L'École Primaire comme je voulais la raconter
Sur ce blog, il y a deux méthodes d'apprentissage de la lecture et de l'écriture au sens large du terme. J'ai nommé Nino et Ana et Écrire et Lire au CP dont je vous montre ici le début du Livret 2.
C'est de cette dernière méthode dont je voudrais vous parler aujourd'hui. En effet, si je reçois très souvent des témoignages de satisfaction concernant Nino et Ana, il est beaucoup plus rare que nous lisions quelque chose concernant Écrire et Lire au CP.
C'est d'autant plus étrange que Nino et Ana était une pochade, destinée à me consoler d'une contre-vérité que j'avais lue sans pouvoir y répondre alors que Écrire et Lire est une vraie méthode avec de vrais livrets, pas si chers que cela (13 € les deux pour équiper un enfant chaque année, et ce pendant plusieurs années). Il est vrai que le cahier d'exercices, vendu par l'éditeur sous forme de fichier .pdf est assez cher et d'une présentation un peu vieillotte, sans compter qu'il est en format A4 moins maniable pour un enfant de CP que le format A5. Mais si on m'écrit directement, je peux facilement pallier ces défauts.
Lorsque j'étais encore en exercice, c'est Écrire et Lire au CP que j'utilisais, avec plaisir et succès, dans une petite école rurbaine, au public très varié. J'ai eu des témoignages très satisfaits de collègues exerçant en REP+, sur le territoire métropolitain mais aussi dans des régions très défavorisées, telle Mayotte ou la Guyane.
Le problème vient peut-être du diffuseur, l'éditeur lui-même, qui n'est pas référencé dans les grandes enseignes généralistes ou plus directement liées aux éditions scolaires. Là aussi, on peut m'écrire afin de trouver ensemble un semblant de solution.
Après avoir évoqué tous ces freins à l'équipement d'une classe, parlons un peu pédagogie. Comme je vous le disais plus haut, j'ai utilisé ce livre en classe, avec des enfants lambda qui se régalaient du début à la fin de l'année, découvrant ensemble à la fois la capacité et le plaisir de lire et d'écrire.
N'ayant plus de contacts avec le suivi pédagogique d'un groupe d'enfants depuis plusieurs années, j'avais un peu oublié combien les enfants s'attachaient aux personnages de la méthode et combien leur développement du savoir lire et écrire était aisé et harmonieux. Jusqu'à cette année où je l'ai redécouvert grâce au suivi d'une enfant en échec scolaire dans sa classe, avec la méthode employée par son enseignante, une personne cependant très dévouée et très consciencieuse, qui semble suivre au pied de la lettre les recommandations du Conseil Scientifique de l’Éducation Nationale et du livret orange réunis.
Quand j'ai commencé le suivi de cette enfant, elle n'aimait pas l'école, ne voulait pas lire, peinait chaque soir à « faire les devoirs », ce qui, lorsque ses parents s'acharnaient à obtenir d'elle les compétences demandées pouvait prendre plus de deux heures. Tout ceci n'était pas étonnant puisqu'elle confondait de nombreuses lettres, tirait difficilement du sens de ce qu'elle lisait, échouait à mémoriser l'orthographe des quatre mots-outils qui, chaque semaine, s'ajoutaient à ceux des précédentes séries qu'il ne fallait pas oublier. Par ailleurs, elle écrivait très mal et très gros, dessinant chaque lettre à grands mouvements de la main et du poignet !
J'ai alors proposé de tout reprendre à zéro, à l'aide de la méthode Écrire et Lire au CP car je me refusais à suivre les directives d'une méthode qui, en deux mois et demi d'école, l'avait envoyée droit dans le mur. Les parents ont accepté et elle est venue à peu près 5 fois par semaine, pour environ 30 minutes chaque fois, soit deux heures et demie par semaine, avec une interruption de deux semaines pour les vacances de Noël.
Et j'ai tout redécouvert ! Les yeux qui peu à peu s'allument parce que, selon l'illustration, aujourd'hui, l'histoire va parler de Marie, Malo et leurs amis. Les mots qui, lus et relus, s'impriment dans le cerveau et permettent une lecture chaque jour un peu plus fluide. Les réflexes orthographiques qui naissent : « Ah oui, ils sont plusieurs ! Il faut mettre un S ! ... Si, si, "comme", je sais l'écrire, il y a deux m, on l'a écrit l'autre jour ! ... » L'enfant qui, très fière, tourne les pages de son livret à rebours et constate avec plaisir que maintenant, elle est capable de lire des longues histoires là où, avant, un texte de trois lignes lui paraissait une montagne...
Lorsque je suis arrivée à la fin du premier livret et que je n'ai plus eu le cahier d'exercices et ses dictées muettes pour faire passer la pilule du nécessaire passage par un travail quotidien d'encodage, je me suis trouvée un peu dépourvue.
En effet, l'enfant avait une très mauvaise image de la dictée dont elle ne connaissait que, chaque lundi, le rôle de couperet, sanctionné les bons jours par un 2 ou 3 sur 10 et le plus souvent un 0, après pourtant ces deux heures de révision du week-end où les parents essayaient en pure perte de lui faire mémoriser "à vide", sans l'appui des correspondances grapho-phonémiques, des mots à l'orthographe aussi déroutante pour un lecteur-scripteur débutant que "aujourd'hui", "maintenant", "aussi", "garçon", "demain" ou "soixante"...
