• Lecture et recherche de sons

    Lecture et recherche de sons

    Quand nous écrivons un mot, nous lecteurs-scripteurs experts, ...

    nous en avons l'image quelque part dans le cerveau. Par conséquent, pour nous, il est évident que lorsque nous écrirons le mot « cinéma », la dernière lettre sera a, alors que, dans le mot « aéronautique », nous écrirons cette même lettre une première fois en première lettre du mot et une deuxième fois dans le second son |o] du mot.

    Sauf que là, déjà, nous pouvons entrevoir une partie du problème, celui qui à long terme se produira, quand les enfants aborderont l'une des difficultés de l'orthographe française : les sons à multiples graphies. Ce qui montre que, même en fin d'apprentissage, cet exercice de recherche de son est « dangereux » parce qu'il installe dans l'esprit de l'enfant qu'un son = une graphie. Petit exemple avec la fiche ci-dessus : j'ai appris en début de CP qu'on entend [o] une fois dans un oiso et deux fois dans un tyrannosore.

    Ou alors, ce qui est peut-être pire, on enseigne d'un coup [o] = o, au, eau, et on entretient le flou artistique dans l'esprit des enfants en leur présentant ces immenses tableaux de sons dont ils ne peuvent retenir toutes les propositions d'un seul coup (voir L'Everest en tongs dans CE1 : Orthographe graphémique (1)). Mais c'est un autre débat, né lui aussi d'un problème traité d’un point de vue de lecteur expert au lieu de prendre la façon de voir les choses des tout jeunes débutants que nous avons à instruire.

    Après avoir traité la fin du problème soulevé par les exercices de recherche de sons, revenons au début et, pour cela, imaginons que nous apprenions un nouvel alphabet, l'alphabet cyrillique, par exemple.

    Si nous devions écrire dans cet alphabet le mot « dasvidania » (au revoir, en russe). Nous demanderions-nous où il nous faudra mettre la lettre qui se prononce [A] avant de commencer à écrire ou chercherions-nous comment s'écrit le premier son [d] ?

    Je ne crois pas être la seule à vouloir savoir écrire [d] puis [A] puis [s], etc. Et c'est cette technique qui est la bonne puisque, en alphabet cyrillique, ce mot s'écrit : До свидания et que nous constatons que le premier [A] s'écrit о , le second а et le troisième s'écrit я, qui se prononce [ja] (=ia) !

    Cet exercice vient de l'époque où ...

    on utilisait pendant très longtemps une méthode complètement globale. Les enfants dictaient à l'enseignant un texte qu'ils avaient inventé ensemble et celui-ci l'écrivait sous leurs yeux, sans rien dire, avant de l'afficher au mur à côté de tous les textes composés ainsi depuis le début de l'année. Au mieux, il en extrayait les mots nouveaux et les faisait mémoriser globalement en les réemployant dans d'autres phrases à lire ou à écrire.

    Comme les mêmes mots revenaient souvent, peu à peu, les enfants les retenaient et, lorsque l'enseignant écrivait un nouveau texte, ils pouvaient dire que tel ou tel mot était sur telle ou telle affiche. Ils le montraient du doigt, sans le décomposer, et l'enseignant l'écrivait sans rien dire dans le nouveau texte.

    Au bout de quelques mois (vers novembre ou même janvier du CP), pour que les enfants commencent à s'autonomiser en écriture, on les encourageait à « chercher des sons » dans les mots.

    Par exemple, pour écrire le mot « mignon », on demandait aux élèves s'ils pouvaient trouver sur une des nombreuses affiches portant chacune une phrase bien connue des enfants, un ou des mots dans lesquels ils entendaient la syllabe « mi » et un autre pour la syllabe « gnon ». Les enfants montraient alors « ami », « permis », « demie », « minet », « miracle » et « Émilie » et le mot « champignon »... L'enseignant recopiait ces mots les uns en-dessous des autres, sans forcément faire référence aux lettres qu'il écrivait (parfois, quand même, certains épelaient phonétiquement tout en traçant les lettres : « aaaammmiiii - ppperrrmmmiiiis - etc. »)

    Et c'est là que l'ordre d'émission des sons rentrait en ligne de compte...

    Parmi les lettres a, m, i, p, e, r, m, i, s, d, e, m, i, e, etc., lesquelles produisaient la syllabe orale [mi] ? Et quelles lettres se prononçaient [ŋõ] dans le mot « champignon » ?

    Petit à petit, par déduction, la plupart des enfants apprenaient ainsi à distinguer les graphies « utiles » et les mémorisaient. Ils savaient alors lire et plus ou moins écrire (sans l'orthographe, cependant, sauf pour les mots appris globalement et vus et revus sur les affiches).

