• Les lendemains qui chantent...

    Les lendemains qui chantent...
    La réforme qui va tout changer (allégorie)

    Souvent réforme varie, bien fol qui s'y fie... Bien sûr, elles nous promettent toutes ces radieux matins qui chanteront bientôt, dès que les professeurs des écoles s'y seront jetés à corps perdu, subjugués par la pertinence de leurs contenus, la modernité de leur nomenclature, leur caractère innovant exalté par leurs documents d'application à l'efficacité redoutable et l'obsolescence dangereuse des contenus antérieurement enseignés...

    Les plus engagés de nos collègues se précipitent, d'articles de blog en interviews dans la presse, de matériel pédagogique vitement adapté à partir des trois billes qu'ils trouvent de ci, de là en passage sur les plateaux télé, coincés entre un reportage sur la dernière allergie à la mode et les nouvelles des frasques des grands de ce monde.

    On ne peut pas le leur reprocher : il faut du spectacle, du résolument nouveau, du clinquant qui se voit... alors ils nous en donnent. Merci à eux.
    Des ados déambulent en chaussettes de pouf en banquette dans les couloirs de leur collège et ça fait le buzz sur les réseaux sociaux ; des petits écoliers de maternelle jouent à l'eau, déchiffrent des mots, font leur petite lessive, marchent sur une ligne tracée en ellipse dans leur salle de classe, divisent 7 865 par 5 à l'aide de perles dorées, et la France entière crie au miracle ; des élèves de cours moyen redécouvrent les joies de l'expression écrite grâce à l'effet conjugué – c'est le cas de le dire – d'une vieille réforme de l'orthographe exhumée du placard où elle dormait paisiblement depuis 26 ans, de la disparition du classement des verbes français en trois groupes clairement définis et de la mise au ban de l'analyse grammaticale mot à mot au profit de deux entités résolument innovantes bien qu'aristotéliciennes, répondant aux doux noms de sujet et de prédicat, et c'est l'effervescence dans tous les médias qui portent au pinacle ou conspuent leur courageux professeur !

    À tout bien considérer, heureusement qu'ils sont là, ces généreux précurseurs, parce que, sans eux, les professeurs des écoles seraient bien en peine de les mettre en œuvre, ces réformes dont la bienveillance bienfaisante égale la bienfaisance bienveillante. 
    Comment feraient-ils sans matériel, sans formation, sans consignes venues de leur hiérarchie qui, très certainement, inscrira ces changements fondamentaux au PAF, mais plus tard, quand elle aura réglé les formations institutionnelles au LSUN – et qu'elle aura eu le temps de se mettre elle-même au courant des nouvelles lubies venues d'en haut !
    Comment concevoir un changement à 180° sans même une petite vulgarisation qui leur permettrait d'avoir au moins deux jours d'avance sur leurs élèves qui sont censés progresser à pas de géants, grâce à leur ouverture d'esprit qui les garantit contre des représentations mentales obsolètes issues d'une sclérose professionnelle induite par le caractère délétère de la fonctionnarisation ?...

    Alors, que font-ils, ces pauvres collègues ?

    Certains continuent comme avant... Ils ont imprimé, ou pas, à leurs frais qui plus est, les nouveaux programmes. Ils les ont vaguement survolés, ou pas. Puis ils se sont dit qu'ils verraient plus tard, qu'ils essaieraient de convaincre la mairie de changer les livres et puis qu'après, peut-être... mais que bon, ça va quoi. Un gamin, c'est un gamin, et il aura toujours besoin de savoir à peu près lire, écrire et compter pour aller en 6e alors...  pas besoin de s'affoler non plus, ce n'est pas en changeant trois mots et deux procédures que ça va tout révolutionner, hein !

