• MS à CP : Les méfaits de l'alphabet

    Les méfaits de l'alphabet

    Ça y est, ça commence. Nous sommes au mois de décembre, un trimestre de Grande Section est passé et les difficultés s'installent :

    « J'ai des élèves qui n'arrivent pas à retenir l'alphabet, ils connaissent la comptine, mais n'associent pas les lettres à leurs noms...

    – Les miens confondent b/d/p/q en script. Je suis à la recherche d' astuces et d'activités pour porter remède à cette confusion.

    Etc. »

    Eh oui ! Ce n'est pas pour rien que, dans le courant du XIXe siècle, la méthode consistant à démarrer l'apprentissage de la lecture par celui de l'alphabet a été abandonnée. Sans y mettre de grands mots dessus (enfin, je ne crois pas), nos vénérables ancêtres avaient constaté d'eux-mêmes que :

    • Les enfants retenaient difficilement ces symboles abscons, alors même que, contrairement à ce que nous voyons aujourd'hui dans la plupart des classes maternelles, ils ne disaient pas EFFE mais FFFe, ICS mais XXXe, CÉ mais KKKe, associant ainsi le symbole au son que l'on prononce le plus souvent en le lisant, de manière à ne pas perturber la phase qu'ils estimaient suivante : celle de l'apprentissage de la fusion syllabique.
    • Cet apprentissage dénué de sens de 26 symboles, dont certains très proches visuellement (p/q/b/d ; m/n ; n/u ; t/f), surtout pour des enfants jeunes n'ayant pas encore un système de latéralisation très performant, provoquait des confusions qui étaient ensuite difficiles à évacuer.

    Comme malgré les aides, dessins, lettres en sucre à croquer lorsqu'on en connaîtrait le nom, ils se heurtaient toujours aux mêmes difficultés, ce système avait été remplacé par d'autres, beaucoup plus performants :

    • On présentait les lettres une à une aux enfants, en fonction d'une table de fréquence, en en étudiant toutes les composantes :

    → son de la lettre

    → forme de la lettre et écriture

    → combinaison de la lettre avec les lettres déjà connues, fusion syllabique

    (sans aucune allusion au nom de cette lettre avant l'acquisition de la lecture dite courante).

    • On y attachait du sens :

    → en y associant une image : a comme avion, b comme bébé, c comme coq, etc. 

    → en y associant un ou plusieurs repères sensoriels (ouïe, vu, toucher) : « la lettre m repose sur ses trois « pattes » alors que sa camarade n n'en a que deux comme les deux narines par lesquelles passe le son qu'elle produit - la lettre b a un « gros bidon » qu'elle pousse devant elle alors que la lettre d porte sa bosse dans son « dos » ; la lettre t ressemble à une patte alors que la lettre f évoque le cou de la girafe... »

    → en apprenant la combinatoire aussitôt : les syllabes bien sûr mais surtout les mots et les phrases :

    ♥ pour que les connexions neuronales s'activent plus rapidement :

    Lorsqu'on décode une phrase de 8 mots de 1, 2 ou 3 syllabes, on a lu de 8 à 24 syllabes qui se sont fixées dans la mémoire de manière tout aussi durable que si on avait lu ces syllabes présentées dans le désordre sous forme de liste.

    ♥ pour que le contrôle inhibiteur joue son rôle :

    On confondra aisément ba et da mais on se corrigera d'emblée lorsqu'on lira « danane » au lieu de banane ou « bame » au lieu de dame.

    D'autres méthodes visant à remplacer la « méthode d'arrière-arrière-arrière-arrière-grand-papa » sont allées plus loin dans l'association sens/son en proposant un départ par le mot ou la courte phrase intelligible de tous. Elles furent qualifiées de méthodes : 

    • mixtes lorsqu'elles se servaient immédiatement de ce mot ou de cette courte phrase pour provoquer l'observation et l'analyse auditive et visuelle pour les faire aboutir sur l'apprentissage d'une graphie et sa combinaison aux graphies déjà connues (Attention, cela n'a rien à voir avec les méthodes qu'on nomme mixtes actuellement).
    • globales lorsqu'elles différaient plus longtemps le passage du signifiant au signifié et faisaient collectionner aux enfants des dizaines ou même des centaines de mots avant de provoquer chez eux le réflexe d'observation et d'analyse débouchant sur la combinatoire.

    Ces méthodes reviendront certainement un jour lorsqu'à nouveau le balancier oscillera dans l'autre sens par réaction aux erreurs actuelles mais, pour le moment, leur temps ne semble pas encore venu et nous en sommes au bout du bout de l'oscillation inverse : l'alphabet-roi qui fera naître la lecture compréhensive, un jour, plus tard, quand « ils sauront associer la récitation de la comptine au pointage des 26 symboles » et qu'« ils ne mélangeront plus les graphies proches visuellement ».