    Alors, on a décidé d'aller encore plus loin dans le global et de faire référence aux textes plutôt qu'aux mots réutilisés de textes en textes. Et là, ça a été la catastrophe qui a fait rejeter la méthode globale comme méthode dangereuse qui n'apprenait pas à lire ! De nombreux enfants quittaient le CP, voire même le CE1, totalement non-lecteurs et le restaient parfois durablement malgré les séances d’orthophonie et les remédiations mises en place à l’école.

    On a alors commencé à revenir en arrière.

    On a d’abord tenté les techniques en usage à l'étape précédente, celles du repérage des sons dans les mots de manière à en déduire l'écriture, en gardant toutefois ces fameux textes qui travaillaient la littérature «à la manière d’un adulte lettré».

    Il a fallu trouver un ersatz de ces exercices de comparaison des mots connus (puisqu'il n'y en avait plus, les enfants connaissaient surtout des textes). C'est là que sont nés ces exercices sur l'oral qu'on a appelé très vite « la phono ».

    Le pari était simple : si les enfants arrivaient au CP en sachant déjà que dans « cinéma », le son [A] était à la fin, dans la 3e syllabe, peut-être n'aurait-on pas besoin de revenir à ces textes affichés dans la classe, dont les enfants reconnaissaient instantanément chaque mot ? Peut-être pourrait-on garder ces longues phrases tirées d'albums de littérature jeunesse et présentées aux enfants pour qu’ils émettent des hypothèses de sens en se servant du contexte textuel et non-textuel ?

    On espérait que, grâce à ces travaux préparatoires, on pourrait continuer à donner à lire des lectures expertes aux petits CP qui, tout seuls, feraient ces inférences entre les lettres qu'ils avaient sous les yeux et les compétences qu'ils avaient acquises à l'oral en GS et qu'ils continuaient à travailler, à l'oral, au CP.

    Hélas, il n'en fut rien, l'échec scolaire était toujours là, effrayant, et le CP fut peu à peu réputé pour être la classe la plus difficile à mener de toute la scolarité primaire !

    On dut à nouveau revenir en arrière.

    Cette fois-ci, après quelques essais peu concluants, toujours accompagnés de ces exercices oraux et des fameux tableaux de sons, on est reparti de la base : les lettres.

    Nous apprenons donc désormais aux élèves à reconnaître les "dessins" du a (a, A, a, A ) et nous les leur faisons écrire. Un peu plus tard, cela leur permettra, dès qu'ils auront appris une ou deux consonnes en plus de lire et d'écrire : la, ma, lama, mal, alla, ce qui est LE but recherché. C'est très simple et cela ne nécessite pas grand chose d'autre qu'un tableau, une ou deux craies, une ardoise, un cahier et un crayon à papier (et beaucoup de salive pour convaincre certains élèves d'écrire toutes les lettres que nous nous évertuons à prononcer près de leur oreille : « llllllllaaaaaaammmmmaaaaaa » en ne passant à la suivante qu'une fois qu'ils ont daigné écrire chacune d'elle !).

    Cependant, sans doute parce que nous avons pris l'habitude d'un travail très compliqué, sans doute aussi parce qu'au cours des années, il a fallu en rajouter sans arrêt plus et encore plus et que cela a donné naissance à de nombreux livres, de nombreuses animations pédagogiques, de nombreux fichiers, de nombreux ateliers de remédiation, certains d'entre nous ont gardé cet exercice devenu inutile (rappelez-vous : qui se demanderait avant de commencer à écrire "dasvidania" en alphabet cyrillique où se situe les sons [n] et [v] qu'il contient ?) et s'y accrochent, perdant un temps précieux pendant lequel ils pourraient faire écrire et lire les enfants.

    Imaginons juste rapidement ce que serait une leçon sur la lettre i, leçon qui serait située après celles sur les lettres a, l et m sans le temps passé à rechercher tous ensemble des mots contenant ce son à l’oral, puis à en psalmodier les syllabes pour trouver celle qui contient le son, suivi de l’évaluation individuelle avec ce cahier à sortir, toutes ces illustrations à reconnaître, ces cases à cocher, temps pendant lequel la lettre i disparaît complètement du paysage.

    Nous passerions environ 10 minutes à montrer la lettre i dans ses 4 écritures, puis 15 minutes à apprendre à l'écrire en écriture cursive (puisque, hélas, la maternelle, qui perd beaucoup de temps avec la phono, n'a plus le temps d'installer cette compétence). Nous en serions à 25 minutes.