    D'autres essaient... Ils achètent des spécimens, lisent les livres qu'ils trouvent en tête de gondole dans leur supermarché ou sur la table du conférencier, à la fin de l'animation pédagogique obligatoire programmée par leur IEN. Plus ils lisent et plus ils désespèrent d'y arriver seuls tellement ça les embrouille et ça leur paraît inaccessible ! Eux ce qu'ils cherchent, c'est du pratique, du tout prêt, pas des grands mots qui ne débouchent jamais sur rien d'applicable...
    Alors ils se rabattent sur l'internet puisque leur mairie leur a clairement fait savoir qu'elle a déjà assez de frais comme ça avec les TAP, la chaudière qui déconne, la cantine et le reste, et qu'il est hors de question d'aller changer les livres chaque fois qu'un nouveau ministre cherche à marquer de son empreinte l'histoire ô combien mouvementée de l'Éducation Nationale.

    Et là, ils trouvent nos bienfaiteurs de l'humanité – je ne me moque pas, j'espère avoir l'honneur d'en faire partie, et je ne suis pas jalouse non plus, puisque je ne cherche pas à vivre de mon modeste don, ni à aller faire le guignol sur les plateaux télé – et cela leur paraît limpide... Ils impriment, photocopient et  ils en sont sûrs, cette fois : c'est demain, le lendemain qui chante !
    Et comme demain, finalement, ça ne chante pas toujours si fort que ça, et qu'après-demain, ils se rendent même compte que ça a tendance à chanter plus faux qu'avant, eh bien, ils repartent encore et encore dans leur quête incessante de la nouveauté, du truc qui brille, du clinquant qui va tout révolutionner, du barbier qui, il l'a promis, rasera gratis mieux que tout le monde, demain sans faute !

    Et enfin, il y a la race des convaincus – je ne me moque pas, puisque je crois bien que j'en fais partie, et je ne suis pas jalouse, puisque je reçois souvent des témoignages de personnes satisfaites par l'aide que je leur procure.
    Ceux-là se jettent à fond dans le boulot. Ils lisent, compulsent des ouvrages, correspondent avec des spécialistes, participent à leurs frais à des tables rondes et des séminaires. Et ça marche !
    Dans leur classe, les lendemains chantent et les élèves réussissent... quelles que soient les attentes, la nomenclature, les procédures, les compétences, les connaissances que leurs enseignants cherchent à leur faire partager !
    Si la maîtresse a dit qu'il est plus simple de jouer les Champollion pour apprendre à lire, eh bien, ils apprennent à lire presque seuls ; si le maître pense qu'en faisant une dictée de 140 signes, espaces comprises, par semaine, ils vont progresser en orthographe, eh bien, ils sont presque aussi bons que la moyenne des élèves de 1987, ceux qui avaient eu, au CM2, 360 heures de classe de plus qu'eux depuis le Cours Préparatoire ; si le groupe « mathématiques modernes » de leur département a conçu une méthode révolutionnaire qui leur permet d'additionner, soustraire, multiplier et diviser dans n'importe quelle base de numération (sauf la base dix, trop triviale), eh bien, ils font ça les doigts dans le nez, avec un sourire encore plus épanoui que celui du jeune Pionnier offrant son bouquet de fleurs au Petit Père des Peuples !

    Il en sera de même pour le prédicat, puisque c'est lui, la dernière lubie à la mode.

    Trois convaincus arriveront à permettre à leurs élèves – tous, même le Kévinou du fond de la classe, celui qui a un dossier long comme ça à la MDPH – de dire que « Le petit chat blanc, celui de la voisine qui laisse toujours traîner son sac-poubelle dans l'escalier de l'immeuble, risquant ainsi de faire pulluler une vermine propre à disséminer les germes de maladies venues d'un autre âge », c'est le Sujet de la Phrase, que « boit avidement une grande coupelle de lait bio acheté à l'épicerie solidaire et citoyenne installée dans les locaux de la MJC prêtés par la mairie qui est consciente de son devoir d'éducation populaire relative à la nécessité de promouvoir une agriculture respectueuse de l'environnement », c'est le Prédicat et que « Chaque matin, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne », c'est un Complément de phrase sans intérêt tout juste bon à être déplacé, supprimé ou remplacé, d'abord !
    Et même que ces élèves-là, les petits veinards, cela leur permettra de progresser en expression écrite ! Au bout de quelques semaines de ce régime, leurs phrases se normaliseront, elles s'enchaîneront avec aisance, ils n'oublieront plus ni ponctuation, ni accords, ni reprises pronominales... et les anges, aux cieux, chanteront des Alléluia !
    Et je ne me moque pas, parce que, de 1975 à 2007, j'ai ramé, gadouillé, sans jamais réussir à ce que ce scrogneugneu de Kévin arrête de couper la phrase en tronçons égaux en dépit du bon sens sans même les lire et ne baptise plus le premier GNS, le deuxième GV et le troisième Ct P... Et je ne suis pas jalouse non plus, puisque dans mes classes, mes élèves de CM2 mènent sans difficulté une analyse grammaticale ou logique et que cela les aide à écrire mieux, en respectant plus facilement les accords, la ponctuation et les reprises pronominales.

