• Étudier le vocabulaire de la PS au CM2

    Programmer l'acquisition de vocabulaire

    Je ne crois pas que les méthodes « hors sol » qui consistent à travailler chaque jour un ou deux mots feront leurs preuves. C'est pour moi vraiment la préhistoire de la pédagogie, à l'époque où l'on pensait qu'un cerveau d'enfant était une outre qu'il suffisait de remplir pour qu'il se mît à penser et à raisonner.

    Depuis Michel de Montaigne (1533 - 1592), on sait qu'une tête bien faite vaut mieux qu'une tête bien pleine. Nos « penseurs » actuels l'ont un peu oublié mais j'espère que ça va revenir très vite.

    Une étude transversale

    Personnellement, même si j'ai tenté de m'adapter en proposant ceci (qui n'a intéressé personne à long terme, je pense), je fais étudier le vocabulaire de manière transversale, en le complétant par quelques leçons spécifiques qui peuvent se retrouver :

    → en maternelle dans le cours de chaque journée au fur et à mesure des jours (un enfant dit qu'il a entendu notre consigne et qu'il a « prendu » un crayon, un autre explique que son bras qui était plâtré parce qu'il était cassé a été déplâtré parce que maintenant, il est « décassé », etc.),

    → en élémentaire, dans les programmes visant à la connaissance des correspondances grapho-phonémiques, à l'acquisition de la grammaire ou de l'orthographe (l'alphabet, l'ordre alphabétique ; les familles de mots ; noms et verbes dérivés ; adjectifs et verbes dérivés ; les petits d'animaux ; fruits et arbres fruitiers ; les antonymes ; les mots homophones ; ...).

    Enrichir le lexique des élèves nécessite l'emploi personnel d'un vocabulaire riche et précis au quotidien dans la classe pour : les lectures, les textes à copier, les thèmes de Questionner ou Explorer le Monde, l'EPS, les Arts (chant, écoute musicale, techniques d'arts plastiques, étude d'œuvres plastiques, ...).

    Un exemple 

    ◊ Thèmes et acquisition de vocabulaire

    Vous savez que je suis contre les thèmes et projets longs comme un jour sans pain, choisis par l'enseignant, parfois pendant les vacances d'été, avant d'avoir ne serait-ce que croisé dans un couloir les enfants qu'il aura la charge d'éduquer et instruire.

    En revanche, vous avez dû vous rendre compte que, très vite, je privilégie les histoires à épisodes et les sujets de QLM sur deux ou trois jours, voire une semaine ou deux chez les plus grands.

    Le fait que cela dure quelques jours permet de répéter très souvent les mêmes mots et de brasser ainsi le champ lexical de ce conte, ce sujet de sciences, de géographie ou d'histoire.

    Le fait que ça ne dure pas trop longtemps, permet de fréquenter des milliers de mots au cours de l'année. Tout comme Charles-Donatien et Apolline-Constance qui de vacances chez Bonne-Maman en sorties familiales à Saint-Pétersbourg, au Metropolitan Museum of Arts de New York ou à la première de Yo-yo Ma à l'Opéra de Sidney, croisent à longueur de temps des mots nouveaux qu'ils ne retiennent pas tous mais qui les habituent implicitement à la variété du lexique et à la certitude que chaque chose, chaque action, chaque sentiment, chaque nuance est désignée par un mot précis qu'on peut retrouver facilement si on utilise les bons outils pour ce faire.

    ◊ CGP et acquisition de vocabulaire

    Au CP, la partie Étude des correspondances grapho-phonémiques de l'apprentissage de la lecture doit permettre aux enfants d'enrichir leur compréhension implicite de la dérivation, des familles de mots, des préfixes et suffixes usuels, etc.

    L'intérêt d'une méthode graphémique, c'est d'étudier les graphies une à une et donc de « profiter » de l'une d'entre elles pour instaurer une à une elles aussi, quelques règles de « fabrication de mots ».

    Par exemple : 

    ♥ lorsqu'on étudie la graphie eau en lecture, on fait déchiffrer des noms de petits animaux : le chevreau, l'agneau, le veau, le dindonneau, le perdreau, le lionceau, ... et, bien évidemment, on a son petit stock d'images (merci Google) qui montrent la chèvre et son chevreau, la brebis et son agneau, la vache et son veau, etc.

    ♥ les petits d'animaux reviennent avec la graphie on : l'âne et l'ânon, l'ours et l'ourson, le chat et le chaton, la cane et son caneton, ...

    ♥ avec la graphie ier, ce sont les noms d'arbres fruitiers qui sont lus, vus et expliqués et ainsi de suite.

    ◊ Grammaire et acquisition de vocabulaire

    En plus des « mots de la grammaire » (nom, verbe, article, phrase, majuscule, point, interrogation, exclamation, temps, présent, passé, futur, masculin, féminin, singulier, pluriel, ...), la grammaire, surtout si elle est conçue sous forme de jeux peut donner l'occasion d'enrichir le vocabulaire.

    Imaginons par exemple qu'on veuille en EPS, désigner des actions (pour un jeu de mime). Aux verbes du premier groupe (sauter, marcher, parler, dessiner, nager, ...) s'ajouteront sans doute des verbes du troisième (courir, partir, recevoir, boire, lire, ...) et, et là ce sera moins facile, quelques verbes du deuxième groupe moins connus des enfants (bondir, jaillir, franchir, grossir, grandir : 

    « Et, si je devenais tout rouge, on dirait que je suis en train de ... rougir, c'est cela. Voilà un nouveau verbe, le verbe « rougir » qui signifie que je deviens rouge. Qui connaît d'autres verbes qui signifient que je prends une couleur précise ? La couleur jaune, par exemple ? À l'automne, les feuilles ... ? Jaunissent, c'est cela. C'est le verbe ... ? Jaunir, tout à fait ! Continuons un peu : la couleur rouge donne le verbe rougir, la couleur jaune donne le verbe jaunir, et la couleur verte ? et la couleur bleue ? et la couleur noire ?... »

    Il faut vraiment que ce soit un état d'esprit, c'est pourquoi je râle souvent après les méthodes de lecture actuelles qui privilégient le « bouffe-syllabes » et la sempiternelle réutilisation d'un tout petit corpus de mots à la patiente acculturation des enfants.

    ◊ Un support visuel aide l'intérêt

    Chez les petits, de maternelle, du CP et parfois du CE1, on peut imaginer que tout ce stock de nouveautés visuelles – quel enfant des « quartiers » a déjà vu « en vrai » une chèvre et son chevreau, une perdrix et ses perdreaux, etc. ? – et auditives donne prétexte à affichages : de grandes affiches où sont exposés les « champs lexicaux » ainsi constitués ou des fiches « mots » où seul un mot ou un couple de mots est présenté (la fiche de la cerise et de son cerisier, celle de la pomme et de son pommier, etc.).

    C'est là que ces images que j'avais collectées (il y en a 25 séries, la 26e étant consacrée aux lettres et sons) peuvent servir, tant en maternelle qu'au CP ou même plus tard. .

