• Grand beau sur le microclimat !

    Grand beau sur le microclimat !

    Lorsqu'un enfant réussit à l'école, nous le savons tous, c'est grâce à son milieu et à son héritage génétique. Lorsqu'il échoue, c'est à cause de ses enseignants qui ne savent pas prendre en compte son originalité.

    Coup de chance pour moi ! Encore une fois et pour la septième année consécutive, tous mes élèves de Grande Section s'avèrent être issus d'excellents milieux et avoir reçu, par la grâce de Dame Nature, un patrimoine génétique de toute première qualité.

    Rendez-vous compte. Actuellement, au mois d'avril 2014, ils écrivent tous en écriture cursive dans les lignes d'un cahier seyes 4 mm , ils déchiffrent ce qu'ils écrivent et le comprennent. Autre miracle sans précédent, ils entendent les consonnes ! Il paraît qu'aucun enfant de cinq ans ne peut réaliser cet exploit et les miens, depuis sept ans, y sont tous arrivés ! Même mes super-péniblous de 2009/2010 y arrivaient, c'est vous dire !

    Grand beau sur le microclimat !

    [J'ai choisi le cahier de Kass'andrah parce qu'elle s'appelle Kass'andrah ou presque, qu'elle n'aura six ans que le 26 novembre 2014, et parce que sa maman, Sue-Ellen, et son papa, Djeïzonne, ont vingt-quatre ans ("Après, y z'auront 25 et après y seront morts. À 26 ans, on est vieux alors on meurt... C'est dommage mais c'est comme ça."...). Merci Kass'andrah :-( pour ton beau cahier qui fait mentir les oiseaux de mauvais augure et pour ta leçon de vie. Plus de trente ans de sursis.... grâce à toi, je suis vraiment une miraculée !]

    L'autre jour, l'exercice consistait à repérer dans une série de 12 images-mots (tortue, douche, vache, tasse, voiture, dinosaure, valise, dé, toilettes, vélo, table, doigt), celles commençant par la lettre t, celles commençant par d et celles ayant pour initiale v et de les classer en trois colonnes.

    Comme d'habitude, nous commençons l'exercice en commun, sous forme d'exercice de langage, ne serait-ce que pour repérer les élèves dont le lexique serait insuffisant pour réaliser l'exercice. Comme d'habitude, mes petits travaillent "à la parlante". Le langage de communication fonctionne parfaitement et les règles de la coopération, très importantes dans ma classe, font encore une fois la preuve que seul, on va parfois plus vite, mais qu'à plusieurs, on est tout de suite beaucoup plus performant.

    Un petit dit : "Douche, on entend t-t-t-t-t ! C'est la toupie1 !

    - Tu es sûr ? Tu dis une touche, toi ? Le soir, tu prends une touche ?

    - Non, une douche... D-d-d-d-douche.

    - Alors ?

     - Alors, c'est la dame2 ! D-d-d-d-d-d-d-douche...

    - Je sais, dit un autre. Quand c'est dddoucement, c'est la dddame, et quand c'est tttrès fort, c'est la tttoupie ! [C'était la découverte du jour, arrivée là comme un cheveu sur la soupe au moment où l'on s'y attendait le moins. Matheux Ier avait encore frappé !]

    - Ah oui ! Dddoucement pour D et tttrès fort pour T ! Ça c'est facile !

    - Dddoucement pour le dddé, le dddinosaure, la dddouche et le dddoigt !

    - Tttrès fort pour la tttortue, la tttasse, la tttable et les tttoilettes ! "

    Les élèves sont partis à leurs places, ils ont découpé leurs petites images, les ont coloriées, rangées et collées dans leur tableau sous la supervision de mon EVS qui se régale avec eux. J'ai daté et apprécié le travail d'un petit feu vert qui veut dire : "Ça roule, tu peux aller faire autre chose." et ils sont en effet passés à autre chose (jeux libres de construction ou d'imitation, dessin ou modelage libre, observation libre d'albums, ...).

