• Maternelle : Entrer dans l'écrit

    Maternelle : Entrer dans l'écrit

    Souvent, dans l'imaginaire enseignant, faire « entrer dans l'écrit » des élèves de maternelle, c'est toute une histoire...
    Comme on ne souhaite surtout pas démarrer l'apprentissage de la lecture en maternelle tout en voulant faire entrer les élèves dans le monde de l'écrit et les préparer à ce futur apprentissage, on tente désespérément de scinder cette « découverte » de l'écrit en micro-compétences bien individualisées les unes par rapport aux autres, comme si l'on souhaitait tout faire pour empêcher les élèves de créer des liens entre les différentes composantes de l'écriture-lecture.
    On voit ainsi dans les programmes et les livrets d'évaluation des "tirés à part" totalement indépendants les uns des autres :

    1) le « comportement de lecteur » entraîné par des activités de tris, classements, comparaisons à partir d'écrits « vrais » ;
    2) le geste d'écriture entraîné soit par des exercices graphiques visant à assouplir les doigts, soit par des fiches savantes apprenant aux élèves à gérer l'espace graphique et à maîtriser ses composantes statiques et dynamiques ;
    3) la production d'écrits où pour simplifier un tantinet la tâche de nos nouveaux Balzac de 5 ans, on utilise la majuscule d'imprimerie ;
    4) la connaissance de l'alphabet, prétexte à œuvres d'arts visuels du plus bel effet ;
    5) la conscience phonologique, si possible uniquement à l'oral et surtout sans lien avec le déchiffrage censé déconcerter l'enfant de moins de 6 ans[1].

    Or, le but que l'on recherchera l'année d'après, au CP, sera que tous les élèves créent du lien entre ces micro-compétences. De ce fait, ne serait-il pas plus simple, et particulièrement pour les enfants les plus fragiles, de mettre un tout petit peu de concret là-dedans ?

    Pour les points 1 et 3, un peu différents des trois autres dans le sens où ils ne sont en fait accessibles qu'à une personne déjà lectrice et pourvue d'un bon bagage culturel lui permettant de tirer des généralités à partir de ce qu'il connaît déjà, il existe dans la classe une « personne-ressource » qui peut jouer le rôle de lecteur-secrétaire pour les enfants. Est-ce bien nécessaire de demander à un pommier de cinq ans une belle récolte de pommes ou à un jeune apprenti ébéniste de fabriquer seul une table Louis XV ?
    Contentons-nous donc de ce que les élèves savent faire, écouter et parler et enrichissons leur bagage culturel pour qu'un jour, ils aient toutes les clés en main lorsqu'il s'agira d'ouvrir ces portes.

    Les trois autres micro-compétences ne seraient-elles pas beaucoup plus simples à appréhender si on les liait intimement ?

    Il suffirait pour cela de partir de l'écriture d'une lettre, le i par exemple, relativement simple à écrire, à entendre et à distinguer visuellement.
    Les élèves ne sont pas stupides et il y a belle lurette à cinq ans qu'ils distinguent auditivement le son [i] dans les mots, même si, pour quelques élèves d'origine étrangère, il a du mal à être différencié du [é}.
    Pour ceux-ci, un peu de renforcement articulatoire peut être nécessaire si la PS et la MS ne l'a pas suffisamment travaillé. Sous forme de jeux de prononciation, de comptines, cela se fait plutôt aisément.
    Pendant quelques jours, les élèves seraient donc amenés à écrire des i en écriture cursive, à les reconnaître visuellement et les entendre dans des mots oraux.

    Lorsque tous y arriveraient à peu près (ne visons pas l'excellence, notre alphabet ne comportant que vingt-six lettres, les enfants seront amenés à voir et revoir ce fameux « i » quelques centaines de fois dans l'année scolaire, et l'imprégnation aidant, même ceux qui n'en seraient à la fin des exercices qu'à « en cours d'acquisition » auront largement le temps de passer à « acquis" »dans les semaines et les mois suivants), on passerait à une seconde voyelle, puis une troisième et ainsi de suite.

    On pourrait même imaginer, après la lettre i, passer plutôt tout de suite à une consonne, longue de préférence, le m, par exemple.
    Cela induirait dans le cursus une timide apparition des compétences 1 et 3 plus rapide.
    En effet, dès que l'on a ces deux lettres, on peut introduire le mot lu et écrit et donc faire intervenir beaucoup plus rapidement que prévu un embryon de compréhension et de production d'écrit, très modeste il est vrai mais néanmoins tangible. Des prémices ressemblant beaucoup au tout premiers essais de communication orale de l'enfant de 9 à 18 mois qui passe insensiblement des lallations à la période locutoire.

    Les élèves savent écrire et lire les lettres i et m (prononcée « mmmm » par l'enseignant). Il suffit que l'enseignant leur apprenne à les associer à l'écrit pour qu'ils sachent écrire et lire « mi » et « mimi ». Peut-être ne connaissent-ils pas encore le mot « mi », mais n'importe quel enfant de cinq ans met du sens dans le mot « mimi » : « Mimi, c'est le chat de la voisine, la grande sœur Émilie, le tonton Michel ! Et moi, du haut de mes cinq ans, je peux l'écrire et le lire ! »

    Le mécanisme global est enclenché, il n'y a plus qu'à continuer, tout doucement, pas à pas, pour qu'en fin d'année, tous les élèves aient débuté l'apprentissage de l'écriture-lecture et qu'ils puissent sereinement envisager le passage au CP.

    Je sais que je vais faire hurler de rire ou de désespoir ceux qui ici pensent encore que les enfants de cinq ans ont plus de plaisir à faire semblant de savoir pédaler sur un vélo de course qu'à avancer tout doucement mais pour de vrai sur un petit vélo à roulettes, mais je demande humblement aux autres d'oser remettre en cause ce qu'on leur a appris et de se poser honnêtement la question.

    Notes : [1]  C’est en cela que je ne peux pas condamner complètement le travail de Céline Alvarez ces dernières années : il aura au moins eu le mérite de remettre à l’honneur des pratiques ancestrales prouvant que l’enfant de moins de 6 ans peut apprendre à lire simplement en apprenant à écrire. La seule chose qui m'a perturbée à la lecture de son livre, c'est cette insistance à vouloir forcer le destin en faisant de ces « fondamentaux savants » (écriture, lecture, mais aussi numération décimale, techniques opératoires, cartographie et solfège) l'acquis central de chacune des trois à quatre années d'école maternelle.

     Pour consulter le sommaire de ce blog.

    À suivre (nouveaux liens) : Pourquoi nos élèves écrivent-ils aussi mal ?


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