L'École Primaire comme je voulais la raconter

Nombreux sont les collègues qui s'interrogent sur ce que sera la reprise, en septembre, pour ces ex-petits-CP qui n'auront eu que 6 mois et demi pour apprendre à lire au lieu des 10 réglementaires suivis de 5 mois et demi sans classe au lieu d'à peine 2 comme leurs aînés depuis toujours ou presque (avant, c'était 2 mois et demi).
Franchement, c'est compréhensible, et on peut imaginer qu'à part quelques cas, parents enseignants en Primaire ou ayant une vocation rentrée d'enseignants, le niveau de ces enfants-là n'aura rien à voir avec ce qui est notre lot habituel, du moins dans les écoles où la méthode d'apprentissage utilisée au CP garantit l'accès à la lecture encore lente mais déjà compréhensive à quasiment tous leurs élèves.
Cette année, selon le degré d'habileté des parents, et la durée du confinement imposé à leurs enfants, voici, sans avoir besoin pour cela d'organiser une grande campagne nationale d'évaluations, les différents degrés d'habileté auxquels nous pouvons nous attendre, du plus grave au plus bénin, histoire de finir sur une note d'espoir.
Les enfants, déjà en fragilité à l'aube du 17 mars, n'ont quasiment pas été instruits pendant les mois de confinement. Les conditions de reprise en mai, puis juin, n'ont pas permis un soutien appuyé en lecture, ils ne savent plus lire.
Même après quatre à huit jours de classe, période nécessaire à la réactivation des acquis antérieurs, c'est à peine s'ils reconnaissent quelques lettres et ils peinent énormément à en associer deux pour oraliser une ssss...yyyy... sssyyy.... sssy... sy...llll...aaaa... llla...sala....syli...sss...yyyy.... bref, vous avez compris !
Avec un peu de chances, puisqu'ils ont quand même quelques connaissances, et une plus grande maturité, vous allez pouvoir aller plus vite que si vous accueilliez des petits GS lambda d'à peine six ans, après trois ou quatre années d'école maternelle très peu tournée vers la préparation active et efficace à l'écriture-lecture.
Plutôt que de choisir un manuel de CP graphémique strict (comme Bien Lire et Aimer Lire, Calimots, Boscher, Piano, Léo et Léa, Je lis, j'écris, À moi de lire, Sami et Julie, Delille, etc.) qui apprendrait à vos élèves à lire mais à un rythme « Je suis au CP et j'ai jusqu'au mois de juin pour y arriver" et vous empêcherait de ce fait à entamer un CE1 normal avant le mois d'avril ou mai, je vous suggère d'utiliser pour eux le livret téléchargeable ici : CE1 : Non-lecteurs à la rentrée ?. Attention, les caractères utilisés dans ce livret sont Calibri et CrayonE.
En l'accompagnant ce livret d'exercices d'écriture quotidiens, il devrait vous permettre de retrouver un niveau "début de CE1" faible mais acceptable,en environ un trimestre.
La méthode exposée ici : CE1 : Du mot vers la phrase (1) , et qui sera complétée par les 4 autres périodes aussi vite que possible (comptez quelques mois quand même, j'ai plusieurs chantiers en route en même temps et une vie de famille, comme tout le monde) leur sera très adaptée puisqu'elle démarre à l'oral, et par le mot, unité qu'ils sauront très vite déchiffrer (dès le deuxième jour de classe) et qu'elle reste à ce niveau assez longtemps.
Vous pouvez par exemple, rester sur les première semaine (semaines 1 à 3) de la méthode Orthographe graphémique (1) aussi longtemps que leur niveau de lecture ne leur permettra pas d'accéder aux subtilités de la Semaine 4.
Quand ces bases des bases seront bien installées, vous pourrez faire quelques incursions dans le programme des jeudis et vendredis des semaines suivantes, en adaptant toutefois le lexique utilisé aux capacités de lectures de vos « miraculés ».
Quand le livret sera fini, vers la fin du mois de décembre ou le début du mois de janvier, vous pourrez ensuite passer directement au niveau 3 de ce plan d'attaque.
Au bout de quatre à huit jours de classe, vos élèves déchiffrent... quand ce n'est pas trop compliqué... « Papa... est ... allé... dans... la... co... cu... c...o et u, ça fait quoi déjà ?... Ah ! D'accord... Papa... est... allé...dans...la... cou... cour. Papa est allé dans la cour. Papa... a... lavé... la... », ça, ça va... mais là, ça se corse : « ca...mi... on... la... camion... euh... ca... mi... o... nnet... cami-onnet... cami... cami... », !