    ◊ Valoriser le support visuel

    Cependant, ce support visuel n'aura d'intérêt que s'il est valorisé à long terme plutôt qu'évalué à la fin de la période qu'on lui a consacrée. Et comment mieux les valoriser qu'en rendant leur consultation indispensable et fréquente ?

    C'est là qu'entre en action la vie de la classe, bien plus efficace selon moi que le rituel déconnecté où, chaque matin, on prend un mot ou deux qu'on sort de son contexte pour l'étudier ou encore que l'album-prétexte qu'on égraine pendant quelques semaines et qui débouche en fin de course sur une évaluation normative des acquis lexicaux (les fameux « tue-l'amour » de raconter des histoires).

    Là, c'est plusieurs fois par jour, par semaine, par mois et par an qu'au hasard des chants, poésies, lectures et séances d'exploration du monde (QLM/Histoire-géo-sceinces), les enfants retrouvent la lionne et son lionceau, le tailleur qui taille les pièces d'un vêtement, le pommier qui donne des pommes d'or, etc.

    ◊ Pour cela, il faudra :

    1. Privilégier des œuvres à haute valeur culturelle, préférer par exemple Maurice Carême, Jacques Prévert, Victor Hugo, Jean de La Fontaine, Paul Eluard, Pierre Menanteau, Eugène Guillevic et tant d'autres à Corinne Albaut, Julie Legrand et autres inconnus sans doute très sympathiques mais n'ayant pas acquis la notoriété que donne l'excellence. Et le faire souvent et tout le temps.

    2. Même chose pour les chants où l'on évitera les allusions aux « cônes de shit » et autres horreurs que je lis sur les réseaux sociaux (plus au niveau CM que CP, quand même) au profit du répertoire traditionnel (il y a des harmonisations très actuelles qui font que, très vite, les enfants se régalent autant à chanter des vieux « tubes » du XVIIIe siècle ou du XXe qu'à seriner le dernier tube à la mode) et de chanteurs exigeants cherchant à élargir le champ de vision des enfants plutôt qu'à les enfermer dans leur monde de « gamins des quartiers » ou à se contempler sans arrêt le nombril et les émotions que cette cicatrice est censée contenir[1].

    3. Et même chose pour la littérature où la variété apportera plus que les lectures au long court, certes bien sympathiques pour fabriquer des hellénistes distingués ou de futurs petits sorciers (vous voyez de quelles œuvres je veux parler) mais privant pendant ce temps  tous ceux qui ne deviendront pas hellénistes ou sorciers d'une acculturation large et éclectique.

    À l'école, une fois passée la « période d'apprivoisement » (en gros TPS, PS et MS), on lit et on fait lire des grands auteurs, des contes traditionnels mais aussi des « romans pour enfants » lus par épisodes, commentés, éclairés d'images (celles collectées grâce à l'apprentissage de la lecture et celles qui naîtront des « leçons » citées ci-dessous) et rappelés ensuite par leur présence à la bibliothèque, le visionnage de films et dessins animés et quelques œuvres plastiques les évoquant.

    Avant, pendant la « période d'apprivoisement », on manipule le plus possible de livres de toutes sortes, albums avec et sans textes, avec et sans trous, avec et sans peluche, imagiers, livres-jeux, etc. Tout ce qu'ont Charles-Donatien et Apolline-Constance dans leurs bibliothèques. Et ces livres de toutes sortes, on les feuillette, on les regarde, on y trouve un dessin, un objet, un détail qui fédère l'intérêt du groupe, et là, c'est gagné ou presque. Il suffit d'entretenir la flamme, de la faire grandir, de l'alimenter et peu à peu, on arrive à l'histoire qu'on raconte, presque sans montrer les images et qui passionne tout le monde.

    4. Privilégier les  « leçons » de sciences, histoire et géographie très courtes et très variées, traitant de sujets riches, apportant la compréhension et le vocabulaire spécialisé qui va avec, plutôt que les sempiternels frises chronologiques de ma vie, calendriers des anniversaires, étude de documents historiques auxquels seuls Charles-Donatien et Apolline-Constance comprennent quelque chose et expériences consistant à faire jaillir de la purée en flocons d'un faux volcan...

    Enfin, comment évaluer tout cela ?...

    Tout bêtement en élevant le niveau graduellement  et en suivant leurs échanges verbaux. On pourra alors s'évaluer, ce qui est beaucoup plus important que d'arrêter le processus en cours de route pour voir si lui, et lui, et elle, et elle ont retenu 6 noms, 3 verbes, 4 adjectifs précis après les séances de la période 1 sur la rentrée des classes :

    →  les enfants suivent toujours, montrent de l'intérêt, cherchent à comprendre ce que nous leur racontons, même quand c'est un peu difficile, c'est que le niveau de langue choisi est le bon

    → les enfants ne suivent plus, c'est soit que nous sommes trop exigeants, soit que nous n'arrivons pas à capter leur intérêt car le thème choisi est trop lointain pour eux

    → les enfants réemploient une partie du vocabulaire travaillé dans leur vie de tous les jours, ils jouent aux Trois Mousquetaires à la récréation et on les entend hurler : « ¨Planchet, mon haut-de-chausse, ma rapière et mon mousquet, que diantre ! Le cardinal m'attend à Versailles, je dois intercepter le courrier de Londres avant qu'il ne prenne la mer à Calais ! », c'est que nous sommes des champions hors-catégorie et que nous sommes arrivés à transformer nos « enfants perdus de la République » en petits élèves de l'École Alsacienne ou du Cours Hattemer !

    Note :

    [1] Petite astuce d'Alexiane que je remercie pour ceux qui chercheraient de la musique avec des textes de qualité : sur le site de Canopé, il y a "musique prim" où se trouvent des dossiers avec pour chaque musique, les paroles mais aussi une piste d'accompagnement et un exemple chanté par la maîtrise de Radio France. Dans ces dossiers, on trouve notamment toute une série d'harmonisation de musiques traditionnelles (plutôt cycle 3) ainsi que des poèmes classiques mis en musique par Isabelle Albouker (plutôt cycle 2). Je suis musicienne mais je trouve ça très pratique pour les non-musiciens, de qualité et gratuits !


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  • Les rituels


    Une petite illustration anglaise ou américaine pour ne vexer personne...

    Depuis des années, dans quelque classe que je sois, mes seuls rituels sont le langage oral, la lecture, l'écriture, l'étude de la langue, les maths, QLM/Explorer le monde/Histoire-Géo-Sciences, l'EPS, les arts plastiques, la musique et l'anglais à heures fixes. C'est fou comme ça sécurise les enfants et comme ça nous fait gagner du temps !

    Au CP, par exemple,

    Je commence la matinée par 20 des 30 minutes d'activités physiques quotidiennes conseillées par les médecins. Pendant ces 20 minutes, j'organise des jeux sportifs au cours desquels les mathématiques sont largement sollicitées (numération, calcul mental, géométrie, mesures).

