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L'École Primaire comme je voulais la raconter

Le livre des bêtes : 3 raisons pour choisir la simplicité

Le livre des bêtes : 3 raisons pour choisir la simplicité

Comme souvent, j'ai conseillé récemment l'emploi du Livre des Bêtes, que j'ai tapuscrité il y a quelques années puisqu'il n'était plus édité. Comme d'habitude, de nombreuses personnes se sont signalées et ont expliqué comment elles s'étaient emparées facilement de cette méthode et les bénéfices qu'en avaient tirés leurs élèves. Et comme toujours, une ou deux ferventes admiratrices du BOEN et d'Eduscol sont venues expliquer combien, selon les dogmes actuels et donc selon les pédagogues modernes qu'elles sont, cette méthode ne pouvait pas fonctionner. On m'a même expliqué que j'étais dangereuse pour les collègues débutants et qu'il fallait que je me corrige immédiatement (une CPC adepte de la bienveillance pédagogique, sans doute)...

Prenons point par point les reproches qu'elles lui font et démontrons-leur ensemble combien des enfants de 6 ans trois quarts à 7 ans trois quarts, à qui Le livre des bêtes était et est destiné, en tirent néanmoins profit.

Aucun enseignement explicite des correspondances graphophonémiques pour approfondir le décodage,

Contrairement à ce qui est reproché, cet enseignement explicite existe bien, sous la forme d'une révision point par point des difficultés qui peuvent encore dérouter des élèves de fin de CP ou de CE1.

Cependant, parce que les auteurs savent que les enfants ont horreur qu'on ne leur fasse pas confiance et qu'on leur serve une seconde assiette de soupe froide alors qu'ils en ont déjà mangé une, bien chaude et bien nourrissante, lorsqu'ils étaient au CP, ils n'ont pas donné à ces révisions un « parfum d'apprenti-lecteur débutant » comme le font quelques-unes des méthodes publiées ces dernières années.

Extrait du manuel de CE1, Piano, édité chez Retz.

Extrait du manuel de CE1, Piano, édité chez Retz.

Alors, ils ont choisi l'imprégnation, la petite touche de rappel qui, chaque jour, après chaque « vraie lecture de grands », chaque exploitation de texte de « presque grands » focalisera l'attention de ceux qui en ont encore besoin et ravivera les souvenirs du reste de la classe.

Ainsi au cours des 10 premiers jours de classe, les enfants réviseront, sans logatomes ineptes ni phrases dont les préoccupations sont plus qu'éloignées de leurs intérêts du style : « Amauri a acheté des nouveaux rideaux très beaux pour ses fenêtres... Chez elle, Mamie a mis les moufles dans la malle... Les héros ont repéré les filous, ils parlent à un léopard et une poule dans la laverie... » (Extrait de Kit et Siam, CP, Hachette éducation) :

- le découpage des mots en syllabes

- les consonnes doubles

- les graphies on et om

- les graphies an, en, am, em

- la graphie ou

- la graphie eu et ses deux prononciations

- la graphie oi

- les graphies ai et ei

- les syllabes CCV

- les graphies eil, eille

Et comme tout cela se fait sans logatomes incompréhensibles et uniquement avec des mots courants, tout est mis en œuvre pour toujours associer fluence et compréhension, ce qui se révélera fondamental pour la suite de leurs études. Par ailleurs, les mots choisis donnent l'occasion de réviser et étoffer le champ lexical de l'œuvre complète alors en exploitation. Enfin ceux de nos élèves qui sont déjà entrés dans l'observation raisonnée des mots ont l'occasion de fixer l'attention sur un ou plusieurs points d'orthographe qui est au programme de la classe de CE1.

En résumé, cela nous permet de donner à chacun ce dont il a besoin dans le cadre d'un travail collectif, sans pour cela mettre les enfants dans des cases dès le départ.

aucune étude des stratégies de compréhension pour bosser cet aspect là.

Et si c'était fait exprès ? Si les auteurs avaient choisi d'amener les enfants à la littérature et à la compréhension fine à petits pas, sans grands mots ni stratégies d'adultes ? Si les adultes qui ont rédigé cet ouvrage avaient conscience qu'imposer des stratégies de compréhension à des enfants tout juste lecteurs, c'était comme expliquer à un enfant de 13 mois comment il pourrait optimiser ses déplacements en bipédie et s'attendre à ce qu'il en tire profit ?

Si en demandant aux enfants ce qu'ils ont retenu du texte, ils cherchaient à leur donner avant tout une impression de facilité, d'aisance qui les pousserait à s'intéresser à la lecture ?

