• Thème : La Foire aux Savoirs

    Thème : La Foire aux Savoirs

    Observons attentivement l'illustration ci-dessus. C'est le parfait exemple du mode de fonctionnement de l'enfant de deux à douze ans.
    Actuellement Enzo est sur sa trottinette, il tente de rattraper Luka sur son skate. Tout près, Jules, Achille et Maia jouent tous les trois au foot loin des jeux « organisés » sur le terrain réservé aux jeux de ballon qui semblent être en ce beau jour de fin de printemps (l'oiseau près de son nid nous révèle la saison) les activités fétiches des enfants de cette école.
    Quelques originaux cependant résistent stoïquement à la « foot-mania » et préfèrent encore la structure de jeux offerte par la mairie ou l'association de parents d'élèves, la marelle tracée à la main sur laquelle on peut jouer seul, la corde à sauter ramenée de chez soi ou tout simplement la contemplation de l'agitation de ses camarades, goûter à la main ou pas...

    Si nous revenions dans cette cour d'école quinze jours plus tard, si ça trouve, les marelles auraient envahi tous les coins de la cour, sauf un, perdu, sur lequel deux ou trois maniaques continueraient à taper dans la baballe avec leurs pieds... à moins que ce ne soient les cordes à sauter, les trottinettes ou les skates qui polarisent l'intérêt du gros des troupes. Il pourrait même arriver, pendant un épisode de canicule ou – hélas ! – de froid intense que l'activité-vedette soit la contemplation des deux ou trois retardataires ou précurseurs en train de dessiner des arabesques à la craie sur le sol de la cour et qu'on trouve dans cette cour plus des trois quarts des enfants assis par terre, l'œil un peu vague, en train de regarder Peyo, Ava et Gaspard dans leurs œuvres.

    Tout cela pour dire qu'à l'égal des adultes, les enfants aiment varier leurs intérêts en fonction du moment, des modes, des découvertes fortuites, des interrogations nées de la pratique d'une autre activité... Varier...

    Cela tombe bien car les concepteurs de programmes scolaires ont compris ça. Même en pédagogie Steiner Waldorf, toutes les trois à quatre semaines, on change de matière principale. Pour varier... parce que, si on continuait, on lasserait tout le monde... ce qui n'empêche pas d'y revenir, quelques semaines plus tard... justement pour varier, parce que, lassés et en surcharge cognitive, les élèves n'avancent plus dans le cadre de la nouvelle dominante...

    Mais voilà... actuellement, les « thèmes annuels » ont le vent en poupe et on ne compte plus les classes où, de septembre 2018 à juillet 2019, on fera la course autour du monde à moins que ce ne soit la valse des périodes historiques, la fête des émotions ou même le renard, sa vie, son œuvre... De septembre à juillet... En lecture, en musique, en arts plastiques, en matière, vivant, espace, temps, histoire, géographie, sciences, éducation morale et civique, anglais, allemand, italien, basque, breton, occitan, mathématiques et j'en oublie certainement. Ou alors, encore une fois, je n'ai rien compris.

    En musique, je comprends parfaitement, à condition que cela permette néanmoins d'enrichir la culture des enfants et qu'ils y trouvent l'occasion d'affiner leurs sens, d'exprimer leurs émotions, de perfectionner leurs capacités rythmiques et vocales.

    En arts plastiques, une année sur le renard, sur le corps ou sur la traduction des émotions, mouais... c'est un peu restrictif, déjà. Et cela risque fortement de lasser...

    En français (je crois que vous appelez ça « littérature »), ça devient vraiment beaucoup, beaucoup trop restrictif ! Tout comme en maths, matière, vivant, espace, temps, histoire, géographie, sciences, éducation morale et civique, langues vivantes étrangères ou régionales et j'en oublie certainement.

