• La compréhension, c'est pas automatique...

    La compréhension, c'est pas automatique...

    Illustration de Sophie Borgnet, Écrire et Lire au CP, expression écrite.

    M. Goigoux explique au cours d'une de ses conférences (Enseigner la compréhension) que certains élèves attendent d'avoir fini de lire le texte (déchiffrer péniblement parfois) pour chercher à comprendre ce qu'ils viennent de lire.

    Au cours de cette lecture, ils resteraient dans un processus passif de réception,  ne s'engageraient pas dans un processus d'intégration sémantique cyclique où chaque nouvelle information du texte leur permettrait de rebrasser leur compréhension en intégrant ces nouvelles données. 

    Passons rapidement sur l'implicite et le fait que le lecteur a besoin d'aller sans arrêt plus loin que ce que le texte dit précisément. Il me semble évident qu'il doit comprendre ce que ce qu'il lit sous-entend comme circonstances et événements forcément liés au contexte décrit. Faire des inférences, ça s'apprend et M. Goigoux nous dit que certains élèves n'ont pas appris.

    Moi, je dis que ce n'est pas étonnant du tout, tout simplement parce que c'est exactement ce qu'on nous a dit de faire lorsque nous lisons des histoires, des albums, des contes et des récits aux plus jeunes de nos élèves.

    On nous a formellement interdit d'interrompre sans cesse notre lecture pour éclaircir un point de vocabulaire, une tournure de phrase, un événement trop légèrement suggéré et difficilement interprétable pour nos apprentis-écouteurs-d'écrits. On nous a demandé d'attendre la fin de l'histoire pour demander aux élèves de nous donner leurs sentiments sur ce qu'ils venaient de partager avec nous. On nous a dit de ne pas influencer leur propre ressenti en plaquant notre interprétation du texte sur la leur qu'ils pouvaient choisir de ne pas nous dévoiler. On nous a enfin conseillé de ne pas nous cantonner à un univers trop terre et à terre, trop lisible, et de ne pas hésiter à choisir des textes résistants n'obéissant pas à une logique cartésienne ou s'éloignant résolument d'un monde connu trop bien balisé.

    Comment s'étonner qu'arrivés au cycle 3, les plus fragiles de nos élèves, tous ceux qui n'ont pas rencontré en dehors de l'école de conteur familial ou associatif qui les aura conduits à petits pas sur le chemin des livres, soient toujours persuadés que le temps du conte est une annexe du dortoir ? Depuis le temps qu'ils subissent sans comprendre une activité dans laquelle on ne leur a jamais appris à agir, ils seraient drôlement costauds s'ils ne fermaient pas les écoutilles dès le premier mot.

    Toujours selon R. Goigoux, après avoir lu le texte, le même type d'élève dit ne pas pouvoir le raconter parce qu'il ne l'a pas appris. Il croit qu'on lui demande une restitution mot à mot d'un texte appris par cœur plutôt qu'un résumé rapide, dit avec ses propres mots, des événements qui ont fait l'histoire qu'il vient de lire.

    Tiens... Voilà qui me rappelle quelque chose... Et là, nous ne sommes plus à l'école maternelle à l'heure du conte mais bien à l'école élémentaire, au CP plus précisément. Réciter, le plus précisément possible, des phrases extraites d'un album de littérature de jeunesse, n'est-ce pas exactement ce qu'on demande de faire à bien des petits élèves de cette classe dès les tout premiers jours de classe ? J'ai rêvé que j'étais un gros monstre vert... Maman est prête mais elle boude... Ma maîtresse est une ogresse... Et si les plus à l'aise de ces jeunes enfants apprennent petit à petit à se repérer dans ces centaines de mots plus ou moins bien identifiés, il n'en est pas de même pour les plus faibles. Pour eux, la récitation par cœur de tirades difficilement restituées après des heures de découverte lente et pénible continue toute l'année. Nombreux sont ceux d'entre eux qui, à l'aube du CE1, pensent encore que lire, c'est réciter un truc qu'on a appris à l'oreille en écoutant agir les autres !

    Pour ces enfants-là, souvent faibles déchiffreurs, pépéherrisés parfois même avant d'entrer à l'école élémentaire, classés petits parleurs dès la Petite Section, pourquoi ce qui était pour eux le signe de reconnaissance de l'activité de lecture pendant toute l'année de CP devrait, l'année suivante, changer et devenir tout autre chose ? Surtout si cette chose, la compréhension au fil du texte et la traduction de celui-ci en quelques phrases simples, n'a jamais été pratiquée à l'oral avant d'être transférée à un support écrit.