    Hier, ils devaient écrire la lettre d, en cursive, sur le cahier. Ensuite, ils avaient deux lignes à recopier. La première donnait le mot dame et la seconde le mot dîne. Première partie au tableau, avec moi.

    J'explique la petite subtilité du d, avec sa barre qui monte jusqu'au milieu du troisième interligne. Je dis qu'ils peuvent essayer mais que s'ils n'y arrivent pas tout à fait ce n'est pas si grave. Yasameen qui aime que les choses soient claires explique : "Une barre qui s'arrête à la deuxième ligne, ce serait trop petit, on pourrait confondre un peu avec le a. Et une grande barre qui monte jusqu'à la troisième, ça ferait tout maigre et vraiment moche ! Alors, ils ont dit deux et demi, c'est mieux."

    Je montre à nouveau. Puis je passe aux mots. La consigne est de faire "le son de la lettre", tant que je n'ai pas fini de l'écrire. On entend : "D-d-d-d-d-d-aaaaaaa, da, mmmmmmmmeeeeeee. Da-meuh ! C'est dameuh !

    - Qu'est-ce que c'est "dameuh" ?

    - C'est dame ! Dameuh, ça fait dame !

    - Oui, voilà. On dit dame. On doit mettre madame E, mais il ne faut pas la dire trop fort. Ça s'appelle une lettre muette. Quelqu'un sait ce que signifie le mot muet ?

    - C'est quand on ne peut pas parler. On est muet. Madame E peut pas parler, elle est muette. Alors, ça dit d-d-d-d-aaaaa-m' ! Dam' ! Comme ça.

    - J'écris à nouveau dame et vous vous me dites quand j'ai le droit de lever le crayon.

    - Oui. d-d-d-d-d-d, tu lèves le crayon, tu mets le point pour monsieur A. Aaaaaaaaammmmmmmmeeeeeee. Voilà, d'un coup jusqu'au bout.

    - Et maintenant, ce mot-là. Vous lisez pendant que j'écris ?

    - D-d-d-d-d-iiiiiiiiiinnnnnnnne ! Dîne ! On ne dit pas dîneuh ! Madame E est muette. On dit dîn'.

    - Qu'est-ce que cela signifie dîne ?

    - C'est quand on a faim. On va dîner. C'est le verbe dîner. C'est pour manger à midi. À midi, je dîne à la cantine. Et moi, à la maison, je dîne. Ma maman, elle me fait des pâtes pour dîner... J'aime bien les pâtes... et la purée ! Et puis...

    - Et puis, on recommence ! Là, on écrit. Après, on racontera sa vie, d'accord ? Vous me dictez comme tout à l'heure ? Je veux savoir quand j'ai le droit de lever le crayon.

    - D-d-d-d-iiiiiinnnnneeeee. Tu lèves le crayon pour faire le truc sur le I. C'est un accent, le truc. Oui, un accent cir-con-flexe ! I accent circonflexe. On lève le crayon à la fin et après on fait l'accent truc, là. Cir-con-flexe, on t'a dit !

    Ensuite, comme chaque jour, je les ai laissés à l'EVS qui est plus à cheval que moi sur la taille des barres, la tenue du crayon, le respect des lignes et je suis allée lire La chèvre avec mes huit CP.

    Hier soir, après la classe, la maman de Yasameen nous racontait qu'à la maison, sa fille est "à fond" ! Elle cherche à lire tout ce qui tombe sous ses yeux et s'étonne elle-même de sa rapidité à déchiffrer un mot : "Regarde, maman, comme je lis vite, su-c-re, sucre, tu as vu ? Très vite, comme les CP et les CE1 ! Et là, ca-ca-o, cacao ! C'est du chocolat, le cacao, hein maman ? Je sais presque tout lire maintenant !"

