L'École Primaire comme je voulais la raconter
Ce matin, aux infos de 7 h 30, sur Europe 1, j'ai appris ce qu'était la dictée du XXIe siècle autrement dite twictée. J'écoute actuellement le replay (c'est à 7 h 36) pour être sûre de ne pas vous mentir.
Nous apprenons dans ce reportage que notre pays est pionnier pour l'usage du numérique en dictée ! Moi qui croyais que nous étions à la traîne, voilà qui fait plaisir, n'est-ce pas ? Si en plus d'être à la pointe de l'innovation numérique mondiale, ça aide nos élèves à orthographier une langue réputée difficile comme la nôtre, ça, c'est une nouvelle d'importance !
Le reportage se passe dans une classe de CE2, en Seine-et-Marne. Les élèves commencent par écrire avec un stylo, sur une feuille de papier, deux phrases dictées par leur professeur des écoles (la dame dit "instituteur", mais je suppose que c'est juste parce que ce terme de "prof des écoles" n'a jamais réussi à passer la rampe...). Ces deux phrases ont en tout et pour tout 140 caractères, espaces compris, format Twitter oblige.
Nous en entendons une : "Huit nouveaux participants entrent dans les groupes." (52caractères)... Pour la deuxième, nous ne saurons que sa longueur supposée : 88 caractères au plus.
Après cette écriture en autonomie, les élèves se regroupent pour discuter de leurs productions respectives et tenter le challenge du "sans faute". C'est le moment de la négociation. On entend deux élèves de 8 à 9 ans et demi épeler le mot "nouveau", tel qu'ils l'ont écrit. Le premier épelle : "N.O.U.V.O", le second "N.O.U.V.E.A.U".
L'instituteur (sic) envoie alors la dictée non-corrigée, c'est-à-dire telle que les élèves l'ont rendue après la négociation, par internet, à une classe à l'autre bout de la France qui a fait la même dictée. Qui tape cette dictée avant de l'envoyer ? On ne nous le dit pas... Tel que c'est raconté, il semblerait que c'est le maître. Jusque là, l'usage d'internet est assez limité, mais ça va venir.
En effet, à partir de là, les élèves des deux classes vont dialoguer, via Twitter, afin de s'échanger des règles de grammaire ou argumenter sur leurs choix orthographiques. Un petit exemple : ce jour-là, un élève explique dans son twitt que "circuit" finit par la lettre T puisqu'on peut dire "court-circuiTer"...
Enfin, la journaliste nous annonce une cerise sur le gâteau : grâce à leurs twictées, les élèves apprennent en prime les codes en usage sur les réseaux sociaux. En échangeant leurs twitts avec une autre classe, ils apprennent à user de prudence sur internet en direct, ce qui est plus efficace que s'ils écoutaient une conférence annuelle sur les dangers des échanges virtuels.
Déjà, cette dernière explication me semble un peu vaseuse... Je veux bien qu'à chaque séance (hebdomadaire, si j'ai bien compris), le maître leur rappelle qu'il ne faut pas qu'ils aillent traînailler n'importe où et qu'il convient qu'ils restent concentrés sur leur objectif de correction de dictée, mais de là à dire qu'ils apprennent à se méfier des inconnus qui leur adresseraient un message et qu'ils transféreront cette compétence acquise à des usages plus ludiques et personnels du web, c'est un peu audacieux.
Mais je ne demande qu'à y croire après tout. Un peu d'optimisme en ce monde bien sombre, ça ne peut pas faire de mal.
Non, ce qui me choque le plus, c'est l'exercice en lui-même... Déjà, 140 signes, au CE2, c'est assez peu. J'ai calculé, même à 5 signes de moyenne par mot (+ espace ou signe de ponctuation le suivant), ça fait glorieusement une dictée de 28 mots. Quand on sait que celles que mes élèves de CE1 écrivent actuellement quotidiennement ont entre 40 et 48 mots, c'est déjà un petit peu ennuyeux au point de vue de l'égalité des contenus....
Ensuite, vient la durée de l'exercice. Dicter 28 mots, disons que cela prend un petit quart d'heure.
La négociation, si elle porte sur chaque mot dans chaque groupe et qu'il convient ensuite de s'accorder, cela doit bien tourner autour de la demi-heure.
