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L'École Primaire comme je voulais la raconter

L’évaluation en 1959

L’évaluation en 1959

Ci-dessous un article, extrait de la revue Manuel Général, n° 11, en date du 21 novembre 1959. Cette revue hebdomadaire ressemblait beaucoup, dans ses objectifs, à la revue La Classe et offrait les mêmes services.

L’article que vous allez lire, avec mes commentaires en prime, est tiré de La page pédagogique des jeunes. Il a été rédigé par André Mareuil, Inspecteur de l’Enseignement du Premier Degré (aujourd’hui, nous dirions IEN). Si ce nom vous dit quelque chose, c’est normal, surtout si vous utilisez en classe Le livre des bêtes ou Avec l’Oiseau bleu dont il était l’un des auteurs.

Un petit lexique avant de commencer :

* devoir : aujourd’hui, nous dirions exercice ou travail écrit fait en classe

* cahier de devoirs du jour : aujourd’hui, nous dirions simplement cahier du jour

* épreuve d’écriture : il s’agit d’évaluer le geste d’écriture et non la production d’écrit.

1. L'article d'André Mareuil, Inspecteur de l'Enseignement du Premier Degré (novembre 1959) :

LE CAHIER DE DEVOIRS MENSUELS

  • Plusieurs textes officiels ont rendu strictement obligatoire la tenue, par chaque élève, d’un « cahier de devoirs* mensuels ».

Chaque élève, lit-on dans la circulaire de 1912, recevra à son entrée à l’école un cahier spécial qu’il devra conserver pendant toute la durée de sa scolarité. Le premier devoir* de chaque mois, dans chaque ordre d’études, sera fait sur ce cahier par l’élève en classe et sans secours étranger, de telle sorte que l’ensemble de ces devoirs* permette de suivre la série des exercices et d’apprécier les progrès de l’élève d’année en année. Ce cahier restera déposé à l’école

  • Certaines écoles attachent beaucoup d’attention à la tenue de ces cahiers et elles ont raison, car :
    • la série des cahiers mensuels d’un élève est en quelque sorte son journal de marche, tout au long de sa scolarité (Note : À les feuilleter, on voit parfois que les précieuses habitudes matérielles et intellectuelles acquises avec un maître, sont compromises par le laisser-aller du successeur... Ou bien, on note au contraire de spectaculaires progrès d’une classe à la suivante...)
    • la consultation du dernier cahier mensuel est précieuse, lors des changements de classe et d’école. Le maître qui reçoit un élève voit où il en est, d’où il faut repartir.
  • Conseils pratiques. – On pourra :
      • Distribuer le cahier mensuel au cours du premier mois de scolarité au CE 
      • Choisir des cahiers solides et d’excellente qualité
      • Les communiquer aux parents en fin de mois (Note : Autre excellent moyen de correspondance avec les familles : leur faire signer les cahiers de devoirs du jour* lorsque ceux-ci sont terminés)
      • Les conserver dans le placard du maître ; ne les distribuer que le jour du devoir* mensuel ; en fin d’année, les remettre au directeur de l’école ou au maître désigné pour la classe suivante 
      • On évitera d’y faire exécuter plusieurs devoirs* au cours de la même journée

FAUT-IL  TRANSFORMER LE CAHIER DE DEVOIRS MENSUELS EN CAHIER DE COMPOSITIONS ?

La plupart des maîtres procèdent ainsi, mais la solution nous paraît présenter de sérieux inconvénients. On est conduit en effet à faire « composer » en histoire, en géographie, en sciences, pour leur attribuer une note, des enfants trop jeunes, très gauches encore pour s’exprimer. Le résultat est souvent piteux, et donne d’ailleurs une fausse idée de la valeur des élèves. Mieux vaut effectuer ces compositions sous forme d’interrogations orales !

Se borner aux devoirs* « classiques ». Par exemple, au CE2, une épreuve d’écriture, un petit problème, une dictée, un exercice de grammaire, un dessin.

2. Conclusion :

Et voilà ! C’est tout ! Cette fameuse école élitiste qui triait les élèves ― et qui, accessoirement, envoya, à partir de juillet 1959, tous ses élèves au collège (ordonnance n°59-45 du 6 janvier 1959) ― mettait en réalité bien moins souvent que nous les élèves en situation d’évaluation sommative.

Nous noterons particulièrement les points que j’ai soulignés :

  • Le premier devoir de chaque mois, dans chaque ordre d’études

C’est donc un exercice normal, quotidien, que nos collègues évaluaient, pas une de ces longues suites de photocopies que l’on trouve partout sur la toile.

