L'École Primaire comme je voulais la raconter
Sera-t-il lu ? Est-il bien relié[1] ? Qui sponsorise l'opération et appose son sigle sur la quatrième de couverture ?... Voici mes premières questions.
D'autres, très nombreuses, fusent sur les réseaux sociaux. Certains y voient l'alpha et l'oméga de la reconstruction de notre belle Institution Nationale. D'autres la main-mise de la réaction pédagogique sur l'Enfance et ses verts pâturages (où ne court plus aucune onde pure depuis bien longtemps).
On débat « Littérature de Jeunesse » versus « Grands Classiques », soulignant la « richesse » de la première, la difficulté et la « déconnexion » de la seconde[2], à moins que ce ne soit le contraire et qu'on accueille à bras grands ouverts la suggestion d'un autre grand ponte du « MEN nouveau » dont j'ai oublié le nom et qui consiste à enjoindre d'étudier une fable de La Fontaine par semaine (ou par mois, je ne sais plus) du CP au CM2.
On suggère d'en profiter pour « ré-instaurer » un uniforme qui n'a jamais eu cours dans l'école publique métropolitaine... On dit tout et n'importe quoi, très vite, sans réfléchir ni s’appesantir. Et, comme toujours dans ce type de média, on ne lit surtout pas ce que les gens ont écrit au-dessus, histoire d'enrichir les échanges.
À la dix ou quinzième intervention de ce style, je me lasse et me suggère in petto d'intervenir en un lieu où je peux écrire 3 999 999 signes si je veux et où, puisque presque personne ne commente jamais rien, je peux travailler comme je l'entends et proposer tout ce qui me vient à l'esprit sans risque d'énervement préjudiciable à ma fragile petite santé !
Donc... offrir un livre... à tous les élèves de CM2... et pourquoi pas les autres ?... pour leur faire découvrir le patrimoine littéraire... et leur donner envie de lire... je suis POUR, cent fois POUR !... Mais...
Il y a bientôt 50 ans qu'on nous dit (en tout cas, moi, je l'ai toujours entendu et j'ai commencé ma carrière le 3 novembre 1975) que la Littérature, la Vraie, ce n'est pas bon pour les enfants, que ça les ennuie et que ça les écarte des livres en général.
De plus, cela doit faire environ 30 ans (après l'épisode des « lectures fonctionnelles » chères à M. Meirieu, à l'époque, mais aussi à Mme Charmeux et M. Foucambert), qu'on nous serine qu'il faut puiser les œuvres littéraires que nous étudions en classe, de la TPS au CM2, dans le pléthorique vivier de la Littérature de Jeunesse contemporaine.
On nous a même fourni des listes sur le site du ministère et nos IEN ne sont pas privés de nous communiquer les « bons auteurs » et les « bons éditeurs » au prétexte que, lorsqu'on lit une œuvre, il convient que ce soit une œuvre complète, sous forme d'objet-livre, dûment acheté à 25 exemplaires en primaire pour que chacun puisse tenir en main le précieux contenant...
Certains supérieurs hiérarchiques zélés, s'appuyant sur le fait qu'un fonctionnaire, c'est là pour fonctionner quoi qu'il en pense, ont même poussé la sollicitude jusqu'à nous fournir les « bons titres » et ont parfois traité avec la rigueur qu'il convient les contrevenants à leurs injonctions pédagogiques qu'ils considéraient de bon sens.
Et là, tout à coup, coup de pied dans la fourmilière : étudiez du La Fontaine ! Ou du Daudet... ou du Perrault...
De quoi se voir immédiatement taxé de réac, c'était couru d'avance. Et cela va être suivi d'autant d'effets que l'appel à un démarrage alphabétique de l'apprentissage de la lecture de M. Robien, ou de l'injonction de soumettre les élèves à des contenus grammaticaux plus étoffés de M. Darcos...
Je ne sais pas comment ; ce n'est pas mon métier.
En revanche, je sais que ce sont eux qui donnent le ton aux animations pédagogiques qui ont lieu pendant 18 heures (incluses dans les 108 h annualisées, vous savez...), chaque année scolaire.
Et comme ils chapeautent aussi les Conseillers Pédagogiques et les Maîtres Formateurs qui accompagnent (avec douceur et bienveillance, si, si, on y croit très fort) les jeunes Professeurs des Écoles Stagiaires, ce sont eux qu'il faut persuader du bien-fondé de l'approche, à pas comptés, des grands Classiques du patrimoine littéraire national et international.
Parce que la cerise sur le gâteau, je me répète, ce serait de profiter de l'occasion pour sortir du carcan de l'étude obligatoire d'un « objet-livre » consacré à une œuvre et une seule, exploité jusqu'à plus soif, pendant quelques semaines[4] d'une année scolaire et une seule pour promouvoir au contraire le butinage artistique consistant à lire plus, plus souvent et plus de choses.
Des lectures d'œuvres complètes de qualité, en lecture cursive offerte tous les jours par l'enseignant chez les petits, panachée de temps de lecture libre en classe, un petit quart d'heure par jour, chez les plus grands mais aussi, des lectures quotidiennes d'extraits de toutes sortes, reliées dans de vrais « manuels de lecture », proposant tant de la poésie que de la prose, tant du classique que du contemporain, ouverts vers des horizons variés, des intérêts larges et pluriels, visant à donner envie mais aussi à instruire et à cultiver l'amour de la littérature.
C'est raté pour cette fois-ci, avec ce La Fontaine « lafontainant », offert aux enfants plutôt qu'aux écoles, annoncé dans la précipitation d'une fin d'année caniculaire, entre une chorale qui chante le jour de la rentrée et la pose de cloisons pour couper en deux les salles de classe qui accueilleront chacune 12 élèves de six ans dans 25 m² au lieu de 24 dans 50 m².
Mais une autre fois peut-être ?...
Notes :
[1] Voir chapitre LES RÉFORMES, p. 46.
[2] Moi, j’en pleure, chers collègues, de votre moutonnerie moutonnante.
[3] Un vrai, pas un gugusse qui n’a jamais travaillé pour les écoles, juste parce qu’il est le copain de la copine de la sœur de son beau-frère.
[4] Parfois six semaines d'affilée, par des petits bouts de 3 ans, soit 1/26 de leur existence... C’est comme si on obligeait un adulte de 45 ans à consacrer 90 semaines, soit plus d’un an et neuf mois, à l’étude d’une œuvre littéraire !