    Intéressons-nous donc à ces deux micro-compétences et voyons comment éviter aux élèves ces fausses-pistes.

    APPRENDRE LES LETTRES

    Préparer le terrain (TPS/PS/MS/GS) 

    Rappel : Vous trouverez sur ce blog la Méthode « Au commencement était l'image... » grâce à laquelle les élèves de PS et MS aborderont à leur mesure la symbolisation, préparant ainsi le terrain à l'apprentissage des lettres ( PS/MS : 26 fois 26 symboles (1) ; PS/MS : 26 fois 26 symboles (1bis)MS : 26 fois 26 icônes (1)PS/MS : 26 fois 26 (2)PS/MS : 26 fois 26 (3)PS/MS : 26 fois 26 (4) ; PS/MS : 26 fois 26 (5))

    • Exercer le repérage spatial dans tous les domaines à longueur d'années scolaires :

    → EPS : parcours ; jeu du miroir ; Jacques a dit ; marelles ; déplacements sur quadrillage ; rondes et jeux dansés ; ...

    → Structuration de la pensée - se repérer dans l'espace : Situer des objets par rapport à soi, entre eux, par rapport à des objets repères ; Se situer par rapport à d'autres,  par rapport à des objets repères ; Utiliser des marqueurs spatiaux adaptés ; Orienter et utiliser correctement une feuille de papier, un livre ou un autre support d’écrit, en fonction de consignes, d’un but ou d’un projet précis ; Coder et décoder une représentation spatiale

    → Activités manuelles, arts : pratique quotidienne du dessin ; utiliser des matériaux bruts pour réaliser des compositions en deux ou trois dimensions (chutes de papier, de carton, gommettes, picots Coloredo mais aussi Kapla, Lego, jeux de construction variés, petits emballages, chutes de bois, diverses pâtes à modeler, ...) ; réaliser des compositions d'après modèle (encastrements, puzzles, quadrillages à compléter, construire par symétrie, réalisations technologiques en vue de créer des objets décoratifs) ; observation d'œuvres d'art plastique, description, comparaison...

    • Préparer l'ouïe dans tous les domaines à longueur d'années scolaires

    → Langage oral : apprendre à écouter, à s'écouter ; comptines, virelangues, chant ; poèmes ; jeux de langage : prononciation, articulation ; travailler l'intensité de la voix

    → Musique : écouter et discriminer des sons (timbres de voix, d'instruments, d'objets ; hauteur d'un son ; intensité ; durée) ; reproduire un son, une suite de sons ; articulation, prononciation ; écoute musicale

    → EPS : Expression corporelle ; création de chorégraphies ; réagir à des signaux sonores

    → Structurer la pensée : algorithmes sonores ; consignes sonores ; lecture de « partitions »

    • Préparer le toucher dans tous les domaines à longueur d'années scolaires

    → Agir, s'exprimer, comprendre les arts plastiques : dessin quotidien ; utiliser matières et matériaux pour réaliser des compositions en deux ou trois dimensions ; observer et reproduire

    → Graphisme décoratif ; préparation aux gestes de l'écriture cursive

    → Sens du toucher : discriminer des formes, des matières, des caractéristiques au toucher et les décrire.

    Avancer à petits pas (GS/CP) :

    • Ne présenter qu'une ou deux lettres à la fois et en faire « le tour » sensoriel : vue, ouïe, toucher
    • Respecter un ordre de fréquence :

    ♥ en GS, on n'aborde que :

    → les voyelles par groupe de deux : a, o - i, u - é, e

    →  les consonnes fréquentes fricatives ( = dont on peut prolonger le son) l'une après l'autre : l, m, r, s, f, ch, v, n

    →  puis enfin les consonnes fréquentes occlusives (ou sourdes) : b, p, t, d, c

    ♥ au CP, on repart de zéro et, pour pouvoir entamer la combinatoire immédiatement on « panache » :

    → pendant les premières semaines, chaque leçon (2 jours) propose une consonne et une voyelle

    → cela permet d'écrire tout de suite des mots et très vite des phrases

    Apprentissage sensible :

    • Chaque lettre (à son tour, je le répète) est vue et décrite, prononcée et entendue, touchée et écrite
    • On utilise toutes les aides existant pour que ce trio gagnant fonctionne :

    → personnages Alphas parce qu'ils sollicitent la vue, l'ouïe, le toucher et l'émotion

    → gestes Borel Maisonny parce qu'ils sollicitent la vue, l'ouïe et le toucher

    → affiches récapitulatives avec mot-vedette représenté par son image parce qu'elles sollicitent vue, ouïe, toucher et émotion : a comme abeille ; b comme botte ; c comme crocodile ; d comme doudou ; etc.

