L'École Primaire comme je voulais la raconter
Merci à Sophie Borgnet pour son illustration.
Ce matin, sur France Inter, M. Blanquer, Ministre de l'Éducation Nationale, a répondu à des questions insistantes sur une éventuelle remise en place de l'opération ABCD de l'égalité filles-garçons., conçue puis abandonnée par les services de l'ancien ministère.
Cela me donne l'occasion de proposer à nouveau à mes aimables lecteurs (nom commun, neutre, pluriel), le chapitre consacré à l'égalité en général, extrait de mon bouquin sur la maternelle.
À la fin, vous trouverez un petit additif, extrait d'un autre chapitre, concernant les jouets à l'école maternelle parce que, finalement, le chapitre V est consacré à l'égalité et à la mixité dans un sens plus large que celles liées au hasard chromosomique...
L’école est mixte. - Les avantages de l’éducation en commun de tous. - Pourquoi faut-il réaffirmer la nécessité de la culture commune ? - Le principe de défiance tue l’estime de soi de l’enfant. - « L’enfant est une personne » ne signifie pas que c’est un adulte. - L’égalité sociale : un principe absolu pour les écoles.
L’école maternelle est mixte depuis toujours, mixité des sexes mais également mixité sociale. Ce qui a permis de dire avec raison que l’école était un creuset égalisateur. Pauvres comme riches, filles comme garçons, étrangers comme autochtones, petits, faibles et mal-aimés comme grands, forts et adulés y recevaient, tous ensemble, la même éducation. Plus encore qu’un creuset magique, dont les effets seraient apparus par enchantement, c’était un tremplin savamment équilibré. Son rôle fondamental était d’ouvrir à une culture commune, grâce à l’éducation, mère de l’instruction.
Malheureusement, après de nombreuses années de cette potion dans laquelle il aurait suffi de plonger nos élèves pour les rendre égaux devant l’école, force est de constater que le grand melting pot égalisateur ne joue plus vraiment son rôle. Quand Louis-Thaddée ou Marie-Sixtine quittent l’école maternelle en pleine possession de leurs moyens physiques, psychologiques et intellectuels, il n’en est pas forcément de même pour leurs petits camarades aux prénoms moins bien estampillés Réussite Scolaire Obligatoire. Et il est des handicaps[1] bien trop difficiles à compenser au milieu de trente enfants valides, surtout par un simple professeur des écoles dont la formation généraliste n’a comporté aucun volet médical. Et cela, même si on lui a adjoint un AVS[2] dévoué mais bien démuni !
Pourtant on a raboté discrètement les pieds du tremplin pour le rendre plus facile d’accès. On a subrepticement détendu la toile pour qu’elle rende difficiles les bonds trop impressionnants. On a interverti les priorités éducatives, inventé des critères d’évaluation censés s’adapter à d’improbables nouveaux publics[3]. On a accusé de dopage intellectuel les enfants qui, malgré le changement, continuaient à avoir envie de réfléchir, de progresser, de diversifier leurs connaissances. On a donné à l’école de nouveaux rôles et de nouvelles missions pour essayer de réparer les torts qu’on lui avait faits.
Et maintenant, où en sommes-nous ? Quelle égalité peut-il y avoir, à l’orée de l’école élémentaire quand, dans certaines classes, on ne parvient pas à cet équilibre entre droits et devoirs, garant de la liberté de tous ?
Ici, depuis la Toute Petite Section, on propose des albums adaptés où la langue utilisée imite maladroitement le charabia que nos tout-petits emploient par défaut[4]. On se cache derrière cette ignorance commune à tous les petits pour leur refuser le temps et l’occasion d’accéder au vrai langage des livres, avec ses phrases riches, ses passés simples, son vocabulaire choisi. On prive d’un véritable accès à la langue française les enfants dont la vie hors la salle de classe se déroule dans une autre langue. Plus loin, le terme banlieue retrouve son sens étymologique. Parce que l’école est située au bas des tours et des barres d’une cité, on élabore un projet pédagogique qui ne sort pas de l’image qu’on se fait du Jeune ayant grandi hors les murs de la citadelle.