    Alors, pour céder à la manie des thèmes, sans toutefois priver les élèves d'une instruction, si ce n'est plus clinquante mais au moins large et complète, je propose un nouveau thème, auquel tous les domaines des programmes peuvent être rattachés :

    La Foire aux Savoirs

    Cette foire ressemblera un peu à notre cour de récréation du début. Sauf que, ayant une durée de 5 h 15 à 6 h par jour, selon que nous serons dans une école fonctionnant sur 4,5 jours ou sur 4 jours, les intérêts flagrants de la majorité du groupe varieront au cours même de la journée et que nous, enseignants, les marqueront par les changements de dominantes, de domaine en domaine. Et qu'ils varieront d'autant plus vite que les enfants seront jeunes et peu habitués au milieu scolaire.

    Son but sera de faire de chaque journée une grande braderie dans laquelle chacun s'enrichira de connaissances, compétences, capacités et éléments de culture nouveaux.

    L'enseignant cherchera à ce que, au cours de la journée, les enfants aient été confrontés à un nombre important de domaines, d'une part pour ne pas les lasser mais aussi pour ouvrir leur esprit à la variété de ces savoirs, tous aussi importants les uns que les autres pour de jeunes enfants qui ne savent pas encore grand-chose, ainsi qu'aux nombreuses connexions qui les relient, permettent des transferts d'un domaine à l'autre, faisant naître ainsi d'autres intérêts, d'autres découvertes, d'autres questionnements.

    Il s'évertuera à choisir des sujets d'observation, de recherches, de causeries, d'écoute (albums, contes, romans, musique) très variés pour nourrir leur curiosité et éviter la lassitude.

    Il pensera cependant à revenir plusieurs fois dans l'année sur les mêmes concepts, les mêmes genres littéraires, les mêmes notions, les mêmes savoir-faire juste pour donner à ses élèves que rien ne se crée, rien ne se perd mais que tout se transforme, se combine, s'interpénètre...

    Il se contraindra à ce que, lorsqu'un intérêt flagrant naîtra chez ses élèves et que celui-ci sera compatible avec les programmes scolaires du cycle  auquel ils appartiennent, surtout aux cycles 1 et 2, à satisfaire leur intérêt d'autant plus vite qu'ils sont plus jeunes.
    Chez les plus âgés (CE2 et cycle 3), il pourra différer un peu ou proposer à une équipe d'effectuer des recherches et de les présenter à la classe dans un temps dédié de la semaine, pendant lequel le concept de Foire aux Savoirs sera institutionnalisé.

    Enfin, dès la plus petite classe (TPS) jusqu'à la plus grande (CM2), le contrat sera passé dès les premiers jours, en des termes et des méthodes adaptés au public concerné :

    À l'école, tout est apprentissage. Le jeu, c'est de collectionner les savoirs, de les partager, de les échanger, dans tous les domaines et à longueur de journée.

    ♥ Chez les plus jeunes (TPS/PS/MS) :

    On commencera par une « phase d'approche » très courte, d'une quinzaine de jours tout au plus, pendant laquelle les enfants prendront possession de locaux aménagés mais neutres (pas de décorations « bananes et cocotiers » ou « dinosaures et autres grosses bêtes » parce que le thème de l'année ou de la période, c'est la production fruitière des Antilles telle qu'on l'imagine en métropole ou l'influence de l'œuvre de Spielberg sur l'imaginaire collectif de l'enfant de deux à quatre ans).

    Pendant cette période, les enfants trouveront matière à quelques interrogations ou constatations simples grâce au matériel mis à leur disposition, aux jeux et jouets qu'ils manipuleront en salle de motricité, en classe ou dans la cour, aux comptines et chants qu'on leur chantera, aux images et histoires qu'on leur donnera à observer ou écouter.
    Le choix du répertoire (comptines, chants, albums et contes dits et mis en scène) pourront déjà partir tous azimuts au gré de l'envie de l'enseignant ou suivre un léger fil directeur, par exemple : je suis à l'école ou j'aime l'eau ou encore je fais connaissance avec le lapin, le poisson, la tortue qui habite dans ma classe ou tout autre intérêt qui permette à l'enfant d'intégrer ce nouveau lieu sans risquer d'institutionnaliser l'angoisse de la séparation, ni d'éprouver la nécessité de produire des œuvres standardisées ou encore de poursuivre à l'école la starisation de sa petite personne qui le prive des joies de l'anonymat au sein d'un groupe régi par autre chose que les affects.

