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L'École Primaire comme je voulais la raconter

Armistice

Armistice

Sujet de rédaction (on disait alors Composition française), proposé à la classe de ma grand-mère, Hélène Brunet, orpheline de guerre, élève de douze ans (donc Cours Supérieur, 1re année, je suppose), le lundi 18 novembre 1918 :

SUJET : Un député a proposé que désormais le 11 Novembre soit une fête nationale ; un autre, que ce soit une fête interalliée. À quel parti vont vos préférences. Pourquoi. Comment pensez-vous que cette journée pourrait être fêtée dans l'avenir ?

Et voici le développement qu'en fit cette jeune élève, puisque je n'arrive pas à retrouver le texte écrit « à chaud » le 11 ou le 12 novembre même... Je laisse les quelques rares fautes d'orthographe, juste pour que vous ayez une vague idée du niveau d'une bonne élève, issue d'un milieu moyen (son grand-père était employé communal à la mairie de Clermont d'Oise, son père, je ne sais pas) au début du XXe siècle.

DÉVELOPPEMENT

Un député a proposé que le 11 Novembre, anniversaire de la signature de l'armistice, soit une fête nationale, un autre une fête [interaliée], je [préférerai] (eh oui, déjà...) que ce soit une fête interalliée et que nous gardions notre 14 Juillet comme fête nationale.

Car l'armistice n'a pas seulement été signé entre la France et l'Allemagne mais entre toutes les puissances alliées, et nous devons être reconnaissants envers elles, en faisant une fête à leur égard car malgré la vaillance de nos soldats, nous serions battus si elles n'étaient pas venues à notre secours.

Il faut que cette fête soit le 11 Novembre, car le 14 Juillet 1789 les Français [ce] sont seuls affranchis de l'oppression royale, tandis que le 11 Novembre 1918 tous les peuples étaient [surs] de ne pas tomber sous le joug allemand, et il est juste qu'à cette date mémorable on [fasses] une fête interalliée.

On pourrait, à l'occasion de cette fête organiser des cortèges comme en ce moment (Rappel : Nous sommes le 18 novembre 1918), ces cortèges seraient composés de vétérans, de soldats, de sociétés. Ils passeraient sous l'arc de Triomphe, et iraient se réunir place de la Concorde, près d'une tribune où siègeraient les représentants des nations alliées. Le Président français prononcerait un discours. Pour annoncer la fête on tirerait des coups de canons et le carillon des églises se ferait entendre. Pour cette journée tout Paris serait pavoisé aux couleurs alliées. Pendant la fête des avions survoleraient la ville et des musiques militaires chanteraient des hymnes alliés. Des quêteurs vendraient des cocardes au profit d'une œuvre quelconque. Ce jour-là, les [théatres] joueraient gratis. Le soir on pourrait faire des feux d'artifices pour terminer ces réjouissances.

Une semaine plus tard, le lundi 25 novembre, l'institutrice proposait la correction suivante, recopiée dans le cahier par l'élève qu'était alors ma grand-mère.

CORRECTION

I Entrée en matière.

L'armistice avec l'Allemagne a été signé le 11 Novembre au milieu d'une joie immense. Pour en perpétuer le souvenir un député a proposé à la Chambre que désormais le 11 Novembre soit une fête interalliée.

II Développement.

Je préfère que le 11 Novembre soit une fête interalliée.

De même qu'ils n'auraient pas vaincu sans nous, nous n'aurions pas vaincu sans eux, et ayant souffert en commun nous devons nous réjouir en commun.
Une fête ainsi comprise montrera aux générations futures que l'union fait la force dans la lutte des peuples libres contre les nations de proie.
Cette fête entretiendra dans l'avenir les relations d'amitié, d'estime, de confiance, de reconnaissance entre les grandes et petites nations de l'Entente.

Parmi les réjouissances organisées ce jour-là il serait bon de faire figurer des représentations de cinéma rappelant les horreurs de la guerre.
On pourrait organiser des voyages à prix réduit, France Amérique, France Italie, et vice-versa auxquels pourraient aisément participer les meilleurs élèves de nos écoles, organisation d'exposition internationale (arts, industrie, mobilier, costumes, etc.)
[Si si, c'est écrit comme ça... Ma grand-mère aurait-elle oublié de copier une ligne ? Aucune idée...]

III Conclusion.

Le 11 Novembre qui commémore la fin de la guerre ne devra pas être une fête guerrière, elle devra plutôt être le triomphe de la paix, d'une paix forte et digne et durable assurant ainsi la prospérité des nations unies.