Comment croire encore à ce creuset égalisateur quand l’égalité des sexes disparaît du quotidien et qu’une maîtresse écrit en bleu ciel les prénoms des garçons et en rose ceux des filles ? Qu’aux uns, elle offre en récompense des images de super-héros pendant que les autres reçoivent des princesses pailletées ? Quand l’égalité des enfants au sein d’une même classe est abandonnée, qu’on les trie selon un niveau scolaire supposé[5] et qu’on leur distribue des brevets et des classements dans tous les domaines y compris celui de la pâte à modeler…
On peut bien ensuite, en élémentaire ou au collège, inventer des classes d’excellence, bilangues, européennes, CHAM ou sport-études et les installer dans ces zones défavorisées ! C’est méritoire mais illusoire d’essayer d’empêcher de partir, de faire revenir ou d’attirer tous ceux dont les parents espéraient que l’école apportât un petit peu plus à leurs enfants. Et on comprend qu’ils aient cherché autre chose que ce que leur progéniture connaissait déjà dans leurs quartiers difficiles. On a beau jeu ensuite de déplorer leur perte. On peut aussi crier d’horreur en les voyant prêts à se laisser manipuler par des adultes sans scrupule, tout simplement parce que ceux-ci semblent leur offrir enfin un cadre sécurisant ou un avenir gratifiant. Comment reprocher à ces enfants perdus de se laisser séduire par des valeurs hélas bien éloignées de celles que nous avons refusé de partager avec eux ?
L’École Maternelle, elle, n’a pas besoin de classes d’excellence pour donner envie d’y inscrire ses enfants : c’est pour cette raison que toutes ses classes devraient se réclamer de ce label! La culture commune, apportée par ses maîtres, doit être celle qu’ils donneraient à leurs propres enfants. Ses règles de vie doivent y être universelles et faire fi des distinctions de sexe, de race ou de religion. Sa mission principale étant l’éducation, il est facile d’introduire, sans embrigadement ni prêchi-prêcha, les valeurs d’égalité et de fraternité essentielles à la survie d’une démocratie. Et il ne devrait pas être besoin de grands projets fédérateurs pour apprendre aux élèves les règles de l’égalité entre êtres humains.
Notre Petite École a la chance de recevoir les enfants à un âge où les préjugés n’existent pas encore. Même lorsque nous nous adressons aux plus âgés d’entre eux, il nous est simple de leur montrer par le jeu, l’échange et le partage que les différences quelles qu’elles soient ne changent rien, sans les heurter dans des certitudes déjà fermement établies. Ils se laissent encore convaincre assez facilement que tous leurs camarades peuvent jouer tous les rôles. Ils admettent volontiers que chacun apporte les mêmes éléments à la discussion et qu’il reçoit et donne comme eux-mêmes. Il suffit pour cela que ce petit monde redevienne celui des enfants et arrête de singer celui des adultes ou des adolescents.
Afin d’atteindre aisément ce but, il est préférable que nous n’accueillions plus les parents comme s’ils étaient les personnages principaux de cette histoire. Même si nous continuons bien sûr à recevoir les familles de nos élèves avec courtoisie, à les informer avec précision et régularité et à les rassurer quand ils le demandent. Même si, malheureusement, nous devons parfois continuer à les signaler aux services compétents quand la situation l’exige.
Pour accueillir les enfants dans l’égalité la plus parfaite, il est plus simple que leurs familles n’investissent pas nos classes. Cela évitera au moins que, devant leurs enfants, elles pensent avoir le droit de décider de tout et puissent contester nos décisions. Que peut faire un professeur des écoles seul face à une bande d’excités de quelque bord que ce soit ? Quel rôle peut-il jouer lorsque ce petit groupe prône des valeurs inconciliables avec celles qu’il doit transmettre à ses élèves ? Quel poids pourront avoir ses paroles si, pendant le temps de classe, des parents sont présents et le contredisent devant les enfants?