    Après une quinzaine de jours de ce climat de confiance qui s'établit, au cours desquels on aura encouragé les essais et tempéré les erreurs et les échecs par des : « Ce n'est pas grave. Tu vas apprendre. L'école, c'est pour apprendre tout ce qu'on ne sait pas encore faire, alors tu vas apprendre... », voilà qu'un beau matin, ou soir, un groupe d'élèves se signalera par son intérêt pour... les tortues de la caisse à peluches, à moins que ce ne soit la clé à molette de la trousse à outils, le grain qu'a semé la petite poule rousse, la moto du policier qui était devant l'école ce matin ou les splendides barrettes à paillettes de la Lolita de l'année !
    C'est là que démarrera le premier thème de la Foire aux Savoirs... que nous tenterons de faire évoluer vers quelque-chose d'instructif, permettant des acquis dans les domaines de la reconnaissance et de l'identification sensorielle, dans ceux du repérage spatial et même parfois du raisonnement et de la créativité.

    Il durera un jour... ou deux... rarement plus.
    Il aura consisté en :

    • éventuellement une recherche de documents complémentaires qui auront permis d'élargir un tantinet l'apport culturel :

    - les tortues, les escargots ont une carapace dure... les tortues sont lentes... certaines tortues vivent dans l'eau alors que d'autres vivent sur terre...

    - la clé à molette a cette petite molette qui tourne, comme un bouchon de bouteille de lait, comme une vis, comme le robinet de la cour... elle ouvre et ferme la bouche comme la pince...  elle est en métal comme les autres clés, celles qui n'ont pas de mollette, comme la tenaille et la pince...

    - le grain de la petite poule, c'est comme les grains de riz et les lentilles, tout petit, tout rond, ça roule sur la table comme des petites billes... ça fait pousser des plantes... on en mange... cuit... alors que la poule le mange cru...

    - la moto, ça a un moteur, ça avance, ça fait du bruit, comme les scooters voitures, les camions, les engins de chantier, les avions, les hélicoptères... c'est beau, ça brille, c'est en métal... il faut mettre un casque, un blouson et des bottes... ça a deux roues comme les vélos, les trottinettes, les scooters... c'est gros et lourd, plus que le vélo, la trottinette ou le scooter...

    - quant à la belle barrette rose de notre star à paillettes, ça attache les cheveux, qu'on a coiffés avec une brosse et un peigne, que la coiffeuse a coupés, qui sont courts, ou longs, ou rasés, raides, ou bouclés, ou frisés... ça a un petit crochet qui coince les cheveux entre les deux morceaux qui la composent... le morceau du dessus est joli, il brille, il est décoré et celui du dessous n'est ni joli, ni décoré...

    • un essai d'investigation sensorielle :

    - Ah ! le bruit de la barrette de Lolita quand on l'attache ! 

    - Oh ! Les jolis enfants-tortues qui portent leur carapace sur leur dos en marchant, comme des tortues, à quatre pattes, dans la salle de motricité, en portant sans les faire tomber un foulard, une brique ou un plot sur le dos !

    - Oui ! C'est bien la moto que Rayan a sortie du sac après en avoir palpé les objets qu'il contenait un à un ! Et il l'a reconnue à ses deux grosses roues, bien plus larges que les roues du vélo qui en a deux, lui aussi, et bien plus grandes que celles de la trottinette !