    Continuons.

    Ensuite, il nous faudrait deux fois 20 à 30 minutes pour apprendre à renouveler l'exploit (déjà accompli 2 fois) d'associer une consonne et une voyelle (pour lire et écrire la, ma, lama, alla). Cette fois l’enjeu serait de rendre nos élèves capables de lire, puis d'écrire (ou mieux d'écrire, puis de lire) : li, mi, Ali, ami, Mimi, Lili, mamie, mil, mis. Ali lit. Mamie alla là.

    Soit 1 h 25 dans la journée pour installer le réflexe « œil/main/voix/aire de Wernicke » (aire du cerveau qui permet de lire et écrire un message en le comprenant).

    Ainsi, en une seule journée, nous ferons le travail qui durait une semaine à l'époque de RIbambelle, Abracadalire, etc., lorsque c'était le travail expert sur la littérature qui occupait les trois quarts du temps scolaire et celui sur l'écoute de l'oral, avec entre autres, ces exercices de situation du son dans le mot, le dernier quart.

    Ce gain de temps ne peut que profiter aux enfants qui sont grâce à cela très vite autonomes en lecture, et commencent  à avoir une bonne fiabilité d'écriture orthographique puisque nous avons plus de temps à y consacrer et que nous avançons lettre à lettre et non son par son. Bien sûr, ils liront « aéronautique » plus tard que leurs aînés, à cause de la graphie « au », qui sera introduite plus tard, mais, après tout, l'important est qu'ils le lisent seuls et non uniquement parce que leur professeur leur a dit que le 7e mot de la 2e phrase du texte se prononçait [aEronotik]...

    Voilà, j'ai été très longue, j'espère que vous aurez « tenu » jusqu'à la fin et que je ne vous aurai pas trop embrouillés. Et pour les exercices de phono, que vous soyez en GS, au CP ou au CE1, essayez de les supprimer et remplacez-les par de la lecture et de l’écriture ― on peut par exemple prendre la fiche ci-dessus et demander aux élèves d’écrire  la lettre o lorsqu’ils la prononcent pour dire le nom des objets et animaux représentés sur les images (il vaut mieux alors enlever l’oiseau, juste pour être sûr qu’aucun enfant n’enregistrera que le son [o] du mot oiseau se transcrit grâce à la lettre o).

    Vous verrez que non seulement vos élèves continuent d’apprendre à lire et à écrire mais qu’ils apprennent plus vite et mieux parce que tout simplement vous y passez plus de temps.

    Conseil + :

    Si votre méthode de lecture, qu'elle ait été chaudement conseillée ou non par votre IEN, ne propose que très peu de mots à lire (par exemple, 4 mots à lire pour un leçon sur la lettre f, placée après celles sur les voyelles et celle sur la lettre l), n'hésitez pas à utiliser d'autres spécimens comme banques de mots afin de bien utiliser le temps que vous avez dégagé en supprimant les exercices de phono inutiles !


  • Commentaires

    1
    Flog
    Jeudi 7 Octobre 2021 à 22:14
    C'est très intéressant d'apprendre d'où viennent ces exercices. Je ne me suis jamais sentie à l'aise avec ce type d'exercice : sûrement à cause de leur inutilité !
      • Vendredi 8 Octobre 2021 à 10:14

        Bonjour Flog. L'histoire de l'éducation, c'est passionnant. Vous avez par exemple le le Dictionnaire de la pédagogie, de Ferdinand Buisson. À petites doses, c'est passionnant.

        Lire les instructions officielles de 1882 sur l'école maternelle aussi, c'est extraordinaire de modernité. Ce serait même nettement à l'avant-garde de ce qui se fait aujourd'hui en école maternelle. Tout comme Marie Pape-Carpantier qui passerait pour une révolutionnaire désormais.

        Et puis Froebel, Montessori, Freinet, tous ces gens qui ont été récupérés (parfois au sens le plus péjoratif du terme) pour fabriquer l'école d'aujourd'hui.

        Après, sur les années 1965 à 2008, puis 2008 à aujourd'hui, il faut encore se contenter de lire entre les lignes des "penseurs" de l'époque (Legrand, Charmeux, Foucambert, Manesse, Goigoux, Meirieu, Chauveau, Bouysse et maintenant Dehaenne...).

    2
    Saïssy
    Vendredi 2 Juin 2023 à 03:15

    Coucou, oui oui je continue mes lectures... cet exercice et celui du comptage des syllabes vraiment je les trouves inutiles et malheureusement trop présents dans trop de manuels et trop de classe.

    Encore une fois Catherine merci

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