L’École est une Institution dont les règles sont définies par la Loi, intangible sur l’ensemble du territoire. Elle ne peut donc subir aucun aménagement dû à son implantation. Pour que cela soit respecté, elle doit redevenir un lieu protégé des turbulences du monde et de l’influence des adultes.
Les seuls habilités à y intervenir sont les professeurs des écoles et leur hiérarchie, les ATSEM sous la responsabilité des premiers, les médecins et infirmières scolaires ou de PMI[6] dans l’exercice de leurs fonctions. Les autres personnes doivent recevoir un agrément délivré après contrôle par un représentant de l’Éducation Nationale. Elles n’interviennent alors que ponctuellement, dans le cadre d’un projet agréé par l’IEN[7] et sous la responsabilité du professeur des écoles titulaire de la classe. Depuis Jules Ferry, les personnes autorisées sont enjointes d’agir de manière éthique et responsable. Cela devrait suffire pour garantir aux enfants l’accès à une égalité de traitement et d’éducation en tous points du territoire.
L’École Maternelle n’est pas une école comme les autres. On n’y délivre pas de cours magistral, déguisé ou non. C’est par le jeu, l’action, les récits, les conversations à bâtons rompus dirigées par l’enseignant garant des propos qui s’y tiennent que l’enfant acquiert progressivement et sans normes évaluatives strictes les valeurs de la démocratie qui régissent notre société. Doivent être considérés comme choquants tous propos favorisant une discrimination qu’elle soit négative ou positive. Il est inqualifiable que des professeurs des écoles, fonctionnaires de l’État, considèrent que tel enfant, de par son sexe, sa couleur de peau, son origine sociale ou culturelle, sa religion, doive recevoir un traitement scolaire particulier, une éducation différente. On ne peut émettre le doute, même avec les meilleures intentions du monde, que cette différence physique ou sociale implique quelque anomalie génétique, quelque tare le rendant incapable d’accéder à la culture commune.
Il ne saurait être possible non plus qu’un professeur des écoles profitât de sa position de force pour s’immiscer dans la vie privée des familles et dénigrer auprès de ses élèves l’éducation qu’ils y reçoivent. S’il se doit de signaler aux services compétents tout acte de maltraitance, tout soupçon de carence éducative, il n’a en aucun cas à se préoccuper ni à juger de ce que mangent, écoutent, regardent, revêtent, fréquentent, vivent en dehors du temps scolaire les enfants qui lui sont confiés. Il a encore moins le droit de déstabiliser ces tout jeunes enfants par des propos ou des leçons sur des sujets qui ne sont pas de leur âge.
« L’enfant est une personne », aurait dit une psychanalyste célèbre[8], s’élevant contre l’abandon, la maltraitance ou les carences éducatives dont étaient victimes certains tout-petits. Cela ne sous-entendait en aucun cas qu’il soit considéré comme un adulte. Le petit enfant a droit à notre sollicitude, notre protection et notre respect. Il a droit à un traitement particulier tel qu’en reçoivent tous les jeunes êtres vivants. Personne ne demande à un poulain de six mois de porter un cavalier, personne n’oblige un jeune pommier à donner des pommes. Personne ne devrait alors pouvoir proposer à un enfant de moins de sept ans de réfléchir sur la conduite à tenir face aux grands problèmes que se posent adolescents et adultes.
