• L'Esprit sorcier parle d'évaluation scolaire...

    Tiens, des personnes extérieures qui parlent de ce qui se passe dans l'école, c'est toujours intéressant, non ?

    Alors, allons-y visionnons les 36 minutes de ce reportage. En prenant des notes et en cherchant la petite bête comme j'aime le faire.

    Trente-six minutes plus tard, voici ce que ça donne.

    Pfff, c'est du lourd ! On se croirait dans un reportage de pays totalitaire. La production de charbon de Stakhanov, les joies du ramassage du coton dans la province du Séchouan, l'euphorie des jeunes pionniers, balilas et autres à participer à des défilés à la gloire du régime, tout ça tout ça...

    Alors, on déblaie :

    1) Le vocabulaire conditionne l'apprentissage de la lecture : Vrai si la méthode est à départ global. Faux si c'est une méthode graphémique.

    Dans ce deuxième cas, le déchiffrage de plus en plus de mots permet d'en apprendre de plus en plus. C'est ainsi que, depuis 1881, de nombreux enfants, arrivés non francophones à l'école, ont appris à parler le français et en ont assimilé le vocabulaire grâce à l'apprentissage de la lecture.

    Ceci dit, avoir du vocabulaire facilite en effet la vie quotidienne à l'école et il serait judicieux que l'école maternelle abandonne ses beaux projets et ses productions plastiques de haut niveau pour se consacrer réellement à l'acquisition d'un vocabulaire quotidien réutilisable toute l'année.
    Et je ne crois pas que ce sont les collectes de mots, réunis sur une affiche, puis classés peu à peu, du CP jusqu'au CE2 (voir à 26'36"), qui vont enrichir le vocabulaire actif des enfants, qu'ils soient issus d'un milieu favorisé ou défavorisé.

    2) Ensuite, la lubie de Dehaene pour justifier la file numérique, unique moyen d'acquisition du comptage et du calcul depuis une trentaine d'années, qui me fait bondir à chaque fois. Bondir et pleurer de rage.

    Franchement, quel rapport entre espace et nombre, sauf à ne considérer le nombre que comme un moyen de graduer un instrument de mesure ?

    Et quel rapport sensible entre l'addition et le fait d'avancer de gauche à droite sur une piste ou entre la soustraction et le fait d'avancer de droite à gauche sur cette piste ?

    C'est complètement affolant ce truc !

    Il suffit de se rappeler comment est né le concept de nombres pour démonter cette hérésie :
    Quand les bergers déplaçaient un caillou par mouton sorti du parc et le replaçaient le soir dans le tas des moutons rentrés, ils ne se déplaçaient pas sur une file mais travaillaient unité par unité jusqu'à avoir retrouvé la quantité requise. Cela leur permettait d'un seul coup d'œil de voir si tous les moutons étaient rentrés et, le cas échéant, de faire correspondre chaque caillou restant à un doigt de leur main, pour savoir combien de moutons, ils allaient avoir à récupérer dans un espace pas du tout linéaire autour de ce parc.

    Les premiers livres de comptes sumériens montrent encore une fois comment ce sont des quantités et non des espaces qui ont encouragé l'être humain à se doter d'un système de plus en plus performant jusqu'à ne plus utiliser que dix symboles qui se combineraient à l'infini, sans qu'il soit nécessaire, justement, d'en garder un répertoire organisé de manière linéaire.

    Il me semble que M. Dehaene et son équipe ont reçu dans leur laboratoire des enfants déjà initiés (et nous savons à quel point cette initiation peut prendre de temps dans certaines classes maternelles) au comptage-numérotage grâce à la file numérique.
    Ils ont donc constaté que certains étaient plus avancés que d'autres dans ce domaine et en ont déduit que, si les plus performants étaient ceux qui avaient combiné repérage dans l'espace et récitation rythmée de fragments de file numérique, c'est qu'il y avait un rapport entre espace et nombre, négligeant complètement le concept de quantité.

    3) Propagande quand tu nous tiens... Quand j'étais en Terminale, j'avais une prof d'histoire communiste, encartée et tout et tout. Un jour, elle nous donne à comparer deux graphiques, celui de la production de charbon aux États Unis au cours des 30 dernières année et celui de la même production en URSS pendant le même laps de temps.
    La première courbe rasait le bas du repère orthonormé ; la seconde évoquait plutôt les hauts sommets de l'Himalaya ! Bon, on étudie, pas passionnés du tout. Puis ça sonne.
    En bons élèves mal élevés post-soixante-huitards, nous ramassons nos affaires, nous nous levons et nous nous bousculons vers la sortie de la salle.
    À ce moment, retentit la petite voix de la prof qui nous dit : « Au fait, j'ai oublié de vous dire, pour une raison de place sur la feuille, les deux graphiques ne sont pas à la même échelle. »

    Sur la vidéo, c'est pareil. « On vous a filmé une classe mais pour des raisons pratiques, ce film a été réalisé plusieurs mois après la rentrée. Mais c'est pareil, hein, c'est pareil. »
    C'est sans doute pour cela que la petite fille avait entouré le chien qui n'est pas dans la niche avant que la maîtresse ait eu le temps de dire ce qu'il fallait entourer (à 10'24")...

    4) La maîtresse parle de la difficulté d'enfants sortis de maternelle à se repérer dans un grand cahier et, par exemple, à en tourner les pages.
    Moi, je sais pourquoi :

    Actuellement, en maternelle, qu'on soit en TPS ou en GS, l'exercice écrit est banni, comme sont bannis les cahiers et les fichiers. Il commence même à être banni du CP (en mathématiques, particulièrement).