    - Bravo ! Rien qu'en sentant l'odeur qui s'échappe du sac, nous avons reconnu le grain de la petite poule rousse et éliminé le riz et les lentilles auxquels il ressemble pourtant quand on le touche !

    Il n'y aura rien à noter, rien à cocher. La classe sera juste prête pour le deuxième intérêt de l'année, toujours dans le but de collectionner les savoirs de toutes sortes :

    • les savoirs moteurs, les plus importants à cet âge-là qu'il s'agisse de motricité large ou de motricité fine
    • les capacités de reconnaissance et d'identification sensorielle
    • le langage  : les mots, le lexique
    • la mémoire épisodique, les repères temporels
    • le repérage spatial
    • les premiers éléments de culture, engrangés grâce à la mémoire affective : les histoires, les comptines, les chants, les contes...

    Au fur et à mesure de l'année scolaire, cette quête incessante de savoirs variés aura sans aucun doute permis d'aborder :

    • le monde merveilleux des dinosaures de Jurassic Park,les châteaux forts de Shrek, la colombe de la paix de Picasso que les Poilus de 1918 ne connaîtraient que 31 ans plus tard mais qui symbolise paraît-il si bien l'Armistice du 11 novembre 1918 et le drame de la Shoah (ah non ! pas ça ! ce n'est pas encore devenu incontournable en TPS... même si, en haut lieu, certains y réfléchissent peut-être aussi sérieusement que le Président de la République qui a réussi, malgré les cris de Mme Simone Veil, à imposer l'étude de cet indicible désastre humain aux enfants de dix ans et moins)
    • mais aussi la gestion des émotions de la colère à la joie en passant par la tristesse, l'empathie et l'affection,
    • sans compter la découverte de certains de ces pays étranges et lointains où vivent les kangourous et les ours polaires, les pieuvres et les yacks, les Sioux et les Hmongs qui font les jolis tissus colorés qu'on voit sur Pinterest (euh... ça non... enfin, je ne suis pas sûre... mais, d'un autre côté, à trois ans et demi, est-ce si grave ?...)
    • et peut-être même le fameux renard dont l'étude se doit de passionner une classe pendant toute une année scolaire après que la maîtresse aura exposé, toujours sur Pinterest, le magnifique renard dessiné et peint par les élèves elle-même au plein cœur de l'été sur la porte de sa classe...

    Sans compter tous les autres savoirs qu'une maîtresse ou un maître ne pourrait introduire dans un thème long et compliqué et qui sont pourtant si importants pour comprendre le monde, tenir un raisonnement cohérent, faire preuve de créativité, commencer à aborder des concepts plus abstraits...

    Et en fin d'année, ils seront tous prêts à aborder, dès la prochaine rentrée, une nouvelle année placée sous le signe bienveillant de la Foire aux Savoirs, à la manière TPS/PS/MS ou à la manière GS/CP/CE1 s'ils viennent de fêter ou s'ils fêteront très prochainement leur cinquième anniversaire.

    ♥ Chez les « ni grands, ni petits » (GS/CP/CE1) :

    Quand ils arriveront, grâce à la Foire aux Savoirs à laquelle ils auront participé pendant deux ou trois ans, ils auront déjà tout compris :

    « Au centre de loisirs, à la MJC, à la ludothèque, en colonie de vacances, on s'amuse... souvent autour d'un thème choisi pour la semaine, la quinzaine, le trimestre ou l'année...
    À l'école, c'est différent : on apprend tout ce qu'on peut, dans tous les domaines qui nous concernent, pour le plaisir de savoir toujours plus de choses et de pouvoir les utiliser seuls en toute autonomie. Ça n'empêche pas le plaisir et le jeu, loin de là. Ça apprend, et c'est une conquête supplémentaire, que l'effort et la capacité à se dépasser sont aussi des plaisirs. »

