider certains élèves à accéder à la lecture courante, ne soyons pas « sectaires ».
Merci à Maëla L. pour son travail