    Au bout de 20 minutes, nous entrons en classe. Pendant que je vérifie les carnets de liaison, ils copient sur leurs cahiers du jour la date que j'ai écrite sous leurs yeux en la lisant. C'est notre rituel de la date, qui leur apprend à se repérer dans le temps sans perdre pour cela un quart d'heure chaque jour à déplacer des étiquettes.

    Dès que j'ai fini, nous passons à la 1re séance collective de lecture, très ritualisée puisque je suis la progression de mon manuel de lecture : découverte d'une graphie, gestes de l'écriture de celle-ci, lecture d'éléments la contenant le premier jour, lecture de mots, phrases et très vite texte comportant un important volet 'compréhension' le deuxième jour.

    Une fois la lecture finie, c'est le travail sur le cahier du jour : dictée, écriture, exercice d'entraînement, production d'écrit. Les enfants qui finissent avant l'heure de la récréation m'apportent leur travail à corriger. Nous le regardons ensemble et, si tout est correct, ils vont prendre une occupation dans le coin "délestage" : livre, feuille de dessin et feutres ou craies d'art, pâte à modeler, jeux de construction géométrique, jeux d'imitation, loto des Alphas, puzzle, ... Cela me laisse du temps pour m'occuper des élèves fragiles et les accompagner dans leur travail.

    Après la récréation, séance collective de mathématiques puis exercices sur le fichier. Même principe pour la correction des exercices et les activités de délestage.

    L'après-midi, en arrivant, nous commençons par 25 minutes d'EPS pendant lesquelles je tente d'introduire du vocabulaire ou des comptines en anglais.

    Puis se succèdent les séances collectives de QLM et d'arts plastiques ou musique.

    Après la récréation, nous commençons par la relecture de la page du jour suivie par le travail sur le fichier d'exercices lié à la méthode. Pendant les corrections individuelles, les enfants prennent leurs cahiers de QLM, de poésies ou de productions d'écrits et améliorent leurs dessins.

    Quand tout le monde a fini, c'est l'heure de préparer les cartables et d'écouter l'histoire ou le poème que je leur lirai.

     En maternelle, ce serait

    Accueil dans la cour, entrée en classe pour aller au coin de regroupement et séance de langage du style Quoi de neuf aménagé.

    Puis passage aux toilettes, suivi d'un moment de dessin libre et dictée à l'adulte (souvent dans l'autre sens avec les GS, la séance de Quoi de neuf s'étant terminée par un écrit collectif).

    C'est alors, et jusqu'à la récréation, le temps des ateliers libres : coins d'imitation, coin livres et images, jeux de construction, activités sur table (puzzles, abaques, perles, tableaux à double entrée, etc.), pâte à modeler, tissage, découpage/collage, peinture, etc.
    En GS, ce temps est un peu écourté par le quart d'heure quotidien consacré à l'exécution des séances d'éducation aux gestes de l'écriture cursive (voir Mon cahier d'écriture, GS de Laurence Pierson).

    Après la récréation, nous enchaînons par la séance de motricité du matin au cours de laquelle, selon ma bonne vieille habitude, on retrouve énormément de composantes « structuration de la pensée, de l'espace et du temps », suivie, jusqu'à l'heure de la sortie par la séance de musique/chant/comptine, au cours de laquelle l'éducation de l'ouïe, l'articulation – et donc la phono – tiennent le haut du pavé.
    C'est au cours de cette séance qu'en GS, je présenterai bientôt les Voyelles puis les Consonnes (voir progression De l'écoute des sons à la lecture de Thierry Venot).

    L'après-midi, avant la sieste des petits et après l'accueil dans la cour, nous débutons par un petit quart d'heure de lecture offerte (courte histoire, comptine ou poème). Puis c'est le passage aux toilettes, suivi de la sieste des plus jeunes.

    Avec les plus âgés, en GS, nous commençons par le travail sur les fichiers : un petit exercice pour ponctuer le travail d'écoute des sons et préparation à la lecture, un autre pour conclure la séance d'EPS pendant laquelle nous avons appris à nous repérer, compter et calculer. Les MS suivent à peu près le même chemin mais sur un terrain plus proche du jeu que du réel exercice écrit (coloriage, découpage, jeux éducatifs du commerce, ...).

    Ce petit moment passé, c'est tous ensemble que nous continuons l'après-midi : observations, expérimentations, dialogues à bâtons rompus sur un sujet qui passionne tout le monde, confection d'un objet, d'une affiche collective, rédaction d'une lettre à des amis, aux familles, les occupations sont variées.

    Si l'attention flanche, c'est qu'il est l'heure de laisser chacun vaquer à ses occupations, dans les coins-jeux de la classe (voir matin, sauf peinture), d'autant que, dans les classes à plusieurs niveaux, certains « siesteux » nous rejoignent.

    Puis, c'est la récréation. Après celle-ci, à nouveau un peu de sport et de musique. C'est souvent le moment de l'expression corporelle, des rondes et des jeux dansés.

    Quand la fatigue de la journée se fait sentir, je regroupe ensuite tout le monde pour que nous lisions une histoire. L'exploitation de l'épisode du jour se fait selon la démarche développée par Pierre Péroz, plus souple selon moi que la façon de faire de Narramus.

    Et chez les Grands qui savent lire (CE1, CE2, CM)

    Toujours pas de rituels, sauf exceptionnellement, pour relever les températures et apprendre à faire un graphique et une moyenne par exemple.

    Et toujours un emploi du temps très ritualisé, conçu comme une succession de gros « blocs » dans lesquels la souplesse régnera lorsqu'il s'agira d'évoluer en fonction des capacités des élèves.

    Au sein des gros blocs du matin, toujours destinés au français et aux mathématiques (ce qui n'empêche pas, au CE1 surtout, de passer un moment en activités physiques puisque les mathématiques se marient très bien avec l'EPS), j'alterne un moment collectif, un moment en autonomie guidée puis un moment en totale autonomie. C'est très pratique en multi-niveaux lorsque les deux tiers ou les trois quarts de la classe sont en totale autonomie (plan de travail par exemple) et qu'on peut se consacrer quelques minutes, souvent ça suffit, au tiers ou au quart restant.

    L'après-midi, c'est à 99 % du collectif, que ce soit pour une classe à une seul niveau ou pour une dans lesquels se côtoient plusieurs niveaux. Collectif en histoire, en géographie et en sciences, collectif en EPS, en arts plastiques et en musique bien sûr et collectif en anglais.

    Tout d'abord parce que c'est plus simple, ensuite parce que cela apporte beaucoup plus à chacun, enfin parce que l'école élémentaire est, comme son nom l'indique, l'école des savoirs élémentaires, ceux qui s'installent sur la durée, par la répétition et l'action et pas l'école de la compétition acharnée, ni celle de l'installation suivie de l'évaluation des connaissances livresques étendues qui bloquent plutôt qu'elles ne servent la compréhension.

    Souvent je me sers des séances d'histoire, géographie ou sciences pour rajouter un peu de lecture documentaire aux lectures littéraires menées le matin pendant l'horaire de français. Cela me permet d'avoir fait lire à voix haute chacun de mes élèves chaque jour (quelques-uns lisent en mathématiques, puisque nous avons chaque jour ou presque la résolution d'un ou plusieurs problèmes au programme).

