• Le code, quand ça fait plaisir et puis que ça débarrasse !

    Le code, quand ça fait plaisir et puis que ça débarrasse !

    Notre Ministre a déclaré à un grand journal du soir, pendant les vacances scolaires, que, dès la rentrée de septembre 2014, l'apprentissage du code sera proposé dans les écoles primaires.

    Je suis sûre qu'en me lisant mes collègues Professeurs des Écoles en CP/CE1 frétillent pour les uns : "Ah ! Je vous l'avais bien dit..." et s'offusquent pour les autres : "Mais enfin, ponctuellement on le fait ! Et puis, il y a le sens ! Le code sans le sens, c'est comme apprendre à nager sur un tabouret, ça ne sert à rien !"

    Pendant ce temps, les parents ignorants de la querelle des méthodes et du sens qu'a pris le nom commun code dans les discussions d'instits se disent : "Ah oui, le code de la route ! Ils le font déjà non ? La Prévention Routière qui vient leur passer des diapos, les petits vélos installés dans la cour de l'école et tout et tout..."
    Je les rassure, oui, nous sommes censés le faire, bien que, dans de nombreux départements, la Prévention Routière ait arrêté d'intervenir dans toutes les communes. En effet, on l'a sommée de rendre ses interventions payantes puisque sa gratuité constituait une concurrence déloyale envers des organismes privés qui auraient voulu s'emparer du marché des diapos et des petits vélos dans la cour de l'école.

    Et je mets tout le monde d'accord. Il ne s'agit ni du code alphabétique, ni du code orthographique, ni du code de la route mais du code... informatique !
    La preuve ici !

    Moi, je croyais que ce code-là était réservé aux ingénieurs et aux techniciens qui, après de longues études, avaient su pénétrer dans les entrailles de la bête et lui triturer les circuits imprimés pour nous faciliter la navigation, à nous les utilisateurs plus ou moins chevronnés...

    Dans mon esprit, seuls quelques lycéens, déjà bien dégrossis par huit à neuf années de Primaire et quatre années de Collège pluralistes consacrées aux codes-sources de notre culture, pouvaient avoir l'utilité d'ajouter ce code-là à leur formation, comme l'apprenti-musicien étudie le solfège et la théorie musicale, l'apprenti-boulanger le code des différentes farines ou l'apprenti-coiffeur les compositions et temps de pause des produits de teinture qu'il utilisera sur nos têtes !

    Pour moi, l'école, et particulièrement l'école primaire, celle que je connais, est là pour les "codes-sources", ceux dont la maîtrise permettra d'acquérir facilement tous les codes spécialisés que nous aurons besoin, ou pas, de craquer plus tard, au cours de nos études spécialisées ou dans notre vie quotidienne.

    Les codes-sources, ne sont pas très nombreux mais ils peuvent être extrêmement difficiles et longs à maîtriser parfaitement.

    Le premier, c'est la communication infra-verbale.
    Il commence à s'apprendre à la maison mais l'école, premier lieu social, est obligée de compléter l'apprentissage débuté en famille, du fait de son originalité. Se déplacer sans tout renverser, oser aller d'un lieu à un autre, savoir accueillir la nouveauté, prendre sa place, toute sa place mais rien que sa place... Adopter un comportement éthique et responsable, comme dirait l'autre !
    Tout un programme (informatique) ! Je ne vous dis pas tous les influx à bloquer ou au contraire à favoriser, tous les circuits à mettre en place, tous les codes à enregistrer, automatiser, connecter entre eux pour les concaténer... Impressionnant !

    Le deuxième, c'est le langage.
    Là, on frôle la notion d'infini ! Un cheval de Troie qui entre dans le cerveau tout neuf du fœtus de quelques semaines. Ce virus ravageur envahit peu à peu toute l'aire de son cerveau qui l'accueille. En développant ses tentacules interminables, il peut tout aussi bien ruiner l'avenir de son hôte que le promettre aux plus hautes sphères...
    L'école passe le plus clair de son temps à empêcher les manifestations délétères du virus de prendre le pas sur celles qui au contraire renforceront l'organisme de ses patients et les rendront capables de comprendre tous les autres codes.