Voilà. Je pense qu'il n'est pas besoin de grand discours.Pas de fête guerrière pour les enfants de la paix.

Dans le cahier qui couvre l'année scolaire 1918/1919, il y a vingt-quatre rédactions dont un texte libre.
Sur ces vingt-quatre textes, cinq, dont la « narration libre », se rapportent très directement à la guerre alors que les autres abordent des thèmes très éloignés (décrivez le logis de vos rêves, dites ce que vous pensez de ce proverbe, de cette phrase, racontez une visite au marché, quel personnage célèbre préférez-vous, etc.).
Nous pouvons en rajouter un dans lequel, alors que l'institutrice a demandé à ses élèves quel pays elles aimeraient visiter, l'enfant parle de l'Alsace (sa mère était originaire des Vosges) et décrit le « travail » qu'elle ferait auprès des « petits Alsaciens » pour leur apprendre le français et leur parler de la France à laquelle ils appartenaient de nouveau.

À la fin de son texte libre, daté du lundi 16 décembre 1918, racontant un bombardement réalisé par l'aviation allemande sur la bourgade de Clermont d'Oise où elle résidait chez ses grands-parents, bombardement pendant lequel trois ou quatre bombes sont tombées sur le cimetière, l'élève a écrit :

En revenant, je pensais à la cruauté des Allemands, qui n'avaient pas assez de tuer les vivants mais qui s'attaquaient aux morts.

L'institutrice a barré ces lignes et a écrit dans la marge :

La fin affaiblit votre devoir.

Fin de l'actualité du jour.

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P
Bien émouvant de lire ça... Et cette exaltation de la paix et de la réconciliation change agréablement du va-t-en-guerre qu'il y a eu dans certaines des écoles du coin (j'ai fait un stage dans une de ces écoles, mentionnant un salle des maîtres que j'étais pacifiste/antimilitariste, j'ai été vraiment surprise de l'extrême violence des réponses de mes - futurs - collègues. Bref....). Bon, c'est minoritaire, mais assez désespérant (en plus notre région n'a pas été atteinte par la guerre.) Et votre arrière grand mère écrivait bien. Nous avons trié quelques lettres de poilus qui nous restent, de la famille de ma mère. Ca laisse rêveur niveau syntaxe et orthographe/conjugaison, absolument catastrophique, mais impossible de savoir si ces gens sont allés à l'école primaire ou pas, dans leur campagne.
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A
Merci pour cette réponse détaillée ! C'est vrai également que les Poilus entretenaient une correspondance avec leur famille, elle était souvent de qualité. Les actes de naissance du début du siècle sont souvent signés par le père, les témoins déclarés "ne sachant signer" disparaissent petit à petit, ce sont les adultes de la génération pécédente, celle "fin de siècle".
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A
Quand une solide instruction s’arrête à 12 ans, combien de temps perdurent la lecture et l'écriture si elles ne sont plus quotidiennes ? Le calcul, je pense que nos anciens le pratiquaient régulièrement, mais la lecture (du journal?) et l'écriture (correspondance?), je me demande ce qu'il en restait au fil du temps...Si quelqu'un a une idée ?
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C
Quand on voit le niveau de rédaction à 12 ans ça fait rêver...
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P
Mémé Robert visionnaire. Elle décrit exactement ce qui a eu lieu hier !
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A
Quel bel héritage ! <br /> C'est poignant de revivre 100 ans après ces jours d'émotion...En entendant toutes les cloches sonner à la volée hier, à 11h, j'avoue que les sensations étaient fortes, quel immense soulagement ont dû ressentir nos aïeux...
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L
Merci pour ce partage, comme tous les autres, mais différent de par sa portée affective et d'une grande richesse émotionnelle ; quelle chance de savoir quels ont été les lendemains de sa grand-mère et dans quelle ambiance elle a grandi. Très beau témoignage intergénérationnel.
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L
Très émouvant.<br /> Et très instructif aussi.<br /> Je parlais aujourd'hui de mon arrière-grand-père, né en 1887, qui a fait toute la guerre de 1914-1918 dans l'artillerie. A l'armistice, on a tiré, pour fêter cela, un certain nombre (douze ?) de coups de canon à blanc. Grand-Père était horrifié : "Quoi ? Pour fêter la fin des hostilités, on n'a rien trouvé de mieux que de tirer des coups de canon ? Mais c'est le dernier son qu'on voulait entendre ! L'armistice, ça devait vouloir dire plus JAMAIS de coups de canons !"<br /> Il a raconté ça au journal local, en 1987, quand on est venu l'interviewer en tant que centenaire.
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