    S'ils n'ont pas eu cette opportunité, nous pourrons néanmoins, en les aidant un peu, les aider à prendre conscience de la largeur des horizons qui s'offrent à eux en procédant aux quinze jours prévus chez les plus petits pour les élèves de GS, mâtinés de déjà quelques bouchons lancés en direction des nombreux savoirs de base à travailler au cours de l'année de préparation au cycle des apprentissages fondamentaux (activités quotidiennes très courtes autour des lettres et des sons, du geste d'écriture, du repérage spatial, des formes et grandeurs et de la comparaison des petites quantités) et en démarrant tout de suite l'année scolaire selon notre méthode des petits pas.

    Alors nous pourrons aller droit au but et égrener avec eux les savoirs qu'ils acquerront au cours de ces trois années :

    • écrire avec aisance motrice, lexicale et syntaxique
    • lire (c'est-à-dire déchiffrer et comprendre en même temps)
    • compter
    • calculer
    • réfléchir (raisonner)
    • découvrir le monde :

    - du vivant,

    - de la matière, 

    - du temps : quotidien mesurable mais aussi plus lointain, étudié de manière chronologique, sans anachronismes ni commémorations événementielles datées

    - de l'espace : formes, grandeurs mais aussi paysages et représentation

    - des arts : musique, arts plastiques, théâtre, mime, ...

    - de la littérature patrimoniale et contemporaine

    • s'organiser, planifier, juger seuls ou à plusieurs
    • faire du vélo, nager, courir, sauter, renvoyer une balle avec une raquette, jongler, marcher en équilibre sur une poutre, utiliser des outils, coudre, tricoter, tisser
    • faire preuve de créativité en chantant, dansant, mimant, peignant, dessinant, modelant, sculptant, ...

    À ce niveau-là, déjà, notre rôle sera plus important que chez les petits que nous accompagnions.
    Ici, nous nous devons de commencer à précéder leurs attentes, leurs intérêts, leurs découvertes, pour que les écarts ne se creusent pas entre nos élèves et ceux des écoles mieux dotées, situées dans des quartiers plus riches en témoignages culturels de toutes sortes et dont le public a à la maison un accompagnement plus complet, plus ouvert, plus « vitaminé » que celui qu'offrent les familles de nos élèves à leurs enfants.

    Nous adopterons donc, dans chaque domaine, une progression des savoirs et nous nous appliquerons à la suivre, semaine après semaine, sans impasse dans tel domaine au prétexte que :

    • nous, la musique, on n'y connaît rien,
    • le sport, ils en font ailleurs, en club ou au centre de loisirs,
    • les arts plastiques, je n'en fais pas, parce qu'ils font n'importe quoi et ce n'est pas aussi joli que ce que j'ai vu sur Pinterest
    • les sciences, c'est trop compliqué à mettre en place,
    • la lecture, l'écriture ou la division, ils sont trop petits pour les aborder,
    • l'histoire, la géographie, c'est ch...t
    • faire tous les jours la même chose et toujours raconter les mêmes niaiseries, c'est trop nul,
    • moi, j'ai trop envie de dessiner un renard sur la porte de ma classe, alors hein, je vais faire les renards, comme thème
    • etc.