    Alors ? Excellent milieu ? Héritage génétique haut de gamme ? Sans doute. Je n'ai aucune raison de mépriser les parents de mes élèves parce qu'ils sont maçons, ouvriers, chômeurs, agriculteurs, mères au foyer, bénéficiaires d'aides sociales diverses et variées, caissières, ingénieurs ou professeurs de lettres... Ma grand-mère disait "Il n'y a pas de sot métier, il n'y a que de sottes gens"... Et elle savait de quoi elle parlait, elle qui était issue de ce qu'il est convenu d'appeler un "tout petit milieu".

    Je sais que dans la circonscription, mes collègues seraient plus en faveur d'un microclimat. Il y aurait au-dessus de notre école un microclimat favorisant la réussite scolaire comme il y a, à quelques kilomètres à peine, un microclimat qui fait surnommer notre belle sous-préfecture, le Petit Nice...

    Grand beau sur le microclimat !

    J'en entends déjà dans le fond qui parlent d'effet-maître... Je pense que parmi eux se trouve mon IEN. Sans doute y en a-t-il un peu, j'en conviens. J'ai en effet la chance de faire partie des instituteurs et institutrices ayant bénéficié d'une véritable formation à l'enseignement de la lecture et de l'écriture et non de quelques heures rapides sur les théories (et les ouvrages) de MM. Goigoux, Charmeux, Foucambert, Chauveau, etc.
    J'y ai eu droit aussi, à ces heures-là, mais si j'ai pu m'inspirer de ce que ces personnes apportaient de neuf et l'expérimenter un peu. Grâce à cette formation, reçue d'abord à l'école, au collège et au lycée, puis au cours de mes études professionnalisantes, j'ai pu aussi  appliquer les filtres qu'on m'avait appris à utiliser, trier ce qui m'intéressait de ce qui me paraissait impraticable ou en parfaite contradiction avec ce que je constatais sur le terrain et ne garder que ce qui me semblait un plus par rapport à mon ancienne pratique.

    Alors un peu d'effet-maître, d'accord. Mais pas tant que cela, finalement.

    Il n'y a que sept années scolaires que j'arrive à de tels résultats sur l'ensemble de mes cohortes. Avant, j'avais régulièrement un ou deux élèves lecteurs en fin d'année de GS mais les autres n'avaient pour la plupart retenu que le nom des lettres qu'ils écrivaient tous en cursive... Ils recopiaient, bien, les phrases que je leur donnais à copier après les leur avoir lues. Associer les lettres pour arriver à lire seuls, c'était pour moi, et donc pour eux, un but inatteignable en Grande Section.

    Jusqu'au jour où j'ai  rencontré Thierry. Lui, il était rééducateur (maître E ou G, ne me demandez pas, cela fait partie des trucs que je n'arrive pas à retenir ; c'est comme Bourg-Saint-Andéol et Bagnols-sur-Cèze ou Loriol et Livron... je n'y arrive pas). Pour les élèves de GS de sa circonscription, il avait mis au point une méthode de découverte conjointe des sons de notre langue et des lettres qui servent à les transcrire.
    C'est une méthode basée sur le langage, le jeu, l'écoute, la discrimination visuelle, l'expression, l'écriture.

    Cette méthode s'utilise de la rentrée des classes aux vacances d'été, à petites doses quotidiennes (jamais plus d'un quart d'heure à une demi-heure par jour). Chaque jeu, on est en maternelle, je préfère parler de jeu plutôt que d'exercice ou d'activité, est expliqué, détaillé, décortiqué. Cela permet de réduire l'effet-maître ou plutôt de partager l'effet-maître de Thierry, ce qui est une excellente référence.

    Les fiches sont fournies, sur un CD rom pour éviter les gaspillages de papier (selon la configuration et les résultats de la classe, on n'est pas obligé de les faire toutes). Le matériel à utiliser est tout simple et ne nécessite pas des heures de préparation. Cela évite de travailler comme un bagnard le soir à la veillée, ou le week-end pendant que conjoints, enfants, familles et amis regrettent que nous ayons choisi un métier qui, en plus d'être si peu payant, se révèle si chronophage !