    En résumé,

    Faire tous les jours du français, des maths, de la culture générale, du sport, des arts et une initiation à une langue étrangère permet d'acquérir en profondeur et sur la durée tous les petits savoirs ponctuels que traitaient les « rituels ».

    On économise du temps, de l'énergie, du matériel et on sauvegarde un peu l'avenir de la planète en ne pratiquant plus ces activités souvent à base de panneaux, tableaux, étiquettes imprimées et plastifiées qui finalement n'apportent pas grand-chose de plus à notre enseignement.


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  • ELCP : Et la fluence ?
    Merci à Xavier Laroche pour son illustration

    La fluence en tout début d'année

    a) sur la phrase d'ouverture

    Imaginons un enseignant qui demanderait à ses élèves sortant de GS de débiter d'un trait sans pause ni respiration la tirade suivante :

    [tyavyləʃailʃas]

    Il ferait exactement le contraire de ce que l'enfant doit apprendre à faire, soit :

    [tyy] ... [aaa]... [vvvyyy]... [llləəə]... [ʃʃʃaaa]... ???

    [iiilll]... [ʃʃʃaaassss]...

    Et pourquoi doit-il faire ça, qui est si loin de ce qu'il fera plus tard, lorsqu'il lira pour lui-même ou pour les autres :

    Eh bien tout simplement parce que, pour le moment, ce qui nous intéresse, c'est que ce petit enfant qui, en maternelle, a appris que « ça, c'est [te], ça, c'est [y], ça, c'est [ɛl], etc. » doit maintenant apprendre à fixer son regard successivement sur chacun ces symboles dont il connaît le nom et en apprendre à la fois le son ou l'articulation et la façon dont ce son ou cette articulation se lient au prochain, formant des « mots », ce truc abscons dont il a appris le nom en passant par la face nord, abrupte et très accidentée, au lieu de laisser les enseignants de fin de GS et de CP les présenter par la face sud, celle qui grimpe tout doucement au milieu des prés fleuris et des sources glougloutantes.

    À la fin de cette première page de son manuel de lecture, il aura commencé à apprendre à se freiner, ralentir sa voix, faire marcher ses yeux de gauche à droite posément, en s'arrêtant sur chaque signe, chaque mot.

    Nous l'y aurons aidé en distribuant à chaque élève de la classe une étiquette, les uns recevant un Tu, les autres un as, les suivants un vu, etc.

    Il aura dû retrouver son étiquette dans la phrase du tableau s'il arrive au CP vierge de tout apprentissage graphémique (il y en a encore), puis recommencer à ânonner la phrase mot à mot pour associer ce mot écrit au mot oral correspondant.

    « Tuuu.... as... vu... le... chat... ?.... Il... ! C'est il, j'ai il ! »

    S'il a déjà une vague idée de la combinatoire, il raisonnera par déduction :

    « Mon mot commence par V, alors c'est vvvvu ! »... « Moi, le mien a un L et un E, ça fait llllleeee.»...

    Et s'il « sait lire » comme disent nos collègues de GS devant tout enfant qui est passé du stade de la reconnaissance ponctuelle d'un signe ou deux et a déjà conscience que « c'est facile puisque ça marche toujours pareil », il dira quasi instantanément en recevant son étiquette :

    « C'est Tu ! C'est moi qui commence la phrase ! » ...  « Et moi, j'ai chasse. Plus que Noam après moi pour le point et la phrase sera finie. »

    La dernière phase du travail sur cette phrase réclamera encore une fois de ralentir la diction pour « appeler chaque mot » à son tour au tableau :

    « Tu... Qui a le mot Tu pour le fixer au tableau ?... C'est Basile !  Viens Basile... Tu colles le mot et tu nous le lis... Tu...

    Et maintenant, quel mot prononçons-nous ? Tu... ??? as ! Oui, c'est as... Qui a as ? C'est Féline, viens Féline... Tu colles le mot à côté de Tu et tu le lis... Tu... as... »

    Etc.

    b) sur les graphies à connaître

    Ce travail préparatoire est essentiel pour que les enfants puissent naturellement énoncer le son de ces graphies, quasiment sans autre aide qu'un encouragement à regarder et écouter attentivement en même temps.

    Maintenant il connaissent presque tous les mots chat et chasse. Ils ont remarqué qu'ils étaient difficiles à distinguer par la vue parce qu'ils commençaient tous deux par la même série de 3 lettres : C, H et A.

    Nous allons leur demander de ralentir encore le rythme d'émission de son de manière à pouvoir percevoir précisément le son qu'elles produisent. Ce qui fait que les concours de vitesse d'émission des bruits

    [ləʃa] et [ilʃas], voire [lʃa] et [iʃas],

    ne nous intéressent absolument pas et que nous allons au contraire les combattre. Jusqu'à arriver à ce que chacun de nos élèves arrive à isoler visuellement

    ch et a

    et à les associer à

    [ʃ] et [a]

    C'est pourquoi, lorsque nous en arriverons à la partie entraînement de cette première page, qui en est en quelque sorte la trace écrite,

    La fluence en début de CP

    nous nous garderons bien de demander à nos élèves de mettre en route la mitraillette à paroles mais bien au contraire de se concentrer pour obliger leurs yeux à s’appesantir sur chaque série de signes et leurs bouches à articuler très précisément le son qu'ils produisent.

    c) sur la phase de compréhension

    1. Mécanisme de la combinatoire

    La fluence en début de CP

    Le lendemain, les élèves ont déjà un petit bagage qui pourrait leur permettre de « faire la mitraillette ».

    « Ouais ! Fastoche ! C'est encore : [tyavyləʃailʃas] ! »

    Mais nous, patiemment, nous allons réclamer autre chose. Pour obtenir que bientôt, ils puissent aller un peu plus vite parce qu'ils auront compris ce qu'il faut faire. Parce qu'ils auront en quelque sorte « craqué le code secret » dont usent et abusent les adultes et dont ils étaient jusqu'à maintenant écartés (même si les maîtresses de GS avaient coché sur leur LSU la case : Reconnaît les mots LUNDI, MARDI, MERCREDI, JEUDI, VENDREDI, SAMEDI).

    Et nous recommencerons les jeux permettant d'associer chaque série de lettres à une syllabe orale (vous avez sans doute remarquer que, dans cette première phrase, tous les mots sont monosyllabiques) jusqu'à être capables de dire avec assurance en pointant un à un les mots de la dernière ligne : :

    « Ce mot-là, c'est il. Celui-là, c'est tu. Et puis ce mot, c'est chat. Et le mot d'après c'est chasse. Après, celui-là, on l'a appris en maternelle, c'est le. Ce mot-là, c'est vu. Et le dernier mot, c'est as. »

    Bien sûr, certains seront capables d'aller plus vite et il faudra les laisser faire mais, du moment où l'enfant a le réflexe intelligent, au besoin guidé par nos soins, de retourner à la phrase d'ouverture pour patiemment redire les mots un à un jusqu'à pouvoir dire que ce mot qu'il a pointé du doigt, c'est il, tu, chat, chasse, le, vu ou as, nous serons contents de lui et nous le féliciterons.