    Partout ailleurs, et plus ou moins, les collègues rameront, s'épuiseront, chercheront à éviter que leur Sue-Ellen continue imperturbablement à encadrer « Ce matin le » en tant que Sujet, « chat blanc boit du » comme Prédicat, et « lait.» comme Complément de phrase ! Ils se demanderont pourquoi ça ne marche pas chez eux, qu'est-ce qu'ils font de travers et puis, désespérés, ils signaleront Sue-Ellen à la MDPH parce qu'elle le vaut bien...

    Et cela continuera ainsi jusqu'à la prochaine réforme où les contempteurs d'hier – je ne me moque pas, j'en fais partie, et je ne suis pas jalouse, puisque j'ai déjà subi tous ces dénigrements (mais moi, ce n'est pas pareil, c'était mérité parce que j'étais le Mal incarné) – viendront crier bien haut qu'ils l'avaient prédit et qu'on aurait dû les écouter plutôt que de se précipiter sans rime ni raison dans cette lubie défendue par trois clampins dans deux universités perdues...
    Ils pèseront alors de tout leur poids pour faire aboutir leur réforme dont les prérequis ne seront pas enseignés aux professeurs des écoles, auxquels on ne donnera aucun moyen intellectuel, aucune disponibilité matérielle pour l'appliquer intelligemment, en connaissance de cause et en leur âme et conscience, aucun temps de latence pour peser le pour et le contre, aucune latitude à utiliser le chemin qui leur convient pour atteindre le but commun.

    Bien sûr, cette nouvelle réforme ne fera, pas plus que les précédentes, l'objet d'un suivi généralisé et objectif visant à en vérifier autrement que par ouïe-dire la faisabilité et la plus-value auprès du plus grand nombre...
    Et, cinq à sept ans plus tard : D'autres lendemains qui chantent (sujet) pleureront désespérément les enfants qu'ils auront gâchés (prédicat) sur les ruines encore fumantes d'une Éducation Nationale sacrifiée sur l'autel de la course à la marchandisation (complément de phrase sans intérêt puisque déplaçable, supprimable, remplaçable)...


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  • Commentaires

    1
    Rikki
    Jeudi 19 Janvier 2017 à 15:09

    Tu as écrit ça pour me consoler du fait que je n'avais pas bien compris le prédicat ? C'est gentil.



      • Jeudi 19 Janvier 2017 à 16:04

        Pour nous consoler d'être de vilaines jalouses sarcastiques, plutôt ! glasses

      • Dhaiphi
        Jeudi 19 Janvier 2017 à 16:22

        Le prédicat est la fonction assurée par le groupe verbal. glasses

        Plus précisément, le prédicat indique ce qu'on dit à propos du sujet. 

      • Jeudi 19 Janvier 2017 à 16:40

        Alors, Dhaiphi, j'ai juste ou j'ai faux ?

      • Dhaiphi
        Jeudi 19 Janvier 2017 à 16:50

        Ce n'est l'essentiel de ton propos qui porte sur la nouveauté en pédagogie.cool

        J'apportais simplement une petite précision quant à la définition de ce terme

        quelque peu déroutant et donc sujet à toutes sortes d’interprétations

        voire de fantasmes.sarcastic

      • Jeudi 19 Janvier 2017 à 17:25

        Il n'y a de fantasme que chez ceux qui le craignent, mécréant ! Repeat after me : «Ceux qui y voient la panacée sont le Vrai, le Beau et le Bon... »