    Heureusement, pour eux, mais aussi pour les autres, M. Goigoux nous offre des solutions : un  décodage bien établi (c'est selon lui le rôle du... Cours Élémentaire), une syntaxe et un lexique riches, des connaissances variées (histoire, géographie, sciences) et littéraires (stéréotypes, stratégies narratives, ...), des stratégies de compréhension (régulation, contrôle et évaluation de sa stratégie de lecteur). Les PE qui établiront cela dans leurs classes de CE et CM verront sans doute leurs élèves progresser et comprendre... oserais-je dire enfin... ce que signifie le verbe lire.

    Son équipe de recherches a d'ailleurs observé les Stratégies de ceux qu'on appelle les "bons maîtres" :

    Ils précisent les intentions ou le but de la lecture, ils expliquent le lexique, ils mobilisent les connaissances nécessaires, ils segmentent le texte au fur et à mesure de son déroulement, ils synthétisent, reformulent ou font reformuler les idées essentielles, ils aident à relier les éléments du texte, ils font expliciter l'implicite en posant des questions et en guidant la "lecture à rebours".

    Tout ceci se fait en public, collectivement, et, à la fin, les élèves ont compris le texte.

    Tout d'abord, je remercie sincèrement M. Goigoux de remettre à l'honneur le collectif, la classe, celle que le savoir-faire de notre métier fait avancer ensemble, en différenciant le moins possible et en gardant le maximum de cohésion. Cela fait vraiment du bien d'entendre cela et il est tellement nécessaire de le dire en cette époque folle d'individualisation des parcours !

    Ce qui est dommage, c'est que ces stratégies des "bons maîtres", de la façon de décrypter un texte à la manière de mener une classe ne soient pas valorisées pour toute l'École Primaire. Je ne dis pas qu'il n'y aurait que de bons élèves mais il me semble tout de même que ce serait plus simple pour ceux d'entre eux qui ont de la peine à changer de stratégies ! Et c'est aussi valable pour la compréhension et pour la façon de travailler en groupe-classe que pour l'apprentissage du code grapho-phonétique... Pourquoi ne rien faire pendant toute la Grande Section et une grande partie du CP et dire ensuite que c'est primordial et qu'un décodage trop lent perturbe la lecture compréhensive ? 

    Là, dans sa conférence, au contraire, il revient au problème de la lecture autonome et nous nous retrouvons au début de notre histoire : comment redresser ce qui a été bâti tordu ?

    Les "bons maîtres" s'en prennent plein la figure parce qu'ils mèneraient ce travail de compréhension sans en avoir conscience. Ils n'apprendraient pas à leurs élèves à le faire vraiment et ne le transmettraient pas à leurs jeunes collègues.

    Et comme ils n'arrivent pas à transmettre réellement à 100% de ces élèves mal démarrés, à qui l'on a fait faire semblant et mal, depuis leur entrée à l'école, comment on lit vraiment, ils sont presque accusés de faire encore plus mal que tous ceux qui ne font rien et continuent à laisser un quart de leur classe mener le débat pendant que les trois autres quarts dorment, s'ennuient, se demandent ce qui se passe, comme ils l'ont toujours fait depuis tout petits.

    Je crois que, sans doute à cause de mon âge et de mon amour des histoires, j'ai toujours fait partie de ceux que M. Goigoux appelle un peu ironiquement je crois les "bons maîtres" avant de les accuser d'être trop intuitifs et pas assez rigoureux dans leur approche de la compréhension.

    J'aurais volontiers transmis mon savoir-faire à mes jeunes collègues mais on ne me l'a jamais demandé et quand je l'ai fait quand même on s'est empressé d'expliquer aux jeunes collègues qu'il ne fallait surtout pas faire comme ça.
    Comme j'ai la chance de récupérer mes élèves à cinq ans et de les garder jusqu'à huit, je peux mener ce travail de formation de mes élèves sur le long terme. Ce qui fait que, depuis que les évaluations nationales existent, et bien que n'ayant jamais mené de travail de conscientisation des enjeux auprès de mes élèves, ceux-ci ont toujours su intuitivement ce qu'il fallait faire pour répondre aux questions de compréhension des textes que la DGESCO leur proposait.

    Depuis bien des années, je peste contre les directives qu'on a données à mes collègues de maternelle et passe tout mon premier trimestre à m'agiter comme un derviche tourneur pour susciter l'intérêt de mes petits GS et les faire sortir du bain d'écrits dans lequel certains s'endorment dès que le robinet à mots se met à remplir la baignoire. À force de salive, de gestes, de mise en condition, d'explications, de reformulations, j'arrive peu à peu à les faire pagayer, nager, plonger, explorer les fonds marins avec les héros au lieu de couler comme des pierres ou des ânes morts.