    Tout au plus l'encouragerons-nous à se faire confiance et à se baser sur les lettres qu'il connaît pour aller un tout petit peu plus vite :

    « Regarde, tu le connais, celui-là. Il commence par la lettre T qui fait le son [t.. t...t...] et il continue par la lettre u qui chante [yyyy] comme quand Mademoiselle U fait avancer son cheval. »

    2. Intelligence du texte

    Ce réflexe intelligent, nous allons à nouveau nous en servir pour entraîner l'enfant à se préoccuper de « l'intelligence du texte ». Celle dont s'est servi le comédien qui nous a lu La Conscience, de Victor Hugo tout à l'heure.

    Sauf que nous, pour le moment, à l'écrit tout du moins, nous serons beaucoup plus humbles (pour compenser, nous continuons par ailleurs à lire de la littérature à nos élèves en cherchant à ce qu'ils comprennent ce que nous leur lisons) :

    La fluence en début de CP

    Notre but, le plus important de tous en cette année de CP, c'est qu'ils prennent l'habitude de s'appuyer sur leur connaissance du code graphémique pour explorer un texte jusqu'à le comprendre très exactement.

    Comme le lecteur déclamant le poème de Victor Hugo dont il a sans doute sous les yeux une copie, nos élèves vont d'abord lire, sans doute pas très vite, sans doute en se référant encore un peu à la phrase d'ouverture dont ils ont la copie sous les yeux juste au-dessus de ce chef d'œuvre de la littérature :

    Tu... as... vu... le... chat.

    Si notre but était la fluence, nous leur demanderions de la relire plus vite, toujours plus vite, encore plus vite. Et certains y arriveraient :

    [tyavyləʃa] ou peut-être même [tavylʃa]

     Nous nous en contenterions peut-être s'ils étaient capables ensuite de répondre aux questions suivantes :

    « Que viens-tu de dire ?
    J'ai dit que tu as vu le chat. »

    « À qui l'as-tu dit, à ton avis ?
    – Je l'ai peut-être dit à la petite fille de l'image.»

    « Qu'est-ce qu'a vu la petite fille à qui tu as dit "tu" ?
    Le chat. Elle a vu le chat.»

    « Qu'a-t-elle fait au chat ?  – Elle lui a rien fait, elle l'a juste vu.»

    Mais nous serions plus rassurés si nous voyions que, comme le comédien, ils avaient déjà dans leur intonation, peut-être lente et hachée, les germes d'une volonté de comprendre. S'ils nous disaient par exemple.

    « Tiens, pourquoi y'a pas le point d'interrogation, maîtresse ? Ça, c'est le point qui dit que c'est fini et puis c'est tout. C'est celui qui était après chasse.
    C'est parce qu'on le dit et puis c'est tout ? C'est juste pour dire que toi, la petite fille, tu as vu le chat ? »

    Tant et si bien que lors de cette séance de lecture qui clôt les deux jours passés à explorer la première phrase de découverte du livret 1, nous ne ferons pas relire d'une seule émission de voix les 6 phrases proposées à la lecture, non seulement parce que c'est prématuré mais aussi, et surtout, parce que ces quelques minutes d'acharnement par tête de pipe – minutes pendant lesquelles le reste de la classe colorie, colle des étiquettes, cherche des mots dans lesquels il est censé entendre [a] ou [ʃ] – nous feront perdre un temps précieux en dialogue collectif autour de 6 explications de texte successives dont le but à court terme sera de savoir ce que fait le chat, qui est ce il qui l'a vu, où le chat a-t-il bien pu voir un autre chat, ce que chasse le tu dont il est question dans la 5e phrase, si la 6e phrase est bien une réponse à la 5e phrase et quelles sont les raisons qui ont poussé ce tu à chasser ce chat.

    Quant au but à long terme, c'est d'obtenir, d'ici le mois de juin, 100 % ou presque d'élèves capables de lire un court texte dont ils pourront ensuite raconter l'histoire. Si en plus, ils sont capables de mettre un soupçon d'intonation prouvant qu'ils ont compris, ce sera notre petite gloire de l'année...

    Conclusion

    La fluence, telle qu'on l'entend actuellement, c'est, en gros, le contraire de ce qu'on attend d'un bon lecteur : l'attention à ce qu'il lit. Une attention qui lui permettra de s’attacher à l'intelligence du texte, au sens des phrases, à la musique de la langue, à l'orthographe des mots.

    En ce début d'année de CP, elle risque de masquer une mauvaise compréhension de l'acte de lire et de rendre difficile les nécessaires passerelles entre la lecture de lettres et celle de syllabes, la lecture de syllabes et celle de mots, la lecture de mots et celle de phrases.

    Elle risque d'amener les élève à surcharger leur mémoire immédiate de plusieurs centaines de signes qu'ils croient devoir reconnaître instantanément au lieu de les guider vers l'économie que constitue le code alphabétique qui, avec 26 lettres et quelques combinaisons de 2 ou 3 lettres, peut écrire toute une bibliothèque.

    Préférons avancer à petits pas, même si nous, adultes, nous nous ennuyons à entendre nos petits débattre sans fin sur les tenants et les aboutissants de ce premier texte (avec situation initiale, élément perturbateur, situation finale)

    La fluence en début de CP

    et que nous préférerions manipuler un chronomètre pour remplir de beaux tableaux Excel qui plairont tant à l'inspecteur lorsqu'il viendra.

     


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  • Tisser des liens

    « Je cherche des amis, dit le petit prince. Qu'est-ce que signifie "apprivoiser" ?

    - C'est une chose trop oubliée, dit le renard. Ça signifie "créer des liens..."

    - Créer des liens ?

    - Bien sûr, dit le renard. Tu n'es encore pour moi qu'un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons. Et je n'ai pas besoin de toi. Et tu n'as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu'un renard semblable à cent mille renards. Mais, si tu m'apprivoises, nous aurons besoin l'un de l'autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde... »

    Tout enfant qui entre à l'école maternelle est, face à cette institution, comme le renard face au petit prince. Tout enfant à qui on annonce qu'il va apprendre à lire, à écrire, à tracer des cercles au compas ou à grimper à la corde est, face à cet apprentissage, comme le petit prince face au renard.

    Apprivoiser une personne, un animal, une connaissance, c'est créer des liens. Et plus ces liens seront forts, entremêlés avec art et méthode, tissés de manière étroite, plus la personne, l'animal ou la connaissance deviendront dignes d'intérêt, efficaces et réutilisables à l'infini.

    Tisser des liens
    Merci à Zaubette pour cette illustration.

    Je ne sais pas si vous avez déjà fait faire du tissage de papier à des élèves... moi oui.

    Il y a ceux qui pigent tout de suite le principe et qui, d'eux-mêmes, passent leurs fils de chaîne dessus, dessous, dessus, dessous, sans jamais sauter un fil de trame. D'eux-même, à partir de la deuxième rangée, ils pensent à inverser et à faire passer dessus ce qui était dessous dans la ligne précédente et dessous ce qui était dessus. Ceux-là ont apprivoisé l'outil très rapidement et ils l'utilisent seuls, sans difficulté.