    Si le Ministère veut se rendre utile, il devrait expliquer qu'il faut une progression et que s'il était nécessaire de déconseiller formellement le "bouffe-fiches" en TPS et en PS, il serait intéressant, à condition que ces fiches ne soient pas piochées au hasard des thèmes étudiés, de l'établir et de le structurer de la deuxième partie de la MS à la fin de la GS, de façon à ce qu'un élève qui quitte l'école maternelle ait pris l'habitude d'effectuer chaque jour un exercice d'écriture, un de lecture et un de mathématiques, sur un cahier ou un fichier prévu à cet effet.

    5) Re "Ministère de la Propagande"... 80 % des enseignants trouvent les contenus de ces évaluations adaptés et assurent qu'ils leur ont permis de déceler les difficultés !

    C'est bizarre. Parmi les milliers de contributeurs des groupes d'enseignants sur Facebook, les seuls que je n'ai pas sentis totalement réticents à ce travail étaient :
    a) de tout jeunes collègues, enseignants débutants, n'ayant jamais connu autre chose
    b) et ils étaient plutôt interrogatifs : « Expliquez-nous : qu'est-ce que vous reprochez à ces évaluations ? Parce que nous, nous ne savons pas les analyser. »

    6) Après, on nous parle de l'évaluation positive et l'auto-évaluation par l'enfant...

    Grâce au LSU, si j'ai bien compris, l'enfant connaît l'objectif final et sait quelles compétences il va acquérir. Cela lui permet de plus s'impliquer et d'être plus attentif.
    Ouaip ! Et la marmotte, elle emballe le chocolat dans le papier d'alu. C'est vrai, je l'ai vu à la télé.

    C'est pour ça que Manon, comme elle sait lire sept et septembre, est prête à lire des textes... Grosse fatigue...

    Et comme ce n'est pas noté, qu'il est juste en train de repérer ses points forts et ses points faibles, c'est positif, il y a moins de pression. Il ne se compare pas avec ses petits camarades et ne compte pas ses bonnes et mauvaises notes.
    Mais bien sûr.

    Ce que je n'arrive pas à comprendre, dans ce cas, c'est qu'à la piscine ou au parc, pendant un jeu vidéo ou une partie de bataille ou de petits chevaux, ou même en mangeant leur part de galette des rois ou en comptant les smarties de la pincée distribuée par sa mère, alors que personne ne les note, les enfants n'arrêtent pas de se comparer entre eux et de prendre la grosse tête ou la mouche selon qu'ils se sentent bien ou mal classés.

    Serait-ce un hasard, ou l'esprit de compétition ferait-il partie des moyens de progresser de l'enfant humain ?

    Et ne me dites pas que c'est l'école qui a induit cela et que les enfants qui ne sont pas scolarisés ne sont pas atteints par ce syndrome. Observez des enfants de crèche ou d'école maternelle où l'on n'a jamais noté les enfants et vous verrez si cet esprit de compétition ne règne pas en maître dans les échanges entre enfants.

    7) Pour expliquer cela, les deux messieurs de la fin (un IEN chef d'une mission académique sur l'évaluation positive et un professeur de sociologie dans un INSPE) nous racontent comment l'évaluation par compétences est plus précise et beaucoup plus performante que l'évaluation "classique", du type "composition mensuelle ou trimestrielle".

    Pour cela, le prof de socio prend l'exemple des droites parallèles. L'élève doit réciter la formule ET repérer les droites parallèles entre elles sur une figure. Il a un feu vert pour la formule s'il a récité la formule et un feu vert pour la reconnaissance s'il les a reconnues. C'est mieux. Voilà.

    Ça permet aussi de récupérer Paul qui récite très bien les formules mais ne panne que couic à ce qu'il raconte et Pauline qui sait très bien reproduire un exercice déjà fait de nombreuses fois (à ce sujet, voir l'entraînement que la super-maîtresse organise pour que ses élèves réussissent l'évaluation nationale de vocabulaire de la prochaine session à 24'06"), mais le fait mécaniquement sans être capable d'expliquer pourquoi ce sont ces droites-là qu'elle a coloriées et pas les autres.

    C'est comme ça que sur le bulletin d'une jeune fille de 5e que je connais bien, dans chaque matière, le bulletin commence par deux magnifiques "vert plus", l'un pour « S’approprier et respecter les règles de fonctionnement de son établissement » et l'autre pour « Travailler en groupe, accepter l'autre dans ses différences, coopérer, collaborer, échanger »...
    Elle est donc excellente en français, en mathématiques, en histoire-géo-instruction civique, en SVT, en physique-chimie, en anglais, en italien, en EPS, en musique et en arts plastiques !

    8) Dans le générique de fin, on apprend que c'est sponsorisé par le Ministère de l'Éducation Nationale (on s'en doutait un peu) et par la GMF ! Bien oui, quoi, les assurances... Et alors ?...


  • Commentaires

    1
    Maîtresse Patate
    Lundi 20 Janvier 2020 à 06:52

    Oh, une vidéo de propagande... beurk

      • Lundi 20 Janvier 2020 à 09:58

        C'est exactement ça. Toutes les critiques des collègues exerçant au CP ont été transformées en points forts de ces évaluations. Il y a même la petite touche « regardez, on est ouverts, la preuve, on vous montre une PE qui les trouve incomplètes et qui ajoute sa petite touche personnelle ».

    2
    Anne-Do
    Lundi 20 Janvier 2020 à 11:21

    Hors-sujet (?) : la prof de maths de mon fils au collège leur fait la lecture suivie du " Grand Roman des Mathématiques"... si ce n'est pas de la compétence transversale, ça !? happy

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :