• Savoir compter jusqu'à 100 (2)

    Savoir compter jusqu'à 100

    Illustration de Sophie Borgnet

    Suite de l'article de H. Canac, datant je le rappelle de 1947, à une époque où :

    - Tous les enfants n'avaient pas fréquenté l'école maternelle "réservée" aux enfants qui habitaient dans des villes de plus de 2 000 habitants et dont les mères travaillaient. 

    - Les petits "campagnards" avaient le plus souvent fait une année de Section Enfantine entre cinq et six ans.

    - Les horaires de l'école primaire étaient fixés à 30 heures de classe (lundi, mardi, mercredi, vendredi et samedi, toute la journée) avec peu de vacances pendant l'année scolaire et des vacances d'été allant du 14 juillet au 1er octobre (11 semaines).

    On y lira qu' au CP, comme aujourd'hui, on demandait juste la connaissance des nombres de 0 à 100.

    Mais que même si on déplorait déjà que la file numérique (apprise par cœur et récitée "bêtement") sévisse ici ou là, on demandait à ce que cette connaissance soit présentée de manière très différente de ce qu'on rencontre le plus souvent dans les fichiers de mathématiques de CP (y compris notre ami Picbille qui, s'il a retiré depuis bien longtemps la file numérique de son ouvrage est loin de présenter chaque nombre l'un après l'autre et de le faire décomposer et recomposer dans tous les sens et avec toutes les manières avant de passer au suivant)  .

    On y apprendra que, contrairement aux idées reçues, cette école d'il y a presque 70 ans ne conseillait pas le "par cœur" des tables d'addition serinées à outrance mais l'appropriation par les élèves de quelque chose de rendu conscient par la compréhension d'un concept.

    On y verra que, pour acquérir cette conscience, on y recommandait les manipulations, tout en mettant en garde contre une conception mécanisée de celles-ci.

    On y lira que le but recherché était une réelle formation mathématique, la plus complète possible. Le "calcul réfléchi" de l'ami Picbille débarrassé de la servitude des bûchettes, des barres, des doigts (et des billes, boîtes et valises ) ?...
    Dans l'article suivant, on apprendra aussi qu'on y enrichit la connaissance des décompositions du nombre en ne l'arrêtant pas à l'addition et à la soustraction mais ça, c'est une autre histoire.

    Et maintenant, place aux recettes de grand-père que je trouve quant à moi diablement modernes après les Confiteor psalmodiés en tapotant la file numérique...

    Savoir compter, et nommément savoir compter jusqu'à cent, c’est aussi, en effet, pouvoir dénombrer, à l'aide de la suite naturelle des nombres, une série ou collection           d'objets réels et présents. Soit, par exemple, une file de wagons. Je peux d'abord l'évaluer d'ensemble, en gros, d'un coup d'œil. Mais je puis aussi faire correspondre à chacun d'eux un nombre, en partant de 1 et en suivant l'ordre de la numération. A chaque wagon, je prononce le nom d'un  nombre ; et arrivé au dernier, il se trouve que je prononce le nombre 38. Je sais dès lors que la rame est de 38 wagons et non de 37 ou de 40. Je dispose dès lors d'un moyen d'appréciation beaucoup plus précis - et de plus large portée - que l'évaluation qualitative décrite plus haut. Ainsi certaines peuplades plus évoluées que notre berger primitif ont-elles appris à dénombrer grâce à un curieux système de numération, le premier objet étant mis en correspondance avec l'auriculaire gauche, le deuxième avec l'annulaire, et ainsi de suite en passant par le poignet, le coude, l'aisselle, et en redescendant ensuite le bras droit jusqu'à l'auriculaire. Ces bons sauvages se sont ainsi donné un pittoresque instrument de calcul, de portée limitée certes, moins maniable et moins astucieusement combiné que notre système décimal, mais qui rend des services tout à fait analogues.

    Ces techniques sont très précieuses et c'est sur elles seules que l'humanité a vécu durant des millénaires. Ce que les anciens appelaient calcul n'était rien d'autre que la manipulation et le dénombrement de petits cailloux, ou calculs, figurant les objets, sur lesquels on opérait.

    Mais dans la plupart de nos classes enfantines ou préparatoires, il n’est pas sûr, en dépit de quelques apparences spécieuses, qu'on s'élève beaucoup au-dessus du dénombrement mécanique. Lorsqu'un enfant compte sur ses doigts, compte des bûchettes ou des barres tracées sur l'ardoise, il ne fait que dénombrer des objets ; et de même lorsque, pressé de renoncer à ces béquilles,dans l'incapacité où il se trouve d'opérer d'un seul coup, il se récite mentalement la suite des nombres, les noms ainsi proférés, surtout s'ils sont nettement scandés, constituant à leur manière des objets concrets.