    → lettres cursives rugueuses (Montessori) parce qu'elles sollicitent la vue, l'ouïe et le toucher

    → lettres magnétiques colorées (minuscules scriptes) parce qu'elles sollicitent la vue, l'ouïe et le toucher 

    → l'écriture par épellation phonétique chuchotée parce qu'elle sollicite l'ouïe, le toucher et la vue

    Intérêt et activité :

    • La dimension émotionnelle joue un rôle important dans la mémorisation.

    → En GS, on peut accentuer la dimension émotionnelle :

    ♥ grâce aux personnages des Alphas,

    ♥ aux sorcières de Thierry Venot dans De l'écoute des sons à la lecture,

    ♥ mais aussi en correspondant avec une autre classe à laquelle on raconte ses anecdotes

    → Au CP,

    ♥ les Alphas joueront le même rôle qu'en GS

    ♥ on pourra y ajouter l'emploi d'une méthode de lecture (graphémique, c'est mieux) dans laquelle les personnages sont récurrents (si ce sont des enfants et un ou plusieurs animaux, on a tout bon).

    • L'engagement actif est aussi un gage de réussite :

    → C'est pourquoi les longues récitations d'alphabet, les exercices de repérage dénués d'autre enjeu que celui de faire plaisir à l'adulte laissent de nombreux enfants de côté, tout comme, au CP, les lectures de listes de syllabes sur lesquelles on ne peut mettre aucun sens ...

    → Pour s'engager, l'enfant a besoin de se voir avancer :

    ♥ privilégier les activités courtes, qui apportent un petit plus tout en réactivant les connaissances antérieures : 5 minutes à décrire la lettre a et à trouver des mots qui commencent par « Aaaaaaa... ? » le matin en arrivant, 10 minutes en milieu de matinée pendant lesquelles on s'entraîne à « Poser le crayon en haut à droite, tourner vers la gauche pour faire un demi-rond, le fermer en faisant une petite pointe » et enfin 5 minutes en début d'après-midi à entourer les a en rouge et les o en vert, ça n'est pas ennuyeux parce que ce n'est pas long et qu'on a appris à chaque fois quelque chose...

    ♥ varier les entrées sensorielles pour que tous puissent s'engager : l'auditif comme le visuel, le visuel comme le kinesthésique. Et nous revoilà au paragraphe d'au-dessus : pour connaître une lettre, on l'observe et on la reconnaît visuellement, on la prononce et on entend le son qu'elle produit, on la touche et on l'écrit...

    • Le retour sur information permet aux enfants d'assurer leurs connaissances tout en les vérifiant.

    → C'est pourquoi, même en GS, il faut présenter la combinatoire :

    ♠  reconnaître b alors qu'il s'agit de d et ne pas s'en rendre compte, même après répétition de la maîtresse, c'est normal parce qu'il n'y a d'autre retour que l'air désolé de l'enseignant qui s'afflige ;

    ♠ de même, reconnaître ba au lieu de da, en GS ou au CP, et toujours ne pas s'en rendre compte, c'est normal parce qu'il n'y a pas plus de retour que dans la situation précédente...

    ♥ En revanche, lorsqu'on lit « La bame a du bu jus de bomme. », on se rend compte bien avant la fin qu'on est en train de confondre d, b et 

    → Et ceci est généralisable à toutes ces listes de syllabes qu'ingurgitent les petits élèves des CP à 12 participant à l'expérimentation Agir pour l'école, si j'en crois ce que j'ai lu ici ou là !

    ♠ Un enfant qui lit 50 syllabes isolées n'a aucun retour personnel sur information quant à la conformité de sa lecture

    ♥ alors que celui qui lit le texte ci-dessous lit 71 syllabes en ayant un retour d'information toutes les 2, 3 ou 4 syllabes :

    À l'école

    Lucas va à l'école, comme Malo, Lila et Marie.

    À l'école, Malo est assis à côté de Lila.

    Et Lucas est assis à côté de Marie.

    À l'école, il y a Sacha, Assim, Cassy, Vassili, Ali, Arturo et Sacha.

    • Enfin, selon l'adage bien connu, la répétition fixe la notion.

    → C'est là que l'enseignant joue son rôle le plus intéressant :

    Comment, sans faire fléchir l'intérêt des enfants leur donner l'occasion de s'entraîner et encore s'entraîner ?