Prenons les premières questions de compréhension du livre, celles qui sont associées au premier chapitre du premier conte : Marianne et l'âne Martin.

En effet, elles peuvent paraître très simples. On leur demande successivement :

  • Que va faire Marianne au moulin ? Que veut-elle en rapporter ?

Simple, oui, mais pour un adulte qui sait ce qu'est un moulin et du grain et qui a appris comment on produisait la farine. Encore simple, oui, mais pour un adulte qui sait que la réponse peut se trouver, sommairement cachée, dans les répliques d'un dialogue.

Moins simple pour un jeune enfant qui a peut-être entendu parler pour la première fois ce jour-là de moulin (le mot est expliqué, accompagné d'une illustration), de meunier, de grain (dans le sens de céréale panifiable) et qui vient de découvrir que ces grains de céréales sont à l'origine de la farine dont il voit les adultes acheter des paquets dans les commerces avant d'en utiliser le contenu pour faire des gâteaux ou du pain. 

Moins simple aussi pour lui parce qu'il n'a pas encore forcément l'habitude de considérer comme importants les propos tenus par les protagonistes d'un conte. Surtout si, jusqu'à maintenant, il a surtout lu des logatomes ou des phrases isolées conçues en priorité pour rassembler le plus possible d’occurrences de la graphie vedette, parfois même en dépit du bon sens...

Le livre des bêtes : 3 raisons pour choisir la simplicité
  • Pendant que Marianne bavarde avec le meunier, que fait Martin ?

Nouveau recours au champ lexical de la farine, incitation à rapporter deux faits simultanés au sein d'une même phrase. Retour en arrière pour retracer la genèse de la scène finale de l'épisode.

  • Qu'arrive-t-il à ce pauvre Martin ?

Nécessité de construire une phrase pour répondre car on ne peut pas se contenter de transformer en phrase déclarative la phrase interrogative (« Il arrive à Martin que ... », ce n'est pas heureux). Construire cette phrase en tenant compte de la chronologie des événements : « Martin broutait l'herbe du pré quand un loup est sorti du bois. Le loup s'est approché à toute allure puis il a dévoré Martin qui a disparu dans son ventre. Il n'a mangé ni la selle, ni les quatre fers parce que ça ne se mange pas. »

  • Si Marianne avait été moins bavarde, qu'aurait-elle pu faire ?

Question ouverte permettant à chacun d'émettre une hypothèse différente : Marianne aurait pu repartir tout de suite et le loup serait arrivé trop tard ; elle et le meunier auraient pu voir le loup et lui faire peur ; le meunier aurait pu chasser le loup avec un bâton ; ...

Alors oui, peut-être n'a-t-on pas travaillé de stratégies de compréhension très élaborées, et particulièrement celles qui sont écrites là, dans le guide pédagogique pour la séance 5-B-22 bis de la Séquence 1, mais les enfants ont compris l'histoire, ils se sont exprimés oralement, ont appris à répondre clairement par une phrase. Ils ont repris les mots de lexique qu'ils avaient pour certains découverts avec ce texte. Ils ont fait, sans rien nous dire, toutes les inférences possibles, aidés en cela par leur enseignant qui les a poussés à aller au bout de leur raisonnement.

Ce n'est peut-être pas le magnifique travail prévu par telle ou telle méthode qui vient de sortir, bien coûteuse en temps et en matériel mais c'est selon moi un avantage parce que je sais que j'aurai le temps de le faire chaque jour et que le peu qu'ils auront eu à gérer sera assimilé. Par ailleurs, je ne me découragerai pas au bout d'une période parce que j'aurai déjà pris trop de retard que je jugerai impossible de le combler.

Le lexique, n'en parlons pas : il y a juste 2 ou 3 petits mots balancés sans aucun travail de fond

Ouh là ! Mauvaise analyse due très certainement à un coup d'œil trop général et d'emblée partial, il me semble. Cela me rappelle furieusement le DRH qui sanctionne immédiatement deux employés sans appel parce qu'il est arrivé dans une salle de coworking au moment où ceux-ci se recoiffaient (... avant de recevoir client important) !... Ou le général qui consigne une troupe entière de soldats parce qu'elle est arrivée en retard à l'appel sans laisser à personne le temps d'expliquer qu'ils viennent de sauver un village entier du feu qui les menaçait en établissant un coupe-feu...

Prenons à nouveau le premier texte. Les deux mots mis en avant et balancés sans aucun travail de fond sont les noms moulin et fers (à cheval).

Le premier, le nom moulin, est apparu deux fois dans le texte, associé aux noms meunier (deux fois), grain (une fois) et farine (une fois). Il apparaîtra ensuite encore quatre fois au cours des exercices d'exploitation du texte, à nouveau en association avec le mot meunier (2 fois). Par ailleurs l'un des exercices d'exploitation (à faire en classe, à l'oral, avec les élèves) demande aux élèves de compléter un petit texte, absolument pas vide de sens celui-là, par ce mot, qu'on associera à nouveau aux mots appartenant au même champ lexical (grain, meunier, farine).

Le deuxième mot, fers, est moins profondément travaillé que le premier puisqu'il n'apparaît qu'une fois dans le texte et deux fois au cours des exercices d'exploitation, associé au mot selle (champ lexical du harnachement des animaux domestiques destinés au transport de personnes ou de marchandises).

Passons maintenant à l'accusation de balancer ces mots sans aucun travail de fond, dont on se demande vraiment d'où elle sort. Il me semble que n'importe quel éducateur, même débutant, saura très bien comment organiser ce travail de fond tellement il est évident !

Prenons la classe de Camomille Jenseigne, jeune débutante recrutée par l'Académie de Yadépostevakan, qui arrive dans une classe de CE1 sans manuel de lecture. Elle a imprimé ce manuel et fait découvrir le premier texte aux élèves.

­­« Je vous ai apporté un texte que nous allons lire tous ensemble. C'est l'histoire d'une petite fille, Marianne, à qui il arrive une drôle d'histoire. Qui veut commencer la lecture ? Toi, Abel ? D'accord. Lis-nous seulement le titre.

­­- Marianne et l'âne Martin.

- Très bien. Tout le monde a compris de quoi va nous parler cette histoire ?

- Ça va nous parler de la fille qui s'appelle Marianne, comme tu nous l'as dit tout à l'heure, et de son âne qui s'appelle Martin.

- Très bien. Qui veut continuer ? La voisine d'Abel ? Vas-y, Bintou, je t'arrêterai.

- Au petit trot, au petit trot : C'est Marianne qui va au moulin.

- Ah ! Est-ce que tout le monde a compris ? Est-ce que tout le monde sait ce qu'est un moulin ?  Oui, toi.

- Un moulin, c'est ça. C'est dessiné là.

- Oui, ça a des ailes qui tournent.

- C'est comme dans la chanson « Tomoulin, tomoulin, va trop vite »

- C'est pas « tomoulin », c'est ton moulin ! Ton moulin à toi.

- Ah oui, je la connais cette chanson, c'est la chanson du meunier qui dort.

- Un meunier, c'est quoi ?

- Un meunier, c'est un humain. Un humain qui travaille dans un moulin qui tourne.

- Des ailes qui tournent pas des moulins qui tournent.

- T'as vu, y a écrit quelque chose sous le dessin du moulin. Je peux le lire ?

- Oui, bien sûr. Lis-nous ça. Les autres, regardez bien où Gaspard va lire. C'est ici, sous l'image du moulin. Vas-y Gaspard.

- Dans un moulin, on écrase le grain entre deux grosses meules de pierre pour en faire de la farine.

- Ah oui, la farine ! C'est pour faire des gâteaux.

Ils écrasent un truc et après ça fait de la farine.

- C'est du grain ! Du grain, ils l'ont dit.

- Du grain de quoi ? Du grain de café ?

- Bah non, paske la farine, c'est blanc, et le café, c'est marron.

- Alors du grain de quoi ? Tu le sais, maîtresse ?

- Oui, je le sais. C'est du grain de blé, ou de maïs, ou d'une autre céréale.

- Des Chocapic ?

- Non, le mot céréale, c'est aussi le nom d'une plante qui pousse dans la campagne et qui produit des petit grains remplis de farine blanche ou presque blanche. On récolte les petits grains avec une machine qui s'appelle une moissonneuse-batteuse et on les porte au moulin où, comme dit le texte que nous a lu Gaspard, on les écrase entre deux grosses meules de pierre pour en faire de la farine. Cet après-midi, comme nous aurons plus de temps, je vous ferai voir tout cela au tableau. Maintenant, nous allons continuer la lecture pour savoir ce que Marianne va faire au moulin. C'est Emma qui va lire la phrase suivante après que j'aurai relu tout le début. Suivez bien ce que je lis avec votre index. »

Alors, laissons les mauvaises langues qui préfèrent évaluer qu'enseigner et qui restent à la surface des choses sans jamais chercher au fond de leur cœur le petit enfant qui se régalait d'histoires et apprenait les mots parce qu'il les avait découverts dans un contexte chaleureux qui leur avait laissé d'excellents souvenirs. Restons quant à nous simples dans nos objectifs et plus exigeants avec nous-mêmes (choix des textes, présence auprès des enfants, aide et assistance aux plus démunis).

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