    Cela ne nous empêchera pas de rester dans la même thématique en littérature pendant une quinzaine de jours chaque fois et de proposer des lectures en réseau sur, par exemple : le retour à la maison, les jeux d'enfants, la mer, les feuilles d'automne, la nuit, les chiens, le givre, la neige et la glace, les enfants et les adultes, le carnaval, les enfants qui travaillent, le printemps, les cabanes, les moyens de transport (c'est là que les savoirs amassés en cycle 1 sur la moto du policier vont ressortir !), les voyages autour du monde (programme de Lecture et Expression au CE).
    Ceci ressortira certainement dans les programmes d'orthographe et d'étude de la langue des plus âgés de nos élèves (CP et surtout CE1). Chez les plus jeunes, qui ne savent pas encore lire (GS et CP, pendant un à deux trimestres), ce seront les lectures offertes qui pourront jouer ce rôle de déclencheurs de nouvelles Foires au Savoirs.
    Nous pourrons y associer l'étude de poèmes et de chants à apprendre par cœur relatifs aux mêmes thèmes. Nous pourrons aussi en profiter pour observer et décrire des œuvres d'arts plastiques ou musicales évoquant de manière plus ou moins proche ces thèmes et en exploiter les techniques pour créer à notre tour, que ce soit grâce à nos mains et nos yeux ou grâce à nos oreilles et notre corps.
    Nous aurons l'occasion d'y voir développés des thèmes documentaires sur le même sujet et de compléter ainsi l'apport culturel des séances de Questionner le Monde.

    Nous aurons en revanche moins l'occasion d'y associer les mathématiques, sauf ponctuellement.
    Mais celles-ci auront plus de chance avec la deuxième série des déclencheurs : les quatre domaines d'Exploration (ou de Questionnement) du Monde, la matière et le vivant, c'est-à-dire les Sciences, l'espace, ou Géographie, le temps, ou Histoire pendant lesquels la numération, le calcul, les formes et les grandeurs, la géométrie et l'organisation des données pourront trouver de nombreux débouchés concrets qui aideront à bas bruit nos élèves à nourrir et donner du sens à leurs capacités d'abstraction.

    Là aussi, nous refuserons le thème, interminable, celui qui faisait redouter à ma petite Angèle, GS, le retour hebdomadaire des maîtresses des dents, deux jeunes stagiaires de l'ESPE adorables et vraiment charmantes avec les enfants mais qui avaient le défaut rédhibitoire de devoir mener, sur six semaines, deux séances par semaine sur l'hygiène bucco-dentaire – soit douze séances en tout, si mes calculs sont bons ! – ce qu'Angèle trouvait dramatiquement ennuyeux et pénible malgré les activités ludiques à base de pâte à modeler mâchée, de grosse brosse à dents qui nettoie les dents du lapin géant et autres attirails censés rendre digeste la phrase que tout élève peut comprendre et expliquer en cinq minutes : Les dents sont vivantes, pensez à les brosser.

    Nous choisirons plutôt d'alterner, avec légèreté, tout en restant exigeants sur les contenus. En première période, de septembre à mi-octobre, nous consacrerons ainsi pendant la première quinzaine (voir : C2 : Questionner le Monde - 1) :

    • deux séances à l'air,
    • deux au haricot,
    • deux aux paysages terrestres,
    • deux à la vie des hommes du Magdalénien

    La deuxième quinzaine, celles-ci seront suivies de :

    • deux séances sur le crayon,
    • deux sur la pomme,
    • deux sur la course apparente du soleil,
    • deux sur la vie dans un village gaulois

    et enfin, lors de la troisième quinzaine :

    • deux séances sur la balance,
    • deux sur le marron,
    • deux sur l'automne en climat tempéré
    • et deux sur la vie dans une ville de l'Europe romanisée

    Tout ne sera qu'effleuré, parce que nos élèves sont jeunes et qu'ils ont toute la vie devant eux pour revoir, retrouver, approfondir, relier, raisonner, organiser tous ces savoirs et en faire le sel même de leur existence. Tout sera rigoureusement exact et dégagés des licences littéraires et artistiques que se permettent parfois les auteurs et les illustrateurs d'albums de la littérature de jeunesse...

    Ainsi, en cours d'année, si nous ajoutons les thèmes mathématiques (numération, calcul mental, calcul écrit, grandeurs et mesures de longueur, de masse, de capacité, de temps, géométrie plane et en trois dimensions), tous les problèmes y afférant et tous les liens qui se créeront naturellement ou grâce à notre aide avec les arts, le sport et les autres domaines, si nous étendons cela à l'éducation morale et civique et aux premiers contacts avec une langue vivante, c'est une foultitude de savoirs de toutes sortes qui seront abordés, repris, étendus, reliés aux autres, organisés, modifiés en fonction de nouvelles découvertes, de nouvelles recherches, de nouvelles connaissances...