    ♥ l'apprentissage pas à pas, parce qu'il inclut les connaissances antérieures, permet cette répétition.
    Les élèves qui ont appris à reconnaître les lettres n, i et o et savent les combiner pour écrire et lire le prénom Nino. Ils réinvestissent leurs connaissances lors de l'introduction de la voyelle a lorsqu'ils se rendent compte qu'ils peuvent maintenant écrire et lire les prénoms Ana et Noa. Ce réinvestissement continuera toute l'année parce que, toute l'année, il codera et décodera des mots contenant au moins une fois les lettres n, i et o se prononçant [n], [i] et [o].

    ♥ les différentes entrées sensorielles réactivent et font répéter à leur tour les connaissances antérieures et celle qui vient d'arriver :

    → les enfants reconnaissent la nouvelle lettre au milieu des anciennes.
    C'est à cette occasion qu'ils découvrent les graphies visuellement proches, trouvent et adoptent des procédés pour les distinguer les unes des autres

    → ils la prononcent et apprennent à la combiner avec celles qu'ils connaissaient déjà.
    C'est à cette occasion qu'ils découvrent les phonies auditivement proches, trouvent et adoptent des procédés pour distinguer leurs graphies les unes des autres

    → ils l'écrivent seule puis combinée avec d'autres en syllabes, mots et phrases, réactivant pour ce faire toutes les connaissances déjà acquises

    → ils s'entraînent, grâce à des exercices écrits variés, progressifs, attrayants, à employer et réemployer ces lettres connues dont le nombre, très réduit au départ, ne les affole pas et ne leur donne pas l'impression d'une montagne infranchissable remplie de couloirs d'avalanche, de séracs glissants, de glaciers aux crevasses insondables et d'éboulis dangereux dans lesquels ils se tordent les chevilles et se blessent les mains...

    ♥ Enfin, dès que leurs connaissances sont assez nombreuses (3e trimestre en Grande Section ; mi-octobre au plus tard au CP), ils découvrent la joie de l'écriture autonome ou collective :

    → ils écrivent un mot par ci, une phrase par là, sans modèle ni répertoire affiché au tableau

    → eux qui ne pouvaient jusqu'alors que dicter les phrases qu'ils souhaitaient transmettre à leurs correspondants, quels qu'ils soient, participent désormais en tant qu'acteurs à la rédaction collective de ces phrases qu'ils adressent à leurs familles, à leurs camarades d'autres classes ou même à eux-mêmes, pour garder en mémoire les faits marquants de leurs apprentissages d'écoliers.

    Ils peuvent désormais commencer à s'intéresser au nom qu'on a l'habitude de donner aux consonnes pour les rendre prononçables. En effet, ils commencent à avoir besoin de ces noms pour épeler les mots qu'ils souhaitent voir écrits par le secrétaire de séance.

    Plus tard, au CE1 et au CE2, ils apprendront à les réciter dans l'ordre alphabétique pour pouvoir apprendre à se servir d'un dictionnaire en papier. Il est d'ailleurs fort probable qu'avant l'ordre alphabétique, ils aient à apprendre les lettres dans un autre ordre : AZERTYUIOP QSDFGHJKLM WXCVBN;;;

    D'ici-là, répétons tous en chœur :

    « Les méfaits de l'alphabet, il faut s'en méfier...
    L'ordre alphabétique,
    c'est comme les antibiotiques,
    ce n'est pas automatique ».


  • Commentaires

    1
    Ah ah ah
    Mercredi 12 Décembre 2018 à 17:09
    Pourriez-vous citer les études sur lesquelles vous vous appuyez?
      • Doublecasquette
        Mercredi 12 Décembre 2018 à 17:33
        Je ne m'appuie pas sur des études, mais sur une quarantaine d'années d'expérience, d'observations et de lectures de diverses méthodes de lecture et je propose des pistes à mes collègues.
        C'est tout.
      • Emilie Oum Kalthoum
        Vendredi 14 Décembre 2018 à 16:45
        Ah cette manie de demander les études qui prouve(raie)nt tout et n'importe quoi !
        Une expérience de 40 ans vaut mille fois la meilleure des études !
        Merci pour ce nouvel article plein de bon sens !
      • Samedi 15 Décembre 2018 à 09:28

        Merci Emilie ! yes

    2
    Anne-Do
    Jeudi 13 Décembre 2018 à 10:00

    Je confirme pour la diversité d'approches des lettres, par tous les sens, cela donne une chance supplémentaire à ceux qui sont aux périphéries.

    Et l'observation des écrits, partout et tout le temps, dans la vie quotidienne, sur le chemin de la salle de sport (nom de l' abribus, de la salle de sport municipale...) comme à la maison (Banania,Bridel...), observons et oralisons à tout-va !!! .

      • Jeudi 13 Décembre 2018 à 10:02

        Et l'observation des écrits, bien entendu ! yes

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