    Or ce sempiternel dénombrement, à quoi se réduit trop souvent le « calcul concret », présente au moins deux inconvénients : en premier lieu, comme il se ramène, qu'il s'agisse d'additions ou de soustractions, voire de petites multiplications ou divisions, à réciter un tronçon de la suite des nombres et à une opération, manuelle le plus souvent, de mise en correspondance d'une série d'objets à la série numérale, il constitue une méthode d'initiation lente, d'une monotonie fastidieuse, et qui ne peut passer pour active que si l'on veut confondre manipulation de matériel et activité de l'esprit.

    Le maniement des bûchettes, la gesticulation digitale, le preste tracé de barres sur l'ardoise, peuvent à la rigueur développer la dextérité de la main ; mais cette précieuse qualité trouve de meilleures occasions de s'affirmer dans d'autres disciplines. Le calcul, les mathématiques, voire à leurs humbles débuts, doivent développer une activité plus rationnelle, de l'ordre de l’esprit et non plus de l'ordre du corps; et cette pratique routinière laisse l'esprit vide et somnolent.

    En second lieu, il sera extrêmement difficile d'arracher l'enfant devenu grand à la servitude du calcul concret.

    Dans de nombreux cours élémentaires, ou même cours moyens, on trouve souvent de grands benêts qui comptent sur leurs doigts (en cachette, lorsque M. l’inspecteur est là) ou qui, sommés de résoudre une simple opération, comme 8 + 5, se récitent intérieurement à eux-mêmes : "8, 9, 10, 11, 12, 13" en évoquant des doigts imaginaires.

    Au vrai, avec ces élèves « mal débutés », comme on dit, il n'est qu'un moyen d'en sortir, qui est de leur faire apprendre par cœur les tables d'addition. Comme il a appris jadis la suite naturelle des nombres, le grand benêt de 8 ou 9 ans, si on l'assujettit tous les jours à répondre à des interrogations rapides sur la table d'addition (8 et 5 ? 4 et 3 ? 7 et 9 ?8 et 4 ?...) finira par proférer sans hésitation les groupes de mots : huit et cinq, treize ; quatre et trois, sept ; etc. et se libérera ainsi de la servitude des bûchettes, des barres ou des doigts.

    Oui, mais ce sera passer d'une routine à une autre. Or, il y a beaucoup mieux à faire. L'étude des premiers nombres peut donner occasion à une formation admirable de valeur éducative dont la méthode, ébauchée d'abord par de bonnes institutrices,reprise ensuite par les auteurs de certains manuels récents, vient enfin d'être officiellement consacrée par les programmes et les instructions de 1945. Cette conception nouvelle de l'initiation au calcul, qui n'est pas sans parenté avec les méthodes nouvelles d'apprentissage de la lecture, forme à notre sens, une des meilleures conquêtes de la pratique pédagogique au cours du dernier quart de siècle.

     Pour lire le reste de l'article :

    1. Après l'écriture, les nombres !

    2. ...

    3. Les cinq premiers nombres

    4. Les  nombres de 6 à 10

    5. Le nombre 10, la dizaine

    6. De 11 à 19, les irrégularités de langage

     7. De 20 à 69, "Trop fass', maîtresse !"

    8. Où l'on voit bien que 30 > 24

    9. Évaluation des acquis


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  • Commentaires

    1
    arce
    Mercredi 8 Janvier 2014 à 20:50

    Tu sais DC qu'il m'arrive parfois de compter sur mes doigts... Paresse?

    2
    Mercredi 8 Janvier 2014 à 20:55

    Rhôôôôô ! Bah alors...

    3
    Jeudi 9 Janvier 2014 à 17:45
    Documents pour ceux qui ont un peu de temps
     
    * Les programmes scolaires incarnés peuvent se trouver sur les sites suivants : 
     
    * Le programme de calcul de 1945 dont il est question dans l'extrait est commenté un chapitre de
    H. Gossot, J. Herbinière-Lebert, F. Brunot - L'enseignement du premier degré. De la théorie à la pratique. Ed. Istra (1969)
    L'objet et la méthode de cet enseignement (447)
    Horaires et programmes (476)
    4
    Jeudi 9 Janvier 2014 à 17:47

    est commenté dans un ... 

    5
    Jeudi 9 Janvier 2014 à 18:24

    Merci Spinoza... Pratique pour les longues soirées d'hiver européen !

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