Puis, le maître qui envoie cela, fautes comprises (comment fait-il, le collègue, pour ne pas avoir le x du pluriel à la fin de nouveau qui arrive tout seul sous ses doigts lorsqu'il tape ?), cela va assez vite... Allez, cinq minutes en comptant large.
Enfin, la renégociation inter-classe, de twitt en twitt... Vous diriez combien, vous ? J'avoue que je n'en ai aucune idée...
Et quand est-elle enfin corrigée, cette dictée ? Quand est-ce que l'élève de CE2 qui croit encore comme mes petits CP après deux mois et demi d'apprentissage de la lecture que "nouveau" cela s'écrit "NOUVO", va enfin apprendre qu'il se trompe et que des adjectifs qualificatifs français qui finissent par "O", il n'y en a qu'un...
Tout ce temps perdu, quelle tristesse ! Déjà que je pleure sur nos 27 heures de classe de mes débuts et tout ce qu'elles nous permettaient de caser comme connaissances et ouvertures culturelles, sportives et citoyennes ! Et là, ces pauvres gamins qui sont là à attendre un twitt venu d'ailleurs pour pouvoir corriger un truc qui se rectifie en trois coups de cuiller à pot si on met deux élèves au tableau comme sur la photo, ou simplement si on discute et laisse répondre les enfants pendant la dictée elle-même :
"Huit nouveaux participants... Marwann, tu nous redis comment on écrit "huit" en lettres ?... Bien, "nouveaux", maintenant... Léa, le son [O] de nouveau, beau, jumeau,..., s'il te plaît ?... Et qui est "nouveau", dans cette phrase ?... Les participants... Bien... Participants... qui me donne le féminin ? Combien sont-ils, ces participants ?... Théo, tu me donnes le nombre du nom commun "participants" ? Et de l'adjectif qualificatif "nouveaux" qui s'y rapporte ? Tout le monde se souvient de la marque du pluriel de chacun d'entre eux ?... Nolwenn, tu nous les rappelles ?... On continue...".
Quand on ne cherche pas à noter les élèves, ni à les classer du premier au dernier, mais plutôt à les faire progresser, on peut ainsi "tout dire", jusqu'à ce que chacun ait pris le réflexe de chercher ainsi, dans sa mémoire, dans les outils dont il dispose (dictionnaire, lexiques, tableaux de conjugaison, ...), les solutions aux problèmes qu'il cherche à résoudre.
Mais pour adopter cette démarche, réellement coopérative, à laquelle tout le monde participe à sa mesure, encore faut-il que chacun sache que, dans la classe, il existe une personne qui est là pour jouer ce rôle d'animateur, d'hôte, d'assistant technique, de référent, d'ami prêt à offrir une main secourable, à donner à tous ce qu'il a reçu d'autres avant lui... Un ins-ti-tu-teur, celui qui institue, élève, éduque.
Et je me demande si ce n'est pas, en plus du temps perdu, de l'énergie, électrique comme cérébrale, dépensée pour rien, ce qui m'ennuie le plus. Pas pour briller et obtenir à peu de frais lauriers et médaille, bien sûr. Mais parce qu'ils me font peine, nos petits enfants perdus du "Construis-toi toi-même" ! Et parce que je trouve que les chemins que certains se tracent, abandonnés qu'ils sont à tous les niveaux, sont bien tristes, bien sombres, bien regrettables.
Alors non, ce n'est pas dangereux de perdre une demi-journée pour un exercice qui aurait dû, correction comprise, ne durer que trente à quarante minutes. Non, ce n'est pas dangereux d'attendre d'avoir neuf, dix, douze, quinze ans, pour savoir qu'il n'y a que l'adjectif qualificatif "rigolo" qui, en français, se termine par la lettre O.
Mais si, c'est dangereux de ne pas savoir que, dans leur grande sagesse, les adultes ont prévu qu'un enfant avait besoin des adultes pour se construire, s'élever, s'éduquer et que c'est pour cela qu'il y a plus de deux siècles ils ont créé le métier d'instituteur, très distinct de celui de (mauvais) dactylographe.
Ici, la suite : Des nouvelles de la Twictée