    2
    Dalila
    Jeudi 19 Janvier 2017 à 17:34
    Le prédicat est ce qu'on dit à propos du sujet...donc aucune différence entre l'attribut du sujet (qui s'accorde) et le COD par exemple? L'objet de l'action et l'attribut ("qualité ") du sujet...aucune différence ! Mes élèves de cm2, dont une majorité ne sera jamais "cheval de course" pourraient expliquer en quoi c'est important ! Ils pourraient l'expliquer aux journalistes qui s'informent à moitié et même à certains collègues!
      • Jeudi 19 Janvier 2017 à 18:17

        Bien d'accord avec toi, Dalila. Mais, comme disait un ami, ce qui est moderne peut aussi être idiot, n'est-ce pas ?

    3
    Rikki
    Jeudi 19 Janvier 2017 à 21:38

    Bon alors si "prédicat" c'est la fonction du groupe verbal, alors, "prédicat" ça n'est pas un groupe en soi.

    Donc si j'écris "Cette andouille de Rikki n'a rien compris alors qu'un gamin de CM1 a tout capté direct", j'ai deux analyses possibles :

    - nature (déterminant démonstratif, nom féminin singulier, préposition, nom propre, adverbe de négation, auxiliaire avoir, adverbe de négation, participe passé, locution conjonctive, déterminant, nom, préposition, acronyme, auxiliaire avoir, adverbe, participe passé, adverbe".

    - fonction (sujet, prédicat, complément de phrase)

    Du coup, j'ai un groupe nominal sujet ("Cette andouille de Rikki", un groupe verbal prédicat "n'a rien compris" et un... heu... un groupe verbal complément de phrase ? Non, parce que là y'a de nouveau un prédicat dedans... ou bien non, y'a pas de prédicat dans les compléments ? Ou bien y'a ?

    Ça y est, je suis de nouveau dans la panade.

      • Jeudi 19 Janvier 2017 à 21:58

        Ben oui, on est tous dans la panade ! C'est la faute aux linguistes qui n'ont pas fait l'effort de vulgarisation qui aurait été nécessaire pour que nous, pauvre monde, arrivions à nous insérer sans peine dans cette spirale ascendante propre à nous faire percevoir les liens très forts tissés par une analyse différente privilégiant le sens.

        Mais c'est aussi notre faute... Quelle idée d'aller employer des phrases complexes, aussi !
        Tuu peux dire la même chose autrement, non ? On nous l'a dit sur les réseaux sociaux : toutes les phrases ne sont pas propres à être analysées.

        Voilà, c'est tout bête. Tu as le droit de faire boire du lait au petit chat ou de raconter que Tom chante mais pas d'expliquer comme ça, avec force détails, que Rikki est bien plus nulle en prédicats qu'un gamin de 10 ans...
        C'est pourtant simple...

    4
    Gelso
    Vendredi 20 Janvier 2017 à 07:04

    Chouette article et chouettes commentaires.

     

    Gelso, pas prête d'enseigner le prédicat.

    5
    Bianca
    Vendredi 20 Janvier 2017 à 10:51

    Je résume toute cette histoire  : « Je me presse de rire de tout avant d'être obligé d'en pleurer ».

    Merci Figaro.

    Et je ne prédis aucun cas.

    Pffffffffffff..........................................

    Et le retour au bon sens ( a minima), c'est pour quand ?

    Courage !!!

      • Vendredi 20 Janvier 2017 à 11:00

        Le retour au bon sens, Bianca, promet de la sueur, du sang et des larmes... Et des sous ! Ce n'est pas vendeur du tout. J'ai bien peur que nous attendions encore longtemps avant que quelqu'un ne s'y risque.

        Pour le moment, le plus utile, je dirais que c'est encore l'inertie qui risque de sauver le plus d'enfants. On hoche la tête de haut en bas devant tout ce beau monde et, dès qu'il a le dos tourné, c'est-à-dire le plus souvent car il est plus occupé à se faire voir qu'à réellement contrôler ce qui se passe dans ses classes, on ressort son analyse grammaticale, son orthographe encore en usage dans l'édition et ses trois groupes de verbes... Parce que nos enfants le valent bien et que les courtisans avides de reconnaissance sociale n'ont pas besoin de la nôtre.

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