    Mais il y a aussi ceux qui sautent des fils de trame, qui oublient d'inverser à chaque rang ou qui comptent s'en tirer en mettant le moins possible de fils de chaîne en travers de la trame.

    Et ceux-là n'arrivent pas à un résultat satisfaisant. Il suffit d'essayer de soulever leur travail de la table pour que tout se défasse et disparaisse comme si ça n'avait jamais existé.

    Si le tissage entremêle des fils plutôt que du papier, on a en plus, ceux qui tirent trop sur le fil, coincent tout et réduisent la large bande prévue par les belles photos qu'on trouve sur la boîte en un petit ruban tout tournicoté qu'on n'arrive pas à détacher du métier à tisser.

    C'est un peu la même chose en pédagogie. Depuis la TPS et jusqu'au CM2, au moins.

    Si on veut construire une notion, il faut apprendre aux élèves à créer des liens. Et plus on les habituera à tisser un réseau de liens régulier, d'une bonne densité sans pour cela être trop serré, plus leur amitié avec l'école, la connaissance ou la capacité sera forte et solide.

    Un petit enfant qui entre à l'école à deux ou trois ans n'a pas conscience d'avoir besoin de l'école. Il n'a même pas idée de ce qu'elle peut être. D'où cette incapacité à « être élève », à ne pas courir dans tous les sens d'une activité à l'autre, à écouter quand on lui parle, à s'intéresser à ses petits camarades. Tout cela, il ne l'a pas apprivoisé. Pour lui, ce n'est qu'un lieu semblable à cent mille lieux, rempli d'activités dont il n'a pas encore besoin.

    Si nous ne sous attachons pas à le rapprocher de l'école par touches insensibles, comme le renard et le petit prince, qui se tiennent l'un face à l'autre, chaque jour à heure fixe, en suivant toujours le même protocole, certains de ces petits enfants resteront en dehors et ne ressentiront jamais un besoin d'école.

    « Mais, si tu m'apprivoises, ma vie sera comme ensoleillée. Je connaîtrai un bruit de pas qui sera différent de tous les autres. Les autres pas me font rentrer sous terre. Le tien m'appellera hors du terrier, comme une musique. Et puis regarde ! Tu vois, là-bas, les champs de blé ? Je ne mange pas de pain. Le blé pour moi est inutile. Les champs de blé ne me rappellent rien. Et ça, c'est triste ! Mais tu as des cheveux couleur d'or. Alors ce sera merveilleux quand tu m'auras apprivoisé ! Le blé, qui est doré, me fera souvenir de toi. Et j'aimerai le bruit du vent dans le blé... », dit un peu plus tard le renard au petit prince.

    Chez nos tout-petits, c'est ce bruit du vent dans le blé que nous devons leur faire trouver appréciable. Et pour qu'ils le trouvent agréable, il faudra qu'ils aient repéré cette couleur semblable à celle du blé et qu'ils l'aient associée à celle de cette institution qu'ils fréquentent désormais chaque jour. Et pour qu'ils la repèrent, eux qui n'ont encore jamais mangé de ce pain-là, il faudra qu'elle leur rappelle quelque chose de connu, de proche, qu'ils aiment déjà. Des jouets, des jeux, des objets, des activités, des mots "comme à la maison" qui peu à peu les attireront hors du terrier, comme une musique.

    Chez nos plus grands, c'est la couleur des livres, des mots, des nombres, des événements historiques, des zones géographiques ou des œuvres d'art que nous nous efforcerons de rendre non seulement connue mais aussi désirable.

    Et pour cela, nous devons leur offrir une trame simple, facile à détecter, sans artifices qui leur feraient confondre l'objet à apprivoiser avec l'image forcément partielle que nous leur en proposons. C'est une des raisons qui me font rejeter cette pédagogie de projet qui est actuellement à la mode. Un renard, c'est un renard, et le petit prince ne doit pas le prendre pour un éléphant, une pomme ou un yaourt s'il veut arriver à vraiment l'apprivoiser !

    Puis nous devons leur proposer un fil de chaîne. Un seul. Qu'ils tisseront en bas de leur trame. Avec notre aide. Toujours. Parce que ce n'est pas pour rien que l'espèce humaine a progressé différemment des autres espèces et que les petits princes sont arrivés à apprivoiser les renards. Nous sommes des passeurs, des transmetteurs, nous nous devons de passer et de transmettre. C'est pourquoi je ne suis jamais arrivée à proposer à mes élèves des parcours individuels à base d'exercices dits progressifs sans me planter lamentablement et empêcher finalement certains d'avancer aussi bien  que leurs camarades, faute d'avoir cru en eux et de leur avoir procuré le soutien d'un groupe qui les aurait vraiment aidés.

    Ce fil de chaîne, nous nous efforcerons qu'ils le tissent vraiment avec la trame. Dessus, dessous, dessus, dessous... C'est une des raisons qui m'ont toujours fait rejeter la pédagogie des compétences isolées. Il est par exemple clairement contre-productif de faire travailler, comme je l'ai vu récemment, d'un côté la notion de mots avec plus de 400 étiquettes illustrées selon un code précis représentant  chacune un mot (noms, verbes, prépositions, etc.), pendant toute une année scolaire et, parallèlement, faire étudier les lettres et les syllabes, sans tisser les deux pour que très vite les deux compétences s'interpénètrent de la façon utile à l'écriture du français (écriture basée sur la connaissance d'un code grapho-phonémique et d'une organisation morpho-grammaticale en mots clairement délimités) : les fils de chaîne tomberont dès qu'ils essaieront de soulever leur ouvrage et la trame restera là, inutile, car ils n'auront pas reconnu la couleur des champs de blé dans celle des activités proposées.

    Puis nous ajouterons un deuxième fil de chaîne. Il faudra apprendre à nouveau. Parce qu'il devra être dessus quand son prédécesseur était dessous et dessous quand son prédécesseur était dessus. Incompréhensible pour certains... Eux, ils reproduiraient bien indéfiniment la même chose... Leurs enseignants aussi quand après avoir étudié pendant un an Le loup qui recherche la pierre philosophale, ils décident de tout révolutionner en étudiant maintenant pendant un an La chenille qui adopte un baleineau cisgenre...

    Alors nous leur apprendrons. Patiemment. Sans défaire le travail déjà fait. Juste pour le compléter. C'est pourquoi je suis résolument contre le détour par la majuscule bâton. C'est comme si le petit prince s'était d'abord teint les cheveux en vert pour dérouter le renard et l'empêcher de s'intéresser aux champs de blé !

    Et puis un autre fil, et un autre, et un autre, et un autre... Dessus dessous, dessous dessus... Et le tableau s'embellit, et on se dit que tiens, c'est drôle, en plus de la couleur des blés, voilà qu'on en sent l'odeur, et qu'elle nous rappelle celle du pain qui cuit.... Qui nous devient à son tour agréable... Et puis le pain nous rappelle le couteau qui le coupe, et puis le couteau, c'est le métal qu'on affûte, et puis, et puis, et puis... Et puis la toile est si serrée, si belle, si merveilleuse qu'on ne peut que l'aimer et s'y intéresser...