    Ensuite, il y a le dessin, ce code qui rend visible et durable la pensée, cet écran sur le monde. Et puis, juste derrière, sa petite sœur, l'écriture.
    Celle-ci, combinée au langage, permet d'infiltrer tous les lieux de mémoire, réels ou virtuels. À eux deux, ils ouvrent la porte de la communication à distance, celle de la consultation des archives et celle de la création. Ils permettent par leurs maîtrises conjointes d'accéder à tous les savoirs des hommes depuis l'origine des signes graphiques et de les fixer sur son disque dur interne.
    C'est grâce à l'écriture que l'enfant va perfectionner son apprentissage des codes-sources, allant toujours plus loin dans la maîtrise de leurs particularités.

    Des premiers balbutiements du petit écolier de cinq à six ans écrivant "Malo a vu le vélo de Lila." à l'accord des participes passés selon que le complément d'objet direct est placé avant ou après le verbe, que de réactions en chaîne, cet apprentissage du code orthographique a-t-il su provoquer ! Combien de neurones a-t-il fallu activer, connecter, réactiver pour être peu à peu capables de réaliser ces inférences, ces substitutions, ces transferts cognitifs, ces mises en réseau !

    Et la programmation, même plus assistée, de la division à deux chiffres au diviseur ? Combien de lignes de programmation intellectuelle pour passer de 125 978 : 47 à 2 680,3829 ?

    Et l'enrichissement progressif des connaissances ?
    La tortue-logo qui avançait cahin-caha sur le sol des classes des années 1980 n'a jamais prouvé qu'elle avait permis au petit Michaël ou à la petite Séverine de l'époque de choisir l'informatique et je parierais plus sûrement sur la curiosité intellectuelle développée chez ces deux enfants par les lectures, les expérimentations, les films, les récits, les recherches que l'École leur a proposés et même imposés parfois.
    Déjà, à l'époque, cette École aurait pu faire mieux et nous subissons sans doute les effets d'une ambition amoindrie qui a entraîné année après année une révision à la baisse de la programmation des savoirs.
    Les codes-sources sont devenus si peu fournis que n'arrivent à s'en sortir que ceux qui ont été dotés à la source d'une puissance informatique dont les caractéristiques se rétrécissent de jour en jour ou ceux dont les équipementiers possèdent les ressources nécessaires pour rémunérer des personnels de maintenance qui les reformateront afin de booster leurs performances !

    Je fais pourtant bien le pari que si ces codes-sources-là étaient à nouveau mis à l'honneur et que tout l'effort de formation et d'équipement des écoles était consacré à cela, plutôt qu'à acheter sans cesse du matériel à obsolescence programmée, nos écoliers devenus collégiens et nos collégiens devenus lycéens n'auraient pas besoin d'un plan ministériel sur la comète pour décider tout seuls d'apprendre le code informatique si cela leur chantait.

    De toute façon, je ne vois pas pourquoi je m'énerve puisque l'École et son personnel d'État ne sont même pas concernés (d'où l'annonce en plein été sans que notre hiérarchie ait pu budgétiser et organiser quoi que ce soit, peut-être ?).
    Non, ce sont les mairies que notre ministre sollicite ! Les mairies ! Et le périscolaire !
    Notre ministre est le ministre du périscolaire et l'autorité de tutelle des conseils municipaux, cela se confirme.

    Suite à cette annonce, quelques maires dociles iront acheter du matériel sophistiqué et l'installeront à grands frais dans les écoles, ils recruteront des diplômés en informatique, pédagogues ou pas, qui distrairont les enfants 45 minutes par semaine.
    Ici, il y aura un article... Là, un reportage à FR3 Régions...
    Telle grande métropole, amie des enfants, pourra afficher un méga projet d'association mairie-université-grande école qu'on affichera sur le site du Ministère de l'Éducation (on parie combien que Nationale ne va pas tarder à disparaître ?).

    Ensuite, on verra... même si nous, les enseignants, nous pouvons déjà décrire de façon très précise ce qui se passera dans les différents types de communes.

    L'avenir, tout le monde s'en fiche. L'important, c'est que l'École ait servi le Marché. Et que le Marché  profite à la Croissance.
    Rendez-vous compte, des milliers de tablettes numériques vendues comme des petits pains ! Je ne vous dis pas l'effet que cela fera sur l'OCDE, le boom économique du PIB français !
    Et tout cela en démontrant encore une fois que la solution-miracle est venue des Territoires !

    La boucle est bouclée et c'est cela l'important. 

    Post Scriptum : Ce ne seraient pas des additions qu'ils feraient, nos petits informaticiens, sur la photo qui illustre cet article ? Les mêmes que celle-ci, alors...

    Le code, quand ça fait plaisir et puis que ça débarrasse !


  • Commentaires

    1
    retraitée
    Dimanche 13 Juillet 2014 à 13:07

    Le code d'Hamon (lou) ravi ?


     

    2
    Dimanche 13 Juillet 2014 à 13:53

    Excellent !

    3
    gelso
    Dimanche 13 Juillet 2014 à 14:33

    Meric DC pour ce bel article! he

    4
    Lau
    Dimanche 13 Juillet 2014 à 15:02
    Bravo pour ce condensé de lucidité. Tout est merveilleusement écrit et parfaitement juste.
    Mon extrait favori est :
    "Notre ministre est le ministre du périscolaire".
    CQFD
    5
    Dimanche 13 Juillet 2014 à 15:06

    Merci Lau ! Et n'hésite pas à diffuser autour de toi ! wink2

    6
    Padre P. Lucas
    Dimanche 13 Juillet 2014 à 19:08

    Le code de l'Hamon ? ça serait pas une contrepèterie par hasard ?wink2

    7
    retraitée
    Lundi 14 Juillet 2014 à 11:17

    La mode de le (du)  con/le con de (à) la mode ?

    8
    Lundi 14 Juillet 2014 à 11:28

    Merci à la personne qui m'a signalé quelques coquilles.

    9
    Mercredi 16 Juillet 2014 à 11:23
    10
    Mercredi 16 Juillet 2014 à 11:39

    Il faut que je change de police, c'est ça ? Et vous me conseillez laquelle pour faire sérieux ?

    11
    Dimanche 14 Septembre 2014 à 11:01

    DC, j'ai fini mon long article sur l'enseignement du code à l'école en renvoyant ici. ;-)

    12
    Dimanche 14 Septembre 2014 à 12:22

    Merci Loys ! Je le rajoute dans ma rubrique Actualités !

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    13
    Samedi 4 Octobre 2014 à 09:44

    Sophie Pène, du Conseil national du numérique, trouve au contraire que le code informatique, c'est une bonne façon d'entrer dans le code alphabétique : "Pourquoi enseigner le code à des enfants qui ne savent pas lire? Parce que beaucoup d'enfants, aujourd'hui, ont besoin de passer par le code pour apprendre à lire. Le code, c'est de l'analyse, de la compréhension, du "décodage" du monde."

    14
    Samedi 4 Octobre 2014 à 12:15

    Dites-moi, pourquoi ces propos me font-ils immédiatement penser à ceux-ci ?...

    15
    Samedi 4 Octobre 2014 à 13:41

    ^^

    Il y a une réécriture moderne d'une autre pièce : "Les twitteuses ridicules"

    16
    Samedi 4 Octobre 2014 à 13:52
    17
    Mardi 14 Octobre 2014 à 14:52

    Quand des experts improvisés de la petite enfance partagent leur connaissance de l'informatique avec les enseignants, ça donne ce genre de choses :

    "Un exemple très simple : l’algorithmique. Cette discipline peut s’apprendre très tôt. Si vous prenez un enfant, une des premières choses qu’on lui apprend est de s’habiller. On lui explique qu’il faut mettre ses sous-vêtements avant de mettre son pantalon. Il y a donc un séquencement des tâches. C'est quelque chose de très classique. Ensuite pendant cet apprentissage, vous leur expliquez qu’ils peuvent essayer de mettre une chemise en même temps qu’un T-shirt, mais que c'est compliqué. Par contre les deux jambes du pantalon en même temps, c’est envisageable. Vous leur apprenez alors le parallélisme. En jouant, vous pouvez introduire toutes ces notions de façon complètement naturelle et les préparer petit à petit à aller vers beaucoup plus de choses jusqu’à ce qu’ils apprennent les vrais fondements de l’informatique qu’ils pourront utiliser."

    yes

     

    18
    Mardi 14 Octobre 2014 à 17:24

    Ah bah, c'est sûr qu'il a fallu attendre l'époque du codage informatique pour penser à dire à un gamin qu'ils fallait qu'il commence par la culotte et les chaussettes et qu'il finisse par le bonnet et les moufles !

    Quant aux deux jambes de pantalon, qui n'a pas, au cours de sa scolarité élémentaire, lu ou joué cette pièce bien connue ?

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