L'École Primaire comme je voulais la raconter
Suite à l'article de R. Brissiaud sur le Café Pédagogique1, un collègue a exhumé l’article de H. Canac dont notre créateur de Picbille et de Géom’ parle dans sa communication. Il s'agit de L'INITIATION AU CALCUL ENTRE 5 ET 7 ANS, Esquisse d'une méthode et d'une progression (1947).
Cet article est d’une telle richesse et d’une telle limpidité que je ne vois pas quoi faire de mieux que de vous le communiquer par tranches…
La première tranche parlera de la Méthode.
On y apprendra que, sans doute pour ne défavoriser ni les enfants qui n’avaient pas fréquenté l’École Maternelle, ni ceux dont la fréquentation avait été irrégulière, ni ceux qui étaient plus lents à démarrer ni même ceux qui n’avaient pas eu encore l’envie de s’y mettre vraiment, on préférait faire comme si un enfant de 5 ans entrant en Grande Section ou Section Enfantine ne savait rien (plus tard, on apprendra qu’on considérait néanmoins que l’enfant avait au moins la notion de 1, 2, un peu et beaucoup). On était donc, comme Liliane Lurçat dans l’article sur l’écriture, très loin de l’idée d’évaluation des enfants de moins de 7 ans3.
On y verra comment l’École Maternelle acceptait l’élève dans sa globalité et le faisait glisser doucement par le jeu, et toujours sans évaluation ciblée, d’une approche sensorielle et concrète des objets vers un concept plus abstrait comme le nombre. Comment, à travers l’objectif d’acquisition du Langage Oral, elle commençait à installer ces concepts, uniquement à l’oral, sans plan forcément préétabli, en « musardant », comme le dit l’auteur…
Cette base pourrait être reprise actuellement, dès demain matin. Avec un taux de fréquentation des classes de Petite et Moyenne Sections avoisinant les 100 %, elle pourrait mener nos élèves vers une maîtrise bien plus assurée de ces bases langagières, concrètes et sensorimotrices. De ce fait, en Grande Section, nous n’aurions plus à tenir compte de ceux chez qui la pré-initiation … est ce qu'elle peut, au gré des conversations familiales et des expériences de hasard 5.
Voici donc la première partie de cet article auquel Rémi Brissiaud fait partiellement référence (mais ça, on en reparlera…) :
A. MÉTHODE.
- Le chemin qu'un écolier doit parcourir, en calcul, entre 5 et 7 ans, se définit avec simplicité :
- A 5 ans, l'enfant ne sait rien, a le droit de ne rien savoir ;
- A 7 ans, il doit connaître les 100 premiers nombres et savoir opérer sur eux.
A 5 ans, le petit rural est conduit pour la première fois à l'école de son village ; l'enfant des villes entre dans la section des Grands de l'École maternelle, où, pour la première fois, on lui propose des exercices d'initiation au calcul. Tout au plus, au cours de l'année précédente, a-t-on pu lui proposer des jeux « éducatifs » qui l’ont mis sur la voie de la perception du nombre. On a pu, par exemple, lui faire trier des cartons d'après le nombre d'objets qui y figurent. Imaginons 2 séries de cartons, les uns portant 2 lapins verts, les autres 3 poulettes rouges. L'enfant les sépare en prenant appui sur la couleur et sur la nature des animaux représentés. À un deuxième stade, l'exercice consistera à trier des cartons de 2 lapins verts et des cartons de 3 lapins verts, le point d’appui sensoriel disparaissant ; et à un troisième stade enfin, l'enfant, placé devant 4 sortes de cartons (2 lapins verts, 3 lapins verts, 2 poulettes rouges, 3 poulettes rouges) devra mettre à part, non point les poulettes ou les lapins, mais les groupes de 2 ou les groupes de 3 sans s'arrêter à la nature des objets représentés. Ainsi se trouve esquissée une suite d'exercices - que, dans la pratique, on pourra diversifier et graduer comme on voudra - selon laquelle l'enfant de 4 à 5 ans, prenant appui d'abord sur des données sensorielles et concrètes (forme, couleur, nature des objets), passe de là à la considération du nombre ou de la quantité des objets, abstraction faite de ces données ou même en les contrariant.