    C'est ainsi que nos élèves seront prêts à aborder la phase suivante de la Foire aux Savoirs, après trois ans de ce régime (mais cela peut être aussi après seulement un an si on travaille seul de cette manière, sans chercher à prêcher la bonne parole à ceux qui préfèrent continuer à faire tourner « la MJC[1] » ; c'est très personnel comme démarche, aussi personnel que de choisir le skate, la pomme à croquer ou les arabesques à la craie alors que tout le monde joue au foot dans la cour).

    ♥ Chez les grands (CE2/CM1/CM2) :

    Ici, plus de temps à perdre, surtout si, depuis un à huit ans, ils ont[2] :

    • évoqué les droits de l'enfant en TPS
    • trié les déchets en PS
    • fait le tour de la Patagonie orientale en MS
    • dessiné une fresque d'ambiance tropicale en GS
    • reçu des cartes postale au CP
    • appris à extérioriser leurs émotions au CE1
    • dansé avec les loups au CE2
    • regardé le renard sur la porte au CM1

    Nos élèves ont droit à un régime plus riche. Ils doivent recevoir, comme tous leurs camarades scolarisés dans ce pays, une éducation et une instruction complète qui ne mettra de côté à aucun moment la variété :

    • de notre langue
    • de la littérature
    • de l'instruction morale et civique
    • de notre culture mathématique
    • de l'art
    • des sciences et techniques
    • de l'histoire de l'humanité
    • de notre planète et de notre système solaire
    • des langues et cultures
    • et j'en oublie certainement

    Sans dénigrer le travail de nos collègues parce que notre rôle est de les pousser vers l'avant plutôt que de regarder derrière leur dos pour se trouver des excuses et des explications, nous leur proposerons de baser l'année scolaire que nous allons passer ensemble sur cette Foire aux Savoirs que nous voulons voir vivre dans notre classe.

    Nous aurons préparé dans un coin de la classe un tableau sur lequel nous inscrirons chaque matin avant leur arrivée les savoirs que nous comptons mettre en place avec eux dans chaque domaine et chaque soir nous les effacerons avec eux, symboliquement, pour qu'ils prennent conscience de ce qui était à faire et qui ne l'est plus. Ceci concernera tout autant le français et les mathématiques que les sciences et techniques, l'histoire, la géographie, l'instruction civique, l'éducation physique et sportive, les arts et les langues étrangères (et j'en oublie certainement).

    Nous aurons inscrit à l'emploi du temps un temps dédié de la semaine où chacun d'entre eux pourra, seul ou avec des camarades, présenter un savoir qu'il soit moteur, sensoriel, relatif à la mémoire langagière, à l'abstraction mathématique, aux connaissances spatiales, temporelles, scientifiques, techniques, aux arts. Et nous nous y tiendrons même si nous considérons que ça part dans tous les sens, c'est bien pauvre, ça devient trop compliqué, etc.
    Ce moment sera une des occasions les plus prégnantes de la semaine en ce qui concerne :

    • le respect des différences
    • le respect des règles de la communication
    • le respect des règles communes
    • l'initiation aux règles de la coopération
    • l'initiation au jugement
    • l'initiation à l'engagement

    C'est pourquoi, même s'il ne peut durer que 15 à 20 minutes par semaine, il est important d'arriver, peut-être peu à peu, à le mettre en place, sachant qu'il ne s'agit pas de donner un tremplin à Louis-Gonzague et Charlotte-Apolline qui ont déjà tout vu, tout entendu, tout étudié, mais bien de faire sentir à tous nos élèves, Louis-Gonzague et Charlotte-Apolline compris, qu'ils ont tous des savoirs et que l'école sert essentiellement à les leur faire partager, compléter, relier, organiser, modifier, enrichir, etc. 