La seule morale, la seule philosophie que nous devons dispenser à l’École Maternelle, c’est celle que l’activité, la vie quotidienne, les jeux, les moments de conversations imposeront. Les valeurs d’égalité, de fraternité et de partage naîtront d’elles-mêmes et prospéreront si nous les valorisons au quotidien. Nous n’aurons pour cela besoin ni de leçons interminables, ni de grands projets médiatiques, ni de cahiers d’évaluations, de réussites ou de progrès. Cet attirail-là, depuis trente ans que nous le voyons à l’œuvre, nous avons eu le temps d’en constater la portée plus que limitée. Il suffit pour cela de nous promener dans nos cours d’écoles élémentaires et de collèges.
Pourquoi solliciter un enfant sur la différence tant qu’il n’en voit aucune ? Pourquoi le laisser se justifier et se construire un système de défense lorsqu’il traduit cette découverte de la différence par une conduite répréhensible ? Pourquoi l’empêcher de pratiquer telle activité parce qu’elle est habituellement appréciée par les enfants de l’autre sexe ? Et pourquoi la lui imposer, même si elle n’est pas indispensable à son développement, au prétexte qu’il doit absolument s’y adonner pour prouver qu’il ne méprise ni ne craint ses congénères ?
Vivons avec tous nos élèves en rejetant loin de nous les tabous éducatifs, les lieux communs venus d’un autre âge de même que les clichés issus des dernières rumeurs qui circulent. Offrons-leur une multitude de jeux, de jouets, d’activités, de récits, de contes, de chants et de comptines afin que tous y trouvent leur compte et construisent ensemble cette culture commune qui les préservera de l’ostracisme. N’associons à leurs prénoms, à leur sexe, à leurs origines, au niveau social de leurs famille aucune prédiction de réussite ou d’échec scolaire.
Rejetons même toute idée de les évaluer avant de leur avoir apporté le meilleur, comme nous le donnerions à nos propres enfants. Travaillons sans relâche aussi longtemps que nécessaire pour que les vingt-quatre heures[9] par semaine passées en notre compagnie prennent à leurs yeux toute l’importance souhaitée. Faisons en sorte que l’éducation que nous leur apportons, la richesse de ses contenus, l’ouverture culturelle de ses références garantissent que leur vie sociale future puisse se bâtir librement, loin des clichés que l’air du temps leur proposera alors.
[1] Voir la loi Montchamp dont les effets pervers commencent à être dénoncés, y compris par les familles d’enfants handicapés et le personnel médical : http://www.cdafal77.fr/montchamp.html
[2] Assistant de Vie Scolaire, recruté sans formation pour cinq ans maximum et à qui l’on n’offre au mieux qu’une très courte formation interne.
[3] Bien malin celui qui démontrera la nouveauté de ces publics alors que cette école a dès le départ été prévue pour les plus démunis des enfants qu’elle a toujours reçus sans distinction d’origine, de langue et de culture ! Pour s’en convaincre, lire La Maternelle, roman écrit par L. Frapié en 1904, effet garanti !
[4] Voir Les Oralbums, de Philippe Boisseau.
[5] Et bien souvent conditionné par la couleur de leur peau ou la consonance de leur prénom…
[6] Protection Maternelle et Infantile.
[7] Inspecteur de l’Éducation Nationale
[8] Françoise DOLTO, 1908 - 1988.
[9] Vingt-sept heures seraient les bienvenues et nous permettraient une vision moins bornée de nos capacités d’action.
Pour faire sortir les enfants de l’agitation désordonnée et faire naître la discipline, les jouets, les jeux, le matériel sont nécessairement simples. Leur utilisation doit couler de source sans que nous ayons besoin de fournir de longues explications et une attention constante pendant leur utilisation. Nous ne voulons d’aucune progression complexe qui bride la créativité et l’esprit d’entreprise de nos jeunes élèves.
Quelques coins bien aménagés, où un groupe de quatre enfants peut aisément s’installer pour des jeux d’imitation, font plus pour intégrer tous nos élèves que tout projet citoyen ambitieux aux multiples ateliers imposés.