On observera que ces exercices n'aboutissent pas nécessairement à la notion de tel ou tel nombre défini. On peut ne pas repasser le stade de la discrimination de quantités saisies globalement : l'absence (aucun, pas du tout), l'unité, une faible quantité (quelques-uns un peu) , une grande, ou plus grande quantité (beaucoup), sans dépasser cette « évaluation qualitative» que l'adulte exprime en général par des adjectifs ou pronoms indéfinis.
Ainsi, dans certaines peuplades très primitives, le berger, incapable de dénombrer ses ouailles, sait tout de même évaluer globalement son troupeau, sent s'il est au complet ou non.
On peut encore exercer l'enfant de quatre ans et demi sur une gravure présentant une route en Y à la bifurcation de laquelle des groupes de cyclistes, tantôt se joignent et tantôt se séparent ; et l'on peut faire parler l'enfant sur ces « opérations : le familiariser avec les notions qu'expriment des mots comme : se séparer, ensemble, à part, ajouter, enlever, partager, moitié ... exercices de langage qui préludent à l'acquisition des notions arithmologiques fondamentales et préparent de longue main aux opérations arithmétiques.
Mais cette pré-initiation ne s'adresse qu'à une extrême minorité d'enfants - quelques élèves bien doués des bonnes classes maternelles ou enfantines - et, dans ce cas très favorable, demeure fragmentaire, toute concrète et sensorimotrice et de faible portée. La pré-initiation des autres enfants est ce qu'elle peut, au gré des conversations familiales et des expériences de hasard. En gros, il reste vrai qu'en calcul, tout est à faire après cinq ans, tout est à prendre à pied d'œuvre.
Deux ans plus tard par contre, le jeune écolier qui va entrer au cours élémentaire doit tenir un bagage très explicitement défini par le programme officiel du cours préparatoire ; il doit savoir « compter jusqu’à 100 ».
Le problème pédagogique qui nous occupe ici est donc de doter l’enfant de 7 ans de la connaissance assurée (automatique) de ce programme, par des procédés efficaces (économiques), éducatifs. et, si possible, plaisants, la route à parcourir se décomposant naturellement en deux étapes : une première année (5 à 6 ans) d'initiation libre, où l'on musarde un peu en chemin, où chaque enfant va aussi loin qu'il le peut, selon sa fréquentation, sa capacité ou même son bon vouloir, et une deuxième année (cours préparatoire) où faisant fonds sur une fréquentation régulière et une maturité intellectuelle beaucoup plus grande, il s'agit d'aller de l'avant et d'atteindre le but. Ainsi se trouve délimité, et « cadré » le sujet de cette étude.
Pour lire le reste de l'article :
6. De 11 à 19, les irrégularités de langage
7. De 20 à 69, "Trop fass', maîtresse !"
8. Où l'on voit bien que 30 > 24
Notes :
[1]http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2013/05122013PisaRBrissiaud.aspx
[3] Plus loin dans l’article, on verra comment ce rien est censé évoluer en deux années scolaires et quelle évaluation (très courte) propose l’auteur pour un élève à l’issue de son Cours Préparatoire… Il n’y a pas à dire, en trente heures de classe, on en faisait plus qu’en vingt-quatre !
[4] Je me permets de vous rappeler que je considère que la TPS n’existe pas et que la Petite Section dure d’une à deux années scolaires selon que l’enfant est entré à l’école l’année de son deuxième anniversaire ou celle de son troisième. Dans une École Maternelle telle que je la décris et qui, je le maintiens, peut exister du jour au lendemain, partout où les collègues sont prêts à échanger leurs progressions toutes faites contre une observation approfondie du petit enfant en croissance et de ses besoins.
[5] Voir article ci-dessous.