« Bonjour, les enfants, aujourd’hui, vous ferez la dictée sur votre cahier de devoirs mensuels. rangez votre cahier du jour, nous le sortirons tout à l’heure pour l’exercice de grammaire. »

C’est tout... Pas de longues révisions programmées pendant les vacances scolaires, juste un petit aperçu du travail de Bernadette ou de Jean-Pierre à l’instant T.

Pas non plus de semaines banalisées au cours desquelles se succèdent les exercices chronométrés de français et de mathématiques dont les résultats seront envoyés à un serveur national qui les servira en pâture aux médias !

  • Distribuer le cahier mensuel au cours du premier mois de scolarité au CE

Elle est là, la preuve ! Combien de fois vous l’ai-je répété ? Autrefois, jusqu’à une date finalement récente (je dirais dans les années 1990), on ne soumettait pas les élèves de CP ― et leurs cadets d’École Maternelle, je peux vous le garantir ― au stress du cahier de devoirs mensuels et autres bilans, contrôles et évaluations.

En revanche, tous les jours, ils écrivaient, lisaient, racontaient, comptaient, calculaient, dessinaient, observaient et commentaient des figures géométriques, etc. Et c’est en regardant chaque soir le cahier de chacun de ses petits élèves que l’enseignant préparait sa journée du lendemain, en fonction des progrès ou des stagnations de chacun. L’évaluation était continue et sans stress supplémentaire pour l’enfant, ce qui est indispensable à cet âge encore tendre.

  • On évitera d’y faire exécuter plusieurs devoirs au cours de la même journée

Le terme « surcharge cognitive » n’avait peut-être pas encore été inventé mais le problème avait déjà été clairement identifié. Soumettre des élèves à des demi-journées entières d’évaluation, voire des journées entières si on évalue aussi l’histoire, la géographie, les sciences et je ne sais quoi d’autre, précédées qui plus est de longues révisions à la maison, c’est normal à Normale Sup ou à Polytechnique, mais en Primaire, ne me faites pas rire, j’ai les lèvres gercées !

  • Au sujet des contrôles écrits dans tous les domaines : mais la solution nous paraît présenter de sérieux inconvénients. On est conduit en effet à faire « composer » en histoire, en géographie, en sciences, pour leur attribuer une note, des enfants trop jeunes, très gauches encore pour s’exprimer. Le résultat est souvent piteux, et donne d’ailleurs une fausse idée de la valeur des élèves. Mieux vaut effectuer ces compositions sous forme d’interrogations orales !

Eh oui ! Ça aussi, je l’ai dit très, très souvent ! En Primaire, on évalue l’histoire, la géographie, les sciences à l’oral ! Les compositions écrites, c’est pour le Collège et le Lycée, lorsque les élèves ont acquis un esprit de synthèse suffisant pour savoir faire la part entre l’essentiel et le superflu.  

À cette époque pourtant réputée peu bienveillante, où les instructions officielles ne comportaient aucune occurrence du nom « émotions », les consignes que donnaient les IEN de 1959 étaient autrement plus respectueuses du développement psycho-affectif des enfants : on évalue à l’oral, chaque début de séance, en posant aux enfants quelques questions sur ce qu’ils ont retenu ou en leur faisant réciter le résumé de quatre lignes qui se trouve dans leur manuel.

Lorsqu’à tout juste neuf ans, on sait que ce sera noté et que ça comptera dans la moyenne, comment prendre du plaisir à s’intéresser à Vercingétorix qui bat les troupes de César à Gergovie, comment avoir envie d’aller soi-même à Gergovie pour constater de visu que ce qu’on nous a raconté en classe est montré à tous et que, presque 2000 ans plus tard, l’humanité s’intéresse encore à cet événement ?

Renouons avec des méthodes plus respectueuses des enfants et nous aurons à nouveau des élèves qui battent des mains lorsque nous leur annonçons le titre de la nouvelle séance d’histoire, de géographie ou de sciences.

  • Par exemple, au CE2, une épreuve d’écriture, un petit problème, une dictée, un exercice de grammaire, un dessin

Et c’est tout, M. l’Inspecteur ? Oui, c’est tout. Vous êtes là pour enseigner, pas pour évaluer. Vos élèves auront passé une épreuve d’évaluation de 15 à 20 minutes chaque jour de la semaine, plus 15 à 20 minutes de dessin réparties sur les quatre jours de classe, soit en tout de 1 heure 15 à 1 heure 40 d’évaluations en 22 heures de classe. Ce qui aura laissé plus de 20 heures disponibles pour les véritables missions des professeurs des écoles :

Éduquer pour pouvoir instruire, instruire pour pouvoir éduquer.

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