Ces coins ont parfois disparu des classes maternelles. Cela est bien dommage car ils étaient le lieu d’échanges spontanés de plus en plus riches et construits. On y trouvait souvent un appartement en miniature, à la taille des enfants, avec sa cuisine, sa chambre des poupées, sa coiffeuse, son atelier de bricolage. Les maîtresses y laissaient jouer filles comme garçons et faisaient ainsi plus pour promouvoir l’égalité des sexes que ne le feront jamais toutes les accumulations de paroles qui s’envolent. Et dans les modèles réduits de ville, ferme, école, hôpital, zoo, garage, cirque ou gare, personne ne se préoccupait de la couleur, de l’âge et du sexe des policiers, fermiers, soigneurs, conducteurs d’engins et apprentis-puériculteurs ou coiffeurs.
Dans nos coins de jeu, la leçon de langage à l’efficacité éprouvée naît quotidiennement des dialogues entre enfants. L’enfant d’origine étrangère y progresse bien mieux que dans n’importe quel atelier de remédiation pour petits parleurs. C’est en en jouant qu’il y apprend comment se nomment les ustensiles de cuisine, les vêtements, les outils, les véhicules, les actions. D’autant que, n’étant pas bloqués par leur atelier dirigé, enseignant et ATSEM sont disponibles et peuvent venir de temps compléter ou rectifier les échanges enfantins.
Toute la classe s’y crée une première culture commune enrichie de ce que chacun y raconte librement. Ce faisant, tous découvrent des particularismes qui n’ont pas forcément cours dans leurs foyers. Plus besoin de leçons ni de longs débats sur l’égalité des sexes, la théorie du genre, l’ouverture aux autres cultures ! C’est en vivant ensemble et en se racontant que les enfants apprennent tout cela !
Pablo change la couche du poupon et Djamila répare la voiture cassée. Kilian montre comment chez lui on se sert des baguettes pour manger et Ousmane raconte comment on s’assoit en tailleur autour du tapis où se trouvent les plats dans lesquels chacun se sert. Vicky explique sa caravane et raconte comment on peut se débrouiller pour que tout le monde y ait sa petite place.
L’enseignant est là pour interdire les moqueries, expliquer les différences, s’intéresser à la culture de l’autre, gérer un mini-débat qui naît, spontanément cette fois, et y apporter l’ouverture que lui donnent son âge et sa culture.
Au Vivre Ensemble s’ajoute la motricité. Déplacer les meubles, balayer, plier, ranger dans les placards, empiler… changer les poupées, les allonger, les asseoir… installer la dînette, la laver, l’essuyer… faire rouler les voitures sur les routes et les trains sur les rails… visser et dévisser… autant de gestes qui exercent tout aussi bien la main que la série de fiches d’exercices progressifs de découpage selon un trait de plus en plus alambiqué !
Ces exercices de motricité, et particulièrement de motricité fine, sont très vite renforcés par l’offre des jeux de construction. En plus de cent trente années d’école maternelle, se sont ajoutés aux bons vieux cubes de bois, que les barres de type Kapla ont remis à la mode dans leur simplicité et leur richesse d’utilisation, tous les jeux dont les éléments s’empilent, s’encastrent, s’agrippent, s’adaptent, s’aimantent, s’accrochent... Tous ne se valent pas et les élèves ont leurs préférés qui traversent les générations. Ce sont souvent les plus simples qui recueillent le plus de suffrages car ils permettent à l’imagination de se développer et autorisent toutes les créations.
De même, après les bobines de bois creuses que nos arrière-grands-parents utilisaient comme jouets, on a vu naître toutes sortes de perles de tous les diamètres et de toutes les formes. Elles ont été complétées par des jeux d’enfilages, de tressages, de laçages et de piquages où l’enfant exerce en même temps que ses doigts sa capacité à distinguer et marier les couleurs, à reconnaître formes et grandeurs, à concevoir des algorithmes et à les reproduire.