Et si c'est la « vo... vi... vio... tu... vo...tu... » qu'il a lavée, c'est pareil, malgré nos rappels appuyés : « O et I, ça se prononce [wa] » qui les aident ponctuellement mais qui, additionnés aux « A et I, ça se prononce [ɛ] », « A et N, ça se prononce [ɑ̃] » et autres « O, I et N, ça fait [wɛ̃] », etc., cela fait trop et ils ne s'en sortent pas.
Ce sont des enfants qui, du fait de l'absence de stimulation pendant ces derniers 5 mois et demi, sont retournés aux bases qu'ils avaient vers le mois de novembre ou de décembre du CP.
C'est-à-dire grosso modo à la fin de la première moitié d'une méthode de lecture CP, si celle-ci est graphémique (voir liste ci-dessus, à laquelle on peut ajouter Bulle, Écrire et Lire au CP, et autres méthodes introduisant code et compréhension tout de suite pour arriver le plus rapidement possible aux textes entièrement décodables).
Sinon, on peut s'orienter vers le deuxième cahier À coup sûr, chez Istra, par exemple, ou vers les périodes 3, 4 et 5 de la Méthode de lecture "Nino et Ana", ou encore le livret 2 de Écrire et Lire au CP.
Les trois semaines de mise en route d'Orthographe graphémique (1) seront les bienvenues pour relancer des réflexes oubliés depuis longtemps mais, normalement, il ne devrait pas y avoir besoin de plus pour attaquer le vif du sujet avec la Semaine 4.
Quant à la grammaire-conjugaison, les remarques faites en 1. restent valables si l'on choisit d'utiliser Du mot vers la phrase : démarrage par le mot, possibilité de choisir les mots à étudier et analyser dans le registre des correspondances grapho-phonémiques connues.
À la fin du premier trimestre, l'apprentissage proprement dit de la lecture (les correspondances grapho-phonémiques, l'automatisation du décodage amenant la fluidité de lecture jusqu'à une lecture encore mot à mot) sera fini pour tous et vous pourrez, selon le niveau de langage de vos élèves passer à la phase 3 ou à la phase 4.
Au bout de quatre à huit jours de classe, le temps de se réhabituer aux choses scolaires, vos élèves ont tous au moins un débit de lecture orale encore un peu haché mais montrant une réelle compréhension de ce qu'ils lisent.
Ils arrivent à déchiffrer un texte inconnu simple, en décomposant en syllabes les mots peu fréquents, et peuvent à l'issue du décodage d'une phrase courte la redire presque sans s'interrompre après chaque mot.
De temps en temps, ils confondent encore un p avec un q, un d avec un b, oublient que ein se lit [ɛ̃] ou que [wa] s'écrit oi. Mais il suffit qu'ils arrivent à la fin du mot pour se rendre compte de leur erreur et se corriger presque spontanément. À peine faut-il de temps en temps leur dire : « Tu est sûr ? Un derger, qu'est-ce que c'est un derger ? » pour qu'automatiquement, ils rectifient leur erreur.
Seulement voilà, c'est encore lent... et fragile.
L'idée de les précipiter dans des phrases du type « D'une voiture, tomba un jour une grosse cruche qui roula jusque dans un champ. » ou « Un lièvre passe tout courant. » vous affole.
Vous avez peur d'en perdre quelques-uns, dépassés par ce vocabulaire, cette présentation classique, sans autre adaptation qu'une présentation aérée et des caractères choisis en fonction de critères de lisibilité élevés.

Première lecture dans Lecture et Expression au CE
Dans ce cas, peut-être vaut-il mieux ne pas commencer tout de suite le manuel Lecture et Expression au CE1, dont vous voyez la première page ci-dessus.
Cependant, vous pouvez commencer à travailler dans le même esprit, c'est-à-dire en liant intimement au cours de chaque séance toutes les compétences présentées dans le guide rouge afin qu'à elles toutes, elles transforment nos petits escaladeurs de tour imprenable en oiseaux qui volent de leurs propres ailes dans le monde merveilleux des livres...
Hélas, si ce type de manuel a longtemps existé – c'étaient des « premiers livres de lecture courante CP/CE1», chaque éditeur en proposait deux ou trois, souvent en lien avec les méthodes de lecture de CP, le dernier que je connais est celui-ci : En vacances, les copains de Résie Pouyanne) – il a disparu des catalogues des éditeurs quand, tout à coup, après un grand coup de balai dans le domaine de l'apprentissage de la lecture au CP, puis dans toute la lecture en école élémentaire, tous les manuels ont été soupçonnés d'écarter les enfants de la lecture au lieu de les y aider.
Pour le moment, le retour à l'apprentissage graphémique de la lecture étant très récent, l'ancienne offre éditoriale n'a pas été réactualisée et, si des manuels de CE1 commencent à sortir, ils sont plus dans l'imitation des manuels de CP que dans une voie médiane entre le « je ne sais pas lire du tout » des débuts de CP et le « je sais déjà lire de manière fluide, en comprenant les mots difficiles par le sens général de la phrase ou du paragraphe » des plus grands.