    Et je ne suis jamais aussi fière d'eux que lorsque, après avoir entendu ces vers : "Vous chantiez, j'en suis fort aise, Eh bien, dansez maintenant !" la petite Yasameen, 5 ans et demi, s'exclame, les yeux exorbités : "Oh la vache !... Elle l'a foutue dehors !"

    Là, je sais que c'est gagné et que ma pépette issue de milieu défavorisé apprendra à lire en s'attachant tout de suite à décoder les mots et comprendre leur sens. Je sais aussi qu'en fin de CP, elle sera déjà capable de lire, ce qui s'appelle lire, La Chèvre de Monsieur Seguin, dans la version écrite par Alphonse Daudet, parce que décodage et compréhension auront été menés de front, tout au long de l'année scolaire, sans jamais lui faire croire qu'elle doit d'abord réciter pour après savoir lire.

    Ainsi, pour elle, comme pour tous ses petits camarades, j'ose espérer que la compréhension, ce sera forcément automatique


  • Commentaires

    1
    françoise svel
    Jeudi 27 Mars 2014 à 20:57

    Oh, là , là...  Si j'étais au régime, je dirais: "C'est trop riche çà!"

    Il y a tellement de choses essentielles dans ton texte! On pourrait le prendre paragraphe par paragraphe parce que tout me semble important.

    Mais tu risques de noyer  M. Goigoux avec çà, sois charitable ...

    Et j'adore l'illustration de Sophie!

    Franchement, les filles, vous avez fait fort.

    2
    Vendredi 28 Mars 2014 à 20:25

     C'est vrai ça ! Tu vas le noyer, ce brave homme, à tout lui balancer d'un seul coup et sans mots savants et phrases imbitables. Fais lui un peu des chapitres !

    3
    Vendredi 28 Mars 2014 à 20:26

     Et n'oublie pas d'employer quelques mots à la con, bien fumeux.

    4
    Vendredi 28 Mars 2014 à 20:31

    Ah non, hein ! Je me suis visionné une conférence entière, moi. C'est bon, là, j'ai donné. Je suis un "bon maître", moi. C'est un peu niais, les "bons maîtres"... Et puis, c'est feignant, alors là, pour le moment, j'arrête.

    5
    Vendredi 28 Mars 2014 à 20:41

     Ouais mais c'est ton job ! Alors tu le fais. Voilà !

    6
    Vendredi 28 Mars 2014 à 20:55

    Ouais, bah on verra, hein... À chaque jour suffit sa peine. J'ai déjà causé tout plein aujourd'hui. Et j'ai lu un livre du maître...

    7
    françoise svel
    Vendredi 28 Mars 2014 à 21:45

    N'obéis pas, surtout! Repose tes yeux, comme disait ma grand-mère...

    8
    Samedi 29 Mars 2014 à 18:54

    C'est vrai que tu es un bon maître et que tu es pratiquement(ça, c'est pour t'éviter de devenir orgueilleuse, parce que nous  serions tristes si tu le devenais ...) toujours de bon conseil.

    Alors, justement, la petite Assia, CE2 bilingue Français-Allemand lit très bien et à toute allure, mais ne comprend pas tout.

    Elle va trop vite. Ce matin, je lui ai proposé des exercices d'inférences. Elle se trompe souvent parce qu'elle zappe une partie des définitions. J'ai beaucoup expliqué que chaque mot compte  pour résoudre l'énigme, et je lui fais relire les petits textes-devinettes plusieurs fois.

    Quel genre d'autres exercices devrais-je lui proposer, mis à part les questions de lecture et l'explication du vocabulaire, pour la faire progresser dans la compréhension de ce qu'elle lit ?

    9
    Samedi 29 Mars 2014 à 19:19

    Des petites énigmes ? Il y en a souvent dans les cahiers de jeux pour enfants, je crois.

    Lui faire reformuler seule ce qu'elle a déjà lu. Des épisodes manquants à imaginer seule (par exemple, elle lit les trois premiers paragraphes de l'histoire, pas le quatrième et le cinquième, et en lisant le sixième, elle doit imaginer ce qui a pu se passer dans les deux paragraphes manquants pour que ça colle).

    Des phrases à remettre en ordre pour construire une histoire, ou des paragraphes si elle lit bien. Et pas forcément après avoir lu l'histoire, plutôt le contraire. Elle arrive, il y a trois ou quatre morceaux de papier portant chacun une partie de l'histoire à lire. Elle les lit, les range dans l'ordre qui lui paraît logique et vous vérifiez ensemble avec le texte d'origine qu'elle ne s'est pas trompée.