    Comme à l'école où, partant de ce petit jeu de bandelettes de papier qui passionnait tant Léo et Emma, Rayan et Sofia, Tiago-Désir et Louna-Lou, lorsqu'ils étaient en MS, on en arrive à rire tous en cœur en imaginant l'Empereur déambulant, nu, au milieu de la foule des courtisans qui s'ébaubissent de peur de passer pour des sots incapables. 

     


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  • Écrire son prénom (fable)

    LE LIÈVRE ET LA TORTUE

    d’après Jean de La Fontaine

    Rien ne sert de courir ; il faut partir à point.

    Le Lièvre et la Tortue en sont un témoignage.

    Gageons, dit celle-ci, que vos petits levrauts

    Écriront dans trois ans moins bien que mes petiots.

    Moins bien ? Êtes-vous sage ? Repartit l'Animal léger.

    Ma Commère, il vous faut relire

    La progression de ma méthode.

    Sage ou non, je parie encore.

    Ainsi fut fait : et pour tous deux

    On mit près du but un enjeu.

    Savoir quoi, là est toute l'affaire ;

    Le juge fut choisi, il émit un avis :

    « À six ans tout enfant devra,

    Sans modèle cela va sans dire,

    Écrire son prénom en cursive. »

    Notre Lièvre n'avait que quatre pas à faire ;

    J'entends de ceux qu'il fait lorsque, sûr de son fait,

    Il observe l’enfant, le suit dans ses élans,

    Et le pousse à oser bondir ici et là.

    Ayant, pourtant, du temps de reste pour jouer,

    Pour nourrir, et pour observer

    Où va l’enfant, il double la Tortue

    Qui va son train de Sénateur.

    Elle cherche, elle analyse ;

    Elle se hâte avec lenteur.

    Lui cependant méprise une telle conduite ;

    Voit la gageure déjà tenue ;

    Croit qu'il y va de son honneur

    De partir tôt. Il coupe, il plastifie,

    Il néglige toute autre chose

    Que la gageure. À la fin, quand il vit

    Que les enfants de l’autre écrivaient en cursive,

    Il partit comme un trait ; mais les élans qu'il fit

    Furent vains : les beaux prénoms des enfants tortues

    Dépassaient en souplesse et rigueur ceux des lièvres.

    Eh bien, lui cria-t-elle, avais-je pas raison ?

    À quoi vous sert de vous hâter ?

    Moi l'emporter ! et que serait-ce

    Si vous les suiviez au CP ?

    Écrire son prénom (fable)
    CP, novembre.

    Explication de texte

    En Maternelle, rien ne sert de courir, il faut préparer le terrain. Se précipiter ne fait qu’installer des habitudes bien difficiles à déraciner ensuite.

    Sachons raison garder, et avant de se précipiter comme le Lièvre, cherchons à imiter Dame Tortue. Même si la maman de LILI lui a appris à écrire une barre et une autre barre et puis une barre avec un point et puis encore une barre et une autre barre et puis encore une barre avec un point, donnant lieu à toutes sortes de tracés, tous révélateurs de prérequis non-acquis.

    Écrire son prénom (fable)

    Écrire son prénom (fable)

    Écrire son prénom (fable)

    Ces essais d’écriture, tout en félicitant la jeune Lili, Dame Tortue aurait pris le temps d’en analyser les manques. Et, avant d’imposer à Lili d’écrire aussi son prénom à l’école ― de surplus en capitales d’imprimerie, ce qui est « hors programme scolaire » ― elle aurait cultivé son aisance motrice et aurait cherché à installer des normes de taille, de position et de repérage dans un plan à deux dimensions.

    Car en Petite et Moyenne Sections, c’est l’installation de ces prérequis que nous devons viser si nous voulons que Lili, mais aussi Zakaryah, Barthélémy, Maximilienne ou Appolonya, arrivent au CP en écrivant leurs prénoms d’une belle cursive bien normée, comme le réclame le programme scolaire de 2015.

    Écrire son prénom (fable)
    Merci à Jean Boyault, pour sa police Belle Allure GS

    L’aisance motrice

    Ils l’obtiendront tous en faisant des travaux à leur mesure, celle de tout-petits qui, moins de trois ans avant, ne pouvaient saisir l'objet qu’on leur tendait, ni porter leur main à leur bouche et encore moins lâcher la mèche de cheveux ou la branche de lunettes qu’un mouvement réflexe leur avait fait saisir.

    Ces travaux à leur mesure, ils sont nombreux, très nombreux, et simples, très simples à mettre en place. Ce sont tous ceux qui permettent de se débarrasser des mouvements réflexes primitifs et de cultiver le tonus musculaire, la dissociation des doigts et la coordination œil-main.

    On y trouve quasiment toutes les activités qui plaisent aux petits : jouer avec des objets, petits ou gros, fins ou épais, longs ou courts, rigides ou souples, lourds ou légers, pour froisser, déplier, plier, empiler, aligner, construire, boutonner, transvaser, coller, rouler, remuer, malaxer, pincer, laisser une trace, dessiner, peindre, enfiler, torsader, tresser, tisser, modeler, aplatir, étirer, visser, dévisser, coudre, ...

    On y ajoute un entraînement régulier grâce aux comptines et jeux de doigts qui amènent les enfants à sortir de l’usage inconscient de leurs mains pour passer à leur observation attentive et à leur mobilisation contrôlée en vue d’obtenir un effet.

    Cette aptitude à obtenir un effet précis est cultivée sur le papier, crayon en main pour gribouiller, colorier de petites surfaces et surtout découvrir le dessin figuratif.

    Ces acquis sont travaillés pendant deux longues années, ou trois, pour ceux qui entrent à l'école en TPS, temps nécessaire pour que, de cet usage rendu conscient et volontaire des mains, émergent les gestes de l’écriture : déplacer son bras de gauche à droite, fléchir et tendre le pouce (fléchette) et produire, en n’utilisant que la mobilité des doigts, de courtes files de boucles, de pointes ou de ponts et des petits ronds.

    Ils permettront aux enfants arrivés en Grande Section d’accéder très facilement en quelques mois tout au plus à l’écriture de leurs prénoms, même si leurs parents n’ont pas pensé à consulter les attendus de fin d’école maternelle avant de les affubler d’un prénom cumulant les difficultés scripturales !

    La taille

    La manipulation de ces objets petits ou gros, fins ou épais, longs ou courts, installe peu à peu chez l’enfant les réponses motrices régulées en fonction du volume, de l'épaisseur, de la longueur de ces objets.

    Écrire son prénom (fable)

    Nous pouvons affiner cette perception grâce à des suites d’objets empilables, emboîtables ou encastrables (tour, escalier et barres Montessori, poupées gigognes, pyramides, réglettes Cuisenaire, encastrements, mais aussi écrous et boulons de différents diamètres, dînette, vêtements de poupées, etc.).

    La verbalisation qui accompagne l’usage de ces jeux éducatifs permet de mettre des mots sur ce qui n’était jusqu’alors que des sensations visuelles ou tactiles.

    Cette adaptation de la réponse motrice et les acquis lexicaux leur serviront plus tard à percevoir la différence entre les petites et les grandes lettres et à les reproduire en respectant cette norme de taille.

    Les positions relatives

    Moins nécessaire dans l’écriture cursive que dans l’écriture en capitale d’imprimerie, la position des éléments d’un tracé les uns par rapport aux autres doit néanmoins être travaillée à l’école maternelle.

    C’est celle qui aurait permis à Lili de savoir comment agencer les deux barres de son L et le point et la barre de son i,  si son lièvre de maman n’avait pas pensé que le plus important était ce qui se voit, là, tout de suite, maintenant, et non ce qui se prépare en secret, à petits pas.

    Cette compétence à faire un lien entre deux ou trois éléments est aussi simple et aussi agréable à travailler que les prérequis précédents.

    En classe, donnez aux enfants des cubes, des bâtonnets, des réglettes, des pions et laissez-les jouer librement. Observez-les et suggérez-leur des pistes de recherche. Regardez les interactions entre enfants et favorisez-les.

    Écrire son prénom (fable)

    Lorsqu’une construction vous paraît intéressante, photographiez-la, exposez-la et faites-la reproduire et décrire à des enfants volontaires. Profitez de tous ces instants pour verbaliser et installer du vocabulaire : à côté de, au-dessus, au-dessous, sur, sous, debout (vertical), couché (horizontal), penché (oblique), au milieu, entre, à gauche, à droite, ...

    En salle de motricité ou dans la cour, c’est avec un ou deux objets et leur propre corps que les enfants vont affiner leur perception des positions relatives. N’importe quel jeu avec des balles, des anneaux, des foulards, des bâtons, une toile de parachute, des bancs, une échelle amènera à vivre corporellement et désigner des positions relatives. N’importe quel jeu qui travaille le schéma corporel aussi (Jacques a dit, pour ne citer que le plus célèbre).

    C’est ainsi que sur les dessins libres, ayant pris des repères plus sûrs, les enfants structureront peu à peu les éléments de leur bonhomme, de leur maison, de leur poisson, leur chat ou leur oiseau. Voyant cela, nous saurons qu’il est temps de programmer des exercices de graphismes décoratifs issus de traditions culturelles et d’époques variées qui serviront à décorer la classe à l’occasion des fêtes et à offrir aux parents ces petits souvenirs auxquels ils accordent tant de prix.

    Écrire son prénom (fable)
    Merci à Melmelboo

    Certains de ces éléments décoratifs utiliseront les mêmes gestes que l’écriture cursive (boucles, pointes, ponts, ronds anti-horaires) et, comme ils auront le rôle de décorer un espace de plus en plus contraint (par exemple, œuf de Pâques non ligné puis ligné horizontalement), la gestion des positions relatives rencontrera celle de l’espace à deux dimensions. 

    La gestion de l’espace à deux dimensions

    On dit deux dimensions, la verticale et l’horizontale, ce qui, pour l'écriture, détermine quatre direction : haut, bas, gauche et droite.

    C’est en arrivant à l’école, à un âge bien plus tendre que celui de ses valeureux ancêtres, que l’enfant du XXIe siècle apprend à passer à pas forcés de l’espace à 3 dimensions qu’il a encore bien du mal à dominer à celui à 2 dimensions des feuilles de papier.

    Après les positions relatives des éléments d’un graphisme les uns par rapport aux autres, le voilà confronté aux conventions régissant l’ordonnancement des éléments entre eux. Conventions qui se sont pourtant forgées en plusieurs milliers d’années d’humanité, ces quelques œuvres en sont la preuve.

    Écrire son prénom (fable)

    Écrire son prénom (fable)

    Écrire son prénom (fable)

    Écrire son prénom (fable)

    Pour ce qui concerne l’écriture, comme pour le dessin, nous voulons qu’il ait intégré trois conventions :

    → Le bord de la feuille qui est le plus éloigné de lui représente le haut de celle qu’il voit au tableau et le fond de la scène qui se déroule sous ses yeux. En écriture, c’est ici qu’on commence.

    → Le bord de la feuille qui touche son ventre ou presque représente le bas de celle qu’il voit au tableau et le premier plan de la scène qu’il a sous ses yeux. En écriture, c’est là qu’on finit.

    → Les bords latéraux représentent aussi les bords latéraux de la feuille affichée au tableau mais, en écriture, celui qui est au plus près des fenêtres est celui qui représente le départ d’une ligne horizontale alors que celui qui est au plus près des placards muraux et celui qui représente son arrivée (exemple de localisation à adapter à l'agencement de la salle de classe)...

    Pas simple. Mais nous avons du temps, nous rappelle Dame Tortue.

    Parce que, pendant ces deux à trois années scolaires, nous allons regarder de très nombreuses représentations à deux dimensions : des photos, des dessins, des dessins animés, ...

    Et que nous allons en réaliser encore bien plus.

    Puis que nous croiserons nos représentations avec celles de nos camarades, de nos enseignants, des illustrateurs et artistes que nous rencontrerons.

    Et c’est ainsi que, de la TPS à la GS, nous passerons de quelques traces mal assurées à des compositions beaucoup plus élaborées où, sans avoir besoin de décodeur, tout un chacun comprendra que, contrairement à la brodeuse de Bayeux, les personnages sont proportionnés pour entrer dans le château, contrairement à ceux peints sur la fresque trouvée dans la tombe de Rekhmirê, les arbres se tiennent debout, contrairement à ceux de la grotte de Lascaux, les aurochs galopent tous trois sur le même sol.

    Connaître ainsi les conventions d’utilisation de l’espace à deux dimensions, grâce à des années de dessin figuratif, va énormément aider l’enfant à gérer l’espace graphique quand il s’agira pour lui d’écrire, non pas comme un lettré de la Rome antique, en capitales et sans espaces entre les mots, mais comme un élève de France du début du XXIe siècle : en cursive, dans l’espace très balisé d’un cahier à réglure seyes.

    Il a déjà tout en main, surtout que, depuis deux ou trois ans, il a vu écrire ses enseignants à la main, en cursive, et que sa mémoire a enregistré ces codes de gestion de l’espace graphique.

    Il sait qu’il doit commencer en haut de la page et écrire de gauche à droite, en faisant courir les lettres à l’horizontale. Il s’est déjà essayé à remplir des interlignes de graphismes décoratifs et transférera facilement cette compétence à ces signes d’un nouveau genre qui, cette fois, racontent quelque chose d’intelligible à tous ceux qui connaissent le code.

    Mais ça, c’est une autre histoire, que Mme Tortue et M. Lièvre connaissent bien ausi et que nous avons déjà bien des fois racontée...

    Merci à Laurence Pierson et Isabelle Godefroy dont les travaux m’ont aidé à éclairer mon propos.


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