L'École Primaire comme je voulais la raconter
Là, c'est la grosse colère ! J'en ai plus qu'assez d'être sans arrêt renvoyée à la droite réactionnaire, toutes les fois qu'un événement se produit dans le petit monde de l'Éducation Nationale. Marre, carrément marre !
J'aimerais enfin savoir pourquoi permettre à un enfant de parler une langue riche et choisie, ce serait de droite, et le laisser croupir dans un gloubiboulga incompréhensible et « marqué socialement », ce serait de gauche.
J'aimerais comprendre pourquoi donner à copier à l'élève de 5 à 7 ans des textes qu'il ne peut déchiffrer seul, ce serait de gauche alors que lui apprendre patiemment à déjouer un à un les pièges qui permettent de savoir que ce sont « les poules du monastère » qui sont en train de couver[1], ce serait de droite.
J'aimerais savoir pourquoi le but à atteindre si on est de gauche bon teint, c'est de retarder une population scolaire d'une année au moins, de considérer qu'il est normal d'avoir 10 non-lecteurs à la rentrée dans sa classe de CE1 et de conspuer ceux qui disent que, dans leurs classes, même les petits enfants défavorisés lisent en comprenant des textes adaptés à leur niveau, .
J'aimerais savoir en quoi être capable d'écrire à 6 ans, avec l'aide d'un adulte patient, que la situation de partage de 20 billes entre 4 enfants s'écrit « 20 : 4 = 5 », c'est de droite, alors que celle qui consiste à apprendre par cœur la liste des doubles et des moitiés, c'est de gauche.
J'aimerais savoir pourquoi amener un élève à reconnaître et savoir nommer un COD, un COI et un Complément d'Attribution, c'est de droite, extrême pour le troisième, alors que le laisser dans un brouillard, même aristotélicien, c'est de gauche, archi gauche.
J'aimerais savoir pourquoi dicter « prends de la peinture rouge et dessine une maison » pendant le cours d'arts plastiques, c'est de gauche, alors qu'aider un élève à s'en sortir honorablement dans le maquis des accords grammaticaux, des temps verbaux et des régularités lexicales, c'est une marque infamante de droititude exacerbée.
J'aimerais savoir pourquoi connaître toutes les personnes du passé simple, c'est de droite, et pourquoi il convient de priver les élèves de la joie d'écrire «vous pûtes» en gloussant comme des gosses de 10 ans heureux de jouer un bon tour aux adultes, si on ne veut pas être taxé de crypto-réactionnaire.
Pourtant, leur grand maître, homme de gauche s'il en est, Célestin Freinet, apprenait à écrire et à lire à ses élèves de GS en s'appuyant sur les caractères de plomb de sa petite imprimerie scolaire et aurait sans doute trouvé inadmissible que son travail n'aboutisse pas rapidement à l'autonomie réelle de ses jeunes apprenants.
Pourtant, les écrits que lui et ses camarades (au sens politique du terme) publiaient dans La Gerbe ou dans la Bibliothèque de Travail montraient que leurs élèves maîtrisaient l'orthographe, y compris grammaticale, et n'hésitaient pas à écrire au passé simple.
Pourtant, dans sa grammaire en quatre pages, destinée à fixer chez les élèves les règles vues et revues grâce à l'écriture quotidienne de textes fouillés, bourrés de phrases complexes à l'analyse logique impeccable, l'infâme crypto-je-ne-sais-quoi n'hésitait pas à appeler les chats (et les mots) par leurs noms, que je sache.
Pourtant, dans les classes Freinet, les petits réfugiés venus d'ailleurs, après avoir subi la guerre, les passeurs, le froid des montagnes et l'angoisse de l'inconnu, écrivaient le français sans faute et s'en enorgueillissaient (enorgueillir, 2e groupe, na !...). Et pour se raconter, ils employaient même le passé simple, à la 1re personne du pluriel, eux !
Alors, flûte de zut de merde de b... de d...,
Et pourtant, ...
je suis de gauche,
bordel !
Notes :
[1] Allusion à la célèbre phrase « Les poules du couvent couvent » qui serait paraît-il indéchiffrable par un pauvre bambin soumis par des fascistes notoires à l’apprentissage alphabétique de la langue (méthode dite « syllabique » par les mal-comprenants).
[2] Et ne me dites pas que c’est faux, j’en ai connu trop autour de moi pour que ce ne soit qu’un concours de circonstances : de ma grand-mère qui a quitté l’école à douze ans et qui se régalait à lire Zola, à mon compagnon qui calcule de tête des proportions compliquées pour réussir des alliages, des mélanges et ne commander que ce qui lui sera nécessaire de ferraille, de sable, de chaux, de ciment ou d’engrais bio pour ses 10 ha 24 a et 2 ca de terre labourable, en passant par le voisin de 85 ans qui lisait son Dauphiné Libéré tous les jours et son Nouvel Observateur chaque semaine, sans compter les romans et les articles scientifiques du Vigneron, je les compte par centaines, ces vieux de la vieille école qui en avaient tiré profit et qui n'avaient pas été laissés pour solde de tout compte par une école qui ne se serait intéressée qu'à l'élite.