Après tout cela, je me voyais mal en train de lui annoncer avec un sourire factice : « Et maintenant que nous avons bien lu, nous allons faire une dictée ! »... J'ai préféré ruser et c'est le résultat de cette ruse que je veux partager avec vous aujourd'hui. Grâce à un moteur de recherche, j'ai cherché sur Internet des images, plus ou moins libres de droit, et j'ai suivi la progression du Livret 2.
Un jour sur deux, l'enfant devait regarder quelques illustrations de mots (des noms, des verbes, des adjectifs) et, guidée par quelques indications (la graphie du jour placée au-dessus, les lettres muettes ou particulières éventuelles), elle devait les écrire sur son cahier, avec mon aide. Je profitais de ces moments pour lui donner de bonnes habitudes d'écriture (pencher son cahier dans le sens de l'avant-bras, tenir son crayon correctement, rester "dans les rails"). Je lui donnais aussi l'habitude de réutiliser ses connaissances grammaticales, acquises au cours des lectures du Livret 1 puis 2 (écrire toujours un nom précédé d'un déterminant et un verbe précédé d'un pronom, accorder ces mots en nombre selon ce qu'on voit sur l'image).
Le jour suivant, après avoir lu la page de droite du Livret 2 jusqu'à la rubrique Je prépare la dictée (dont j'ai tardé longtemps à lui faire lire le titre, tant le sujet était sensible pour elle). Là, après avoir lu la phrase proposée et l'avoir commentée pour en asseoir la compréhension, nous l'analysions ensemble : comment s'écrit le premier mot ? est-il régulier ou comprend-il des « blagues » que nous devons retenir ? pourquoi a-t-il un S ? un ENT ? comment se souvenir de cette lettre muette ? etc.
Après ce travail, toujours passionnant parce que considéré comme une enquête policière et un encouragement à grandir, nous relisions encore une fois la phrase, en nous attachant aux difficultés : « Malo, facile, à part la majuscule... adore, facile, mais il faut penser au E à la fin parce que Malo, c'est il ... les, on connaît, L.E.S ... livres, facile mais il adore plusieurs livres alors on met un S à la fin ... qui, ah oui, c'est le [k] qui s'écrit Q.U. ... parlent, ah, difficile, par, facile, mais lent, difficile, ce sont LES livres qui parlent, ils sont plusieurs qui parlent alors E.N.T. ... de, trop facile ... pirates, très facile mais il faut se rappeler qu'il y a plusieurs pirates, S, à la fin ... et, c'est le et qui veut dire "et puis", ils parlent de pirates "et puis" de trésors, le et qui veut dire "et puis" s'écrit E.T. ... de, super facile... trésors, deux difficultés, le S qui se prononce [z] et le S pour dire qu'il y en a plusieurs... »
Il n'y avait alors plus qu'à considérer la dictée comme un texte libre, une production d'écrit autonome au cours de laquelle l'enfant, assistée par l'adulte qui lui servait de pense-bête, écrivait spontanément les mots qu'elle venait de lire, avec l'orthographe qu'elle venait d'observer.
Les puristes me diront peut-être que cette enfant, et tous ceux qui travaillent l'orthographe ainsi dans leurs classes, que ce soit avec Écrire et Lire au CP ou une autre méthode, ne font que du psittacisme et n'écrivent pas seuls. Je leur répondrai qu'ils ont raison mais que ces jeunes élèves se préparent à écrire seuls et sans faute en assurant chaque jour leur connaissance des régularités de leur langue et en cultivant leur curiosité devant les bizarreries de l'orthographe française, qu'elle soit lexicale ( « Tu as vu, comme, ça prend deux M ! Enfant, je sais l'écrire, c'est d'abord E.N. puis A.N et il y a un T muet pour dire "enfanTin") ou grammaticale (« Ça parle des pirates, alors S à la fin de pirates ! »).
Actuellement, cette petite fille est en vacances. Quand elle reviendra, elle lira le premier chapitre de La chèvre de Monsieur Seguin, dans le texte original des Lettres de mon moulin, d'Alphonse Daudet. Elle le lira avec moi, car nous avons décidé que les histoires sont maintenant longues et difficiles et que nous en lirons une phrase chacune.
Si le livre était lu en classe, ce ne serait pas nécessaire puisque les 20 phrases de la page seraient lues par 20 élèves différents avant une relecture effectuée à nouveau par 20 élèves.
Elle ne lit pas encore très vite, garde encore des séquelles de cet apprentissage de la lecture à marche forcée (le 10 décembre au soir, toutes les graphies de la langue française, y compris les plus rares, avaient été « balayées », comme semble le demander le CSEN). Il lui arrive encore de confondre le S et le T, allez savoir pourquoi, ou le OU et le U, plus courant, surtout lorsqu'elle est fatiguée. Elle ne tient pas très bien son crayon et, à l'école, elle écrit très gros et souvent de manière très hachée. Elle a toujours des difficultés à décoder des mots qui se terminent pas deux consonnes suivies d'un E atone car elle s'obstine à ne pas tenir compte de ce E (elle lit par exemple "mas... sq... sq.. mas... masq', ah oui, masque"). Elle a en revanche arrêté de prononcer à toute vitesse les mots-outils qu'elle reconnaissait dans les phrases, et cela se ressent au niveau de la compréhension.
Et surtout, elle a envie de lire, feuillette très souvent le livret de bout en bout pour se remémorer ce que nous avons lu et compter les pages pour savoir quand nous pourrons lire ceci ou cela.
Comme je vous l'ai proposé en cours d'article, je serai ravie de partager cette méthode et je vous encourage à m'écrire à l'adresse suivante : doublecasquette«arobase»gmail.com tout comme je vous partage ci-dessous les images de ces dictées muettes.