    Ces quelques minutes, ajoutées aux (trop peu nombreuses) heures de classe de l'emploi du temps, toujours sans impasse magistrale (les échanges de service, ça existe, les manuels bien faits qu'il suffit de suivre pas à pas sans se prendre la tête aussi), permettront à nos élèves de sortir de l'École Primaire en s'y étant bien amusés et en ayant découvert que oui, les renards, la valse des émotions, les cartes postales du Guatemala et celles d'Hénin-Liétard, c'est très important, mais que, dans la vie, il y a des millions de choses tout aussi importantes et que, grâce à la Foire aux Savoirs, ils en ont déjà découvert des centaines !

     

    Notes :

    [1] Je précise que l’expression n’est pas de moi, mais d’une mère d’élève de REP+ qui félicitait une jeune collègue de ne pas avoir cédé à l’ambiance festive de l’école et d’avoir su, dans sa classe, intéresser ses enfants à d’autres savoirs que le hip-hop et la collecte des déchets (alors thèmes à la mode, comme le sont aujourd’hui les Tours du Monde et autres Valses des Epoques)...

    [2] Nota Bene : Vous remarquerez que je n'évoque ni la classe Harry Potter, ni les plans de travail des ateliers en autonomie, ni toute autre organisation de classe. C'est tout simplement parce que ces organisations n'affectent pas les connaissances et permettent, si on sait les mener, d'organiser tout aussi bien La Foire aux Savoirs que l'organisation classique de la classe-autobus interagissant avec l'enseignant pour apprendre tous les jours quelque chose de manière à avoir balayé tout le programme scolaire de toutes les disciplines scolaires à la fin de l'année.

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    T'aimes les thèmes, toi ?


  • Commentaires

    1
    Lundi 13 Août 2018 à 16:19

    Très intéressante cette réflexion, je trouve tout à fait pertinent de structurer l'intelligence des enfants sous cette forme. Je suis en train de lire ton manuel de Découverte du monde.

    J'ai une question qui ne me travaille pas tant que ça mais qui sera importante pour notre hiérarchie : qu'en est-il de l'évaluation dans cette façon de travailler ? 

      • Lundi 13 Août 2018 à 16:50

        Pour ma part, pas d'évaluation normative avant le CE1. À partir du CE1, en fin de période, quelques exercices de « bilan » qui pourraient s'intituler « Qu'est-ce que j'ai retenu au cours de la période ? ».

        Pour alléger tout cela, ils ne concernent que les savoirs savants scolaires (étude de la langue, mathématiques). J'y ajoute, pour faire bonne mesure une note de lecture (fluence et compréhension, comme d'habitude), une note de dictée (c'est une dictée du jour ni plus difficile, ni plus simple que les autres jours, elle est juste faite sur un autre support).

        Je me refuse en revanche catégoriquement à évaluer les sciences, l'histoire et la géographie comme si nous étions déjà au collège, au lycée ou à l'université. S'il y a quelque chose à évaluer dans ces matières, c'est la participation, l'intérêt, la prise de repères de plus en plus précis, etc. Mais pas les savoirs qui, selon moi, doivent revenir 5 fois au cours des 5 années d'école élémentaire (sans compter les fois où ils ont été abordés en maternelle, surtout pour les sciences et le repérage dans l'espace).

         

    2
    Claire de Bulle
    Mercredi 15 Août 2018 à 14:01
    Je suis d'accord avec toi mais malheureusement dans le LSU il faut mettre des notes dans ces disciplines... À moins de mettre comme compétence "montre de l'intérêt pour la leçon sur le chat"...
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    3
    Jeudi 16 Août 2018 à 14:18

    Oui, bien sûr... Et le remplir "à la louche", c'est embêtant.

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