    R. Goigoux dit dans sa conférence qu'on ne fait pas aussi chercher dans le texte les preuves de ce qu'on avance. J'ai remarqué que ce sont des questions qui existent de façon très régulière dans les manuels du type Avec l'Oiseau Bleu (les exercices "copie la phrase qui montre que le héros est content de son sort", par exemple).

    Peut-être que les BD pour enfants l'aideraient à mieux comprendre parce qu'elle aurait le support de l'image pour comprendre le contexte.

    Et puis, je crois qu'il faut laisser du temps au temps. C'est en lisant et en écoutant lire des histoires que, petit à petit, elle va enrichir son vocabulaire et comprendre de mieux en mieux ce qu'elle lit.

    10
    Samedi 29 Mars 2014 à 21:39

    Merci, merci, merci ...     cool

     

    J'ai trouvé une foule de choses qui travaillent dans ce sens, sur internet ...

    Parce que je ne prépare plus rien moi-même !     mad J'ai assez donné ...

     

    Vraiment encore merci.     

    11
    Dimanche 30 Mars 2014 à 11:11

    J'ai allégé un peu la sauce en changeant de caractères selon l'auteur des informations. C'est mieux ou c'est pire ?

    12
    Dimanche 13 Avril 2014 à 10:52

    C'est mieux !

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    13
    Vendredi 1er Août 2014 à 13:26

    Bonjour

    Merci pour vos conseils sur le forum SLECC. Merci pour ce blog très riche.

    Vos élèves (et leurs parents) ont la chance de vous avoir. Je serai bien moins angoissée si mes enfants avaient des enseignants tels que vous ou d'autres collègues du GRIPP.

    Vos commentaires sur cette conférence que je n'irai pas écouter(!) rejoignent mes convictions forgées après seulement trois années d'enseignement et quelques années de lecture du soir à mes enfants.

    Bravo aussi pour votre courage. Par les temps qui courent, tenir de tels propos et pratiquer une telle pédagogie relèvent bien du courage et de l'exception.

     

    Dalila

     

    14
    Vendredi 1er Août 2014 à 22:58

    Merci Dalila pour vos encouragements et bon courage à vous aussi !

    15
    Gally-anne
    Jeudi 24 Août 2023 à 13:03

    Bonjour,

    J'ai découvert votre site il y a peu et cela m'a permis de remettre en question sur ma pratique. Et je vous en remercie. 

    J'ai une question: Comment réussissez-vous à faire participer, en compréhension orale, les élèves qui dorment et ferment leurs oreilles dés qu'on commence à lire une histoire? Ce sont pourtant eux qui ont le plus besoin d'écouter et de parler. Je ne sais comment les faire participer car lorsque je les interroge, c'est un blanc (qui peu durer longtemps).

    Je vous remercie pour vos conseils.

    Gally-anne

      • Samedi 26 Août 2023 à 10:46

        Quel niveau avez-vous ? La réponse dépendra de l'âge des enfants.

        En gros, il faut choisir des livres très simples, même si nous, ça nous barbe un peu. Nous sommes là pour eux, pour les faire progresser, et quand on part de zéro, progresser, ça peut être comprendre à 6 ans la première page de Petit Ours Brun joue au sable !

        Ensuite, il ne faut pas rabâcher pendant des jours et des jours la même histoire, sous prétexte de l'étudier comme on étudierait Les Fleurs du Mal ou Hernani, en licence de Lettres Modernes. Un épisode par jour, précédé d'une remise en mémoire, avec les images, c'est plus parlant pour certains enfants, et suivi de quelques explications (voir Pierre Péroz, Pédagogie de l'Écoute) et hypothèses, avec le droit de répéter, c'est suffisant. 

        Pour les aider, on peut aussi les prendre comme acteurs de l'histoire en leur demandant de "nous aider" soit à jouer le personnage eux-mêmes, soit à manipuler des petits objets qui remplaceront les personnages.

        Pour certains, les prendre à part, en APC, peut être nécessaire.

        Enfin, il ne faut pas lâcher. Lire tous les jours aux plus jeunes, lire et faire lire pour les plus grands. Et tous les jours, inlassablement, rappeler à X que ce n'est pas l'heure de la sieste, à Y qu'il s'ennuierait moins s'il s'intéressait aux aventures du gros crapaud, à Z qu'il vaudrait mieux qu'elle arrête de coiffer sa voisine pendant que nous lisons si elle veut savoir dire quelque chose tout à l'heure, quand nous ferons la "restitution".

        Bon courage !

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