Enfin, les encastrements, les mosaïques, les puzzles, les dominos et les lotos complètent par une volonté d’entraînement à la lecture d’images l’éducation manuelle, psychomotrice et sensorielle. Ils visent à développer l’attention visuelle, le langage, la réflexion, la logique, la géométrie intuitive et parfois même le calcul.
La meilleure manière d’utiliser ces jeux est celle que les élèves trouvent eux-mêmes. C’est ainsi qu’ils constituent un tremplin pour eux. Le jeu est le travail de l’enfant, disait Pauline Kergomard[1]. Et c’est bien le jeu libre, sans contrainte ni évaluation qu’elle préconisait. De ce jeu qui fabrique tant les futurs ingénieurs que les futurs techniciens, les artisans et les créateurs, les poètes et les explorateurs, les entrepreneurs et les inventeurs.
Car il ne s’agit en aucun cas d’apprendre à des ouvriers interchangeables à accomplir une tâche balisée, apprise et répétée pour obtenir un produit fini en tous points semblable à celui produit par chacun de ses camarades. Il n’est pas non plus question que ce jeu serve à valider des items et qu’il permette de mettre en cases l’Enfance et ses multiples facettes.
Faisons confiance à l’enfant, tout en lui fournissant un cadre sécurisant et sécurisé, régi par des lois simples et immuables. Offrons-lui le matériau d’exploration que nous le laisserons utiliser à sa guise, à son rythme. Soyons en revanche présents pour solliciter et encourager l’enfant qui ne fait rien, détecter la bonne idée, l’avancée technique et la grande découverte. Soyons là, au milieu de tous, et favorisons les échanges d’aide et les dialogues. N’interdisons que ce qui risquerait de blesser, de nuire à quelqu’un ou de perdre et casser les objets.
Nous voyons alors naître en plus d’une agilité manuelle qui s’affine, d’une fraternité qui s’affirme, d’une culture commune qui s’enrichit, de véritables dons chez tous nos élèves, dons qu’ils enrichissent et multiplient au contact des autres.
Ces dons, cette créativité, cette envie de progresser, de grandir, de se mesurer à la matière trouvent une nouvelle raison d’être dans toutes les activités de patouille auxquelles nous tenons tout particulièrement.
Dans les programmes de l’École Maternelle[2], dans la partie Percevoir, Sentir, Imaginer, Créer, on nous détaille quelques actions simples, quelques matériaux et on nous encourage à aider nos élèves à découvrir et utiliser de nouvelles techniques, à concevoir seuls ou à plusieurs des projets et des réalisations. Tout ceci est vrai, nécessaire et suffisant, et nous n’enlevons ni n’ajoutons une ligne à ce descriptif. À condition que ces actions, ces matériaux, ces techniques, ces projets et leurs réalisations soient à la mesure de nos élèves et de leur expérience. Nous devons nous en tenir aux objectifs des programmes sans nous laisser influencer par les méthodes, les techniques et les créations dont sont capables adultes et adolescents même si ces dernières, présentées sur papier glacé dans les pages de catalogues dûment estampillés École Maternelle, sont séduisantes visuellement.
Avec leurs yeux, leurs mains, leurs oreilles, les tout-petits qui entrent à l’école voient sans regarder, attrapent sans toucher, entendent sans écouter. C’est justement pour cela que l’école a pour mission d’enrichir leur expérience sensorielle. Elle y réussit si elle s’appuie sur ce qu’ils savent faire. Elle doit donc prévoir donc des activités plastiques qui peu à peu les amènent à regarder, toucher et écouter. Ce n’est que lorsqu’ils ont appris cela qu’ils sont aptes à apprécier ou créer pour exprimer leurs émotions.