Pour pallier cette absence, je me suis permis d'en copier un, en prenant soin de vérifier qu'il n'était plus édité et qu'on ne pouvait le trouver que d'occasion. Je vous le livre ci-dessous. Vous verrez qu'il répond aux critères du livre rouge (d'après le sommaire) :
Consolidation des acquis en fluence :
- déchiffrage et compréhension
- correspondances graphèmes-phonèmes
- automatisation
- copie et dictée
- traitement des erreurs
Comprendre des textes :
- Travailler la compréhension à partir de textes lus par l'élève
Vous verrez aussi que sa progression (à raison d'un nouveau texte exploité tous les jours) est tout à fait compatible avec celle d'Orthographe graphémique (1) puisqu'elle propose en entraînement à l'automatisation du déchiffrage des correspondances graphèmes-phonèmes de :
→ Couper les mots en syllabes dans le Texte 1
→ Lire des consonnes doubles dans le Texte 2
→ Lire des mots simples dans les textes suivants
Vous verrez aussi que :
En vue de faciliter le passage à la lecture des yeux et, d'une façon générale, le déchiffrement (au cours duquel les yeux doivent prendre de l'avance sur la parole), [les auteurs ont] fait le choix d'une ligne courte (8 cm environ). Au surplus, aucun mot n'a été coupé.
[Les auteurs ont ainsi pensé que] les maîtres seront grandement intéressés par cette innovation qui simplifiera leurs efforts pour obtenir :
- soit une lecture à haute voix respectant les groupes rythmiques ;
- soit une lecture silencieuse de plus en plus aisée.
(Extrait de la Préface du manuel d'origine)
Télécharger « Livre des bêtes.pdf »
La lecture de ce manuel, à raison d'une double page par jour de classe, quatre jours par semaine, vous mènera environ à la douzième semaine de l'année scolaire, soit à peu près, à la fin du premier trimestre.
Il vous restera donc deux trimestres entiers pour embarquer vos élèves à bord de la fusée « Je lis comme un grand » et commencer le niveau 4 grâce au manuel Lecture et Expression au CE (y compris si on nous confine à nouveau, car ce livre est simple d'utilisation et qu'il vous suffira d'indiquer aux parents « Lecture : Comment le chien est devenu l'ennemi du chat (1) page 122, lundi : paragraphes 1 et 2 ; mardi : paragraphes 3 et 4 ; jeudi : relecture et Nous nous entraînons, page 123, à l'oral » pour que la plupart des familles sachent ce qu'elles doivent faire faire à leurs enfants)
Parallèlement à cette activité de lecture regroupant consolidation des acquis de fluence et compréhension de textes lus par l'élève, vous pouvez sans difficulté démarrer une méthode d'orthographe et une de grammaire de votre choix.
Il en existe plusieurs sur le marché. Certaines ont la faveur de nombreux collègues (RSEG, Picot), d'autres sont plus confidentielles (Cléo, . Du moment où leur exploitation donne de bons résultats dans vos classes et qu'elles n'empêchent pas vos élèves de lire à haute voix chaque jour au moins quelques phrases d'un texte adapté à leurs capacités de lecteurs, je n'y vois pas d'inconvénients.
Je vous conseille néanmoins d'aller jeter un coup d'œil sur Orthographe graphémique et sur CE1 : Du mot vers la phrase (1) qui ont l'avantage de partir de ce que tous les élèves de CE1, à une exception près de temps en temps, maîtrisent à la rentrée : la lecture de lettres ou de syllabes et le langage oral.
Vos élèves savaient déjà bien lire à la veille du 16 mars 2020. Pendant le confinement, ils ont continué à progresser dans leur manuel de lecture, peut-être pas tout à fait aussi vite qu'en classe mais du moins tout aussi efficacement. Ils ont eu la chance de pouvoir reprendre, tous ou presque tous, encore une fois pas aussi vite que s'ils avaient été scolarisés à plein temps, depuis le 11 mai.
Ils ont donc progressé normalement et, en ce début d'année scolaire 2020/2021, vous ne sentez pas de grosses différences avec les années précédentes, en tout cas rien qui ne pourra se régler, comme d'habitude par deux à trois semaines de lectures quotidiennes, sur des textes adaptés à leurs compétences et à leurs intérêts de jeunes lecteurs âgés d'environ 7 ans.
Vous savez qu'en faisant chaque jour un bon tiers de lecture compréhension, un petit tiers de révision de « sons », un grand tiers de lexique et, pour faire honneur à Raimu dans Marius, un dernier tiers de production d'écrit pour boucler la boucle, vos élèves progresseront naturellement et qu'ils arriveront d'eux-mêmes à lire avec naturel, fluidité et expressivité, quand la maturité de leur système nerveux le leur permettra.
Dans ce cas-là, vous pouvez, dès le mois de septembre, leur proposer les textes bleus et gris de Lecture et Expression au CE, laissant les orange aux élèves de CE2, si vous en avez...
Là, je sais que 36 doigts interrogateurs s'apprêtent à m'envoyer un message : « Textes bleus ? gris ? orange ? Mais cékoitesse, comme disent certains de nos élèves ? »
Alors je réponds tout de suite : C'est une classification que j'ai adoptée lorsque j'ai construit la progression de dictées associée à ce manuel. On peut trouver ici le sommaire des trois premiers chapitres et l'explication des couleurs employées : CE1-CE2 : Dictées Lecture et Expression (1). On trouvera la colorisation des textes des chapitres suivants ici : CE1-CE2 : Dictées Lecture et Expression (2) et ici : CE1-CE2 : Dictées Lecture et Expression (3).
Par ailleurs, si on appartient au groupe Facebook « Méthodes de Catherine Huby (orthographe graphémique, lecture, maths...) » (ce n'est pas moi qui ai choisi le titre), dans le Drive on trouve la toute dernière version de Lecture et Expression au CE avec le sommaire en couleur et l'explication des couleurs employées.
Enfin, si vous êtes patients, je vais essayer de trouver cinq minutes pour copier-coller ce sommaire en couleur et vous le mettre en lien rapidement sur ce blog.
Il vous suffira de suivre pas à pas le guide pédagogique (il est aussi sur le Drive du groupe Facebook), en sautant consciencieusement (ou pas) les textes CE2, ainsi que ceux des textes gris qui vous sembleront trop difficiles pour vos élèves, pour savoir comment amener vos petits élèves du mois de septembre au mois de juin vers le statut de lecteur convenable de CE2.
Vous pouvez choisir pour votre classe les méthodes Orthographe graphémique et sur CE1 : Du mot vers la phrase (1) qui sont simples et efficaces.
Vous pouvez aussi, compte-tenu du niveau de vos élèves, préférer viser un peu plus haut et travailler tant l'orthographe que la grammaire, la conjugaison et le vocabulaire à partir de l'étude d'extraits des textes de Lecture et Expression au CE, tout en ne perdant pas trop de temps à faire recopier tous les exercices à la main en début d'année mais en entraînant peu à peu vos élèves à le faire grâce au Fichier d'Étude de la Langue (1) et à son Livre du maître : Étude de la langue - LDM (1).
Vous pouvez aussi, comme pour les élèves du niveau 3, garder vos habitudes et continuer à suivre la méthode d'orthographe et celle de grammaire dont vous avez l'habitude.
Tout comme vous pouvez préférer d'autres manuels de lecture CE1 tels que La Lavande et le Serpolet ou le Livre de Lecture de chez Belin, ou encore Picouic et Tigrelin.
Bon courage à vous et bonne fin d'année scolaire malgré toutes les avanies qui vous tombent sur le coin du bec chaque jour ou presque en écoutant la radio, lisant les journaux ou regardant les informations à la télévision.
En guise de cadeau bonus, cette petite réflexion, tirée des programmes de maternelle d'il y a très très longtemps :
« Le but à atteindre, en tenant compte des diversités de tempérament, de la précocité des uns, de la lenteur des autres, ce n’est pas de les faire tous parvenir à tel ou tel degré de savoir en lecture, en écriture, en calcul, c’est qu’ils sachent bien le peu qu’ils sauront, c’est qu’ils aiment leurs tâches, leurs jeux, leurs leçons de toute sorte, c’est surtout qu’ils n’aient pas pris en dégoût ces premiers exercices scolaires qui seraient si vite rebutants, si la patience, l’enjouement, l’affection ingénieuse de la maîtresse ne trouvaient le moyen de les varier, de les égayer, d‘en tirer ou d’y attacher quelque plaisir pour l’enfant. »
Disons-nous que, comme pour les petits enfants de 1882 – eh oui, si tôt ! – nos « un peu plus grands » de 2020 ont eux aussi le droit d'aimer les textes qu'ils lisent et de n'avoir pas pris en dégoût la lecture grâce à des textes adaptés à leurs intérêts, leurs capacités, leurs compétences qui ne les ont pas rebutés.
Disons-nous que nous devons préserver cette joie d'apprendre par notre patience, notre enjouement, notre affection ingénieuse plutôt que par nos listes de logatomes, notre chronomètre braqué sur leur capacité à oraliser très vite quelque texte que ce soit (« Ah ! Qu'il est laid le chasseur chauve aussi sauvage que le beau chat chassant le corbeau, mais il ne faut pas que ça se sache. », Piano CE1 p. 64) et notre acharnement à ne leur faire « étudier à fond » que 5 albums de lecture par an.