Qui pourrait croire qu’un tout-petit peut – par atavisme peut-être ? – découvrir du jour au lendemain l’univers de la création plastique et de ses outils alors que l’Homme a mis des millénaires à le créer ? Et quel intérêt aurait-on à faire d’eux de simples exécutants reproduisant un geste ou une technique qui leur sont imposés alors que, si nous sommes patients, nous aidons à s’épanouir des créateurs ambitieux à la recherche de leur perfection ?
L’enfant de deux à trois ans qui arrive à l’école maternelle agit pour bouger. Sa main promène le crayon sur la feuille et ce n’est que petit à petit que la relation de cause à effet s’installe. Il se met alors à diriger son mouvement dans le but de produire un tracé qu’il a réellement programmé. De même il pétrit, étale, déchiquette, lisse, enduit, empoigne crayons, pinceaux, brosses, ciseaux par curiosité. Peu à peu naît le plaisir de la manipulation et du contact avec la matière. Enfin grâce à l’exercice libre répété, il devient capable d’en maîtriser les possibilités puis d’en juger l’effet esthétique. Forts de cette certitude, mettons nos ambitions au placard et laissons-les patouiller, expérimenter, tester, tâtonner. Puisque notre but n’est pas d’en faire tout de suite des petites mains de la production d’objets décoratifs stéréotypés, prenons notre temps.
Nos ateliers sont simples : dessin, découpage, collage, peinture, modelage. Nous choisissons un matériel et des matériaux basiques et peu coûteux car ils seront beaucoup gaspillés : papier, crayons de diamètre raisonnable, peinture, pinceaux peu fragiles, ciseaux, feuilles de magazines, colle vinylique, petits emballages, chutes de bois, boules d’argile, de pâte à modeler ou de pâte à sel.
Aidés de l’ATSEM, nous passons de groupe en groupe, conseillons, assistons, installons les habitudes qui tiennent lieu de premiers apprentissages. Les gestes techniques que nous leur apprenons sont bien terre à terre : essuyer le pinceau sur le bord du pot, ramasser les chutes de papier par terre, tenir les ciseaux sans jamais les brandir ni les tester sur les cheveux ou les vêtements, ne rien mettre à la bouche, ne mélanger les couleurs que dans le but précis de créer un effet... Dès le début, les enfants sont associés à l’installation et au rangement. Ils apprennent à jeter dans les poubelles en triant le papier et les emballages. Ils reforment des boules d’argile et les enferment dans des chiffons humides. Ils savent boucher hermétiquement les pots de peinture et de colle. Aidés et même assistés par l’ATSEM, ils lavent les pinceaux, passent l’éponge sur les tables et les chevalets de peinture. Ces bonnes habitudes prises dès l’entrée à l’école éduquent à l’autonomie et libèrent les esprits.
Si les locaux le permettent, deux matériaux sont ajoutés et fournissent une occasion supplémentaire d’encourager nos jeunes élèves à exercer leur agilité manuelle, leur esprit d’initiative, leur attention et leur réflexion, tout en apprenant à vivre ensemble. Deux matériaux aux possibilités tellement vastes que quatre années d’école maternelle sont bien insuffisantes pour les explorer toutes. Pas d’école maternelle sans sable ni eau ! Le sable était sans doute mieux à l’extérieur mais les normes nous imposent parfois de l’introduire dans la salle d’activités. L’eau est difficile à manipuler sans se mouiller mais quelle ressource inépuisable d’entraînement sensoriel ! Quelle école de la discipline librement consentie que ces deux matériaux de base !
[1] L’éducation maternelle dans l’école, ch. VI (opus cité).
[2] http://www.education.gouv.fr/bo/2008/hs3/programme_maternelle.htm , voir PERCEVOIR, IMAGINER, SENTIR, CRÉER. Ce chapitre a été repris quasiment à l’identique dans le programme en vigueur depuis la rentrée 2015.
N'oubliez pas :
Y aura-t-il de la pédagogie pour Noël ?
CP : Mon enfant ne déchiffre pas