    Enfin, les enfants s'amusent et progressent. Ils ne sont pas rebutés par des exercices répétitifs, se voient avancer et devenir de plus en plus performants. Ils aiment ce qu'ils font et cherchent à aller plus loin que ce que nous leur proposons. C'est, bien plus qu'une évaluation normative bien peu gratifiante pour l'enfant, le signe manifeste qu'ils ont réellement assimilé ce qu'ils font, qu'ils comprennent le but des activités, le tout, sans exercice de métacognition artificiel. Pas mal, non ?

    Puisque j'ai maintenant un recul de sept ans et que j'ai suivi toutes ces cohortes d'élèves au CP, je peux ajouter que c'est grâce à cette méthode que j'ai été contrainte d'abandonner Bien Lire et Aimer Lire que j'utilisais au CP et que j'ai écrit Écrire et Lire au CP qui était mieux adapté au niveau de mes nouveaux  élèves sortant de GS. 

    C'est d'ailleurs à partir de là que j'ai compris pourquoi nos parents disaient qu'un enfant de CP savait lire à Noël.

    Enfin, c'est cette méthode de découverte de l'écrit qui m'a  donné envie de doter les élèves de Grande Section d'un outil mathématique équivalent, c'est-à-dire aussi respectueux des enfants, tout en étant ambitieux et confiant dans leurs capacités.

    Alors, au nom de mes élèves, encore une fois merci Thierry Venot, pour De l'écoute des sons à la lecture, la seule vraie méthode d'écriture-lecture réservée aux élèves de Grande Section qu'ils aient ou non la chance d'habiter sous un microclimat favorable.

    Notes de bas de page artisanales :

    1. La toupie est le personnage de la méthode des Alphas représentant la lettre T.  

    2. Et la dame est le personnage qui représente la lettre D...


  • Commentaires

    1
    gelsomina
    Mercredi 16 Avril 2014 à 16:17

    Et vive la génétique et le milieu familial... winktongue

    C'est toujours un plaisir de lire  la vie de ta classe!! cool

    2
    Mercredi 16 Avril 2014 à 21:49

    Pour saisir tout le sel de ce remarquable billet, il faut aller sur le blog de Luc Cédelle où Rémi Brissiaud explique - science à l'appui- que les enfants n'entendent pas les consonnes.

    Guy Morel 

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    3
    Jeudi 17 Avril 2014 à 22:01
    Dans ce cas, Morel, on met sciences, avec un s à la fin, au pluriel. Ça fait plus riche et plus crédible!

    Sciences z'à l'appui !
    4
    Jeudi 17 Avril 2014 à 22:11

    Ou alors LA science à l'appui. Faudrait aller voir sur le blog de Cédelle.

    5
    Jeudi 17 Avril 2014 à 22:43

    Oui c'est ça. Comme LA femme.

     Enfin bon, l'essentiel est que tes pitchous sachent lire !

    6
    Vendredi 18 Avril 2014 à 07:45

    Mes pitchous savent comment on fait pour lire. Et ils entendent les consonnes !

    7
    Vendredi 18 Avril 2014 à 15:42

    Chez nous, ce travail ne se faisait qu'au CP , mais nous arrivions sans doute aux mêmes résultats que dans ta Drôme  ensoleillée et odorante ...

    Et le climat, n'en déplaise aux  fâcheux. est excellent par ici.

    Bosser, fort et bien, c'est une seconde nature en Alsace ...

     

    Mais  il faut bien avouer que lire et imaginer la vie quotidienne de ces petits  qui ont la chance de pouvoir nourrir leur faim de  connaissance  est plus que réjouissant.

    8
    Vendredi 18 Avril 2014 à 17:45

    J'ai un petit nouveau, depuis ce matin. Jusqu'à maintenant il était en MS où il s'ennuyait un petit peu jusqu'à devenir pas trop sympa avec les copains et fatigant avec la maîtresse.
    On va y aller tout doux en écriture, parce qu'il n'a jamais écrit. En revanche, en calcul et en lecture, il n'y aura pas grand-chose à faire pour qu'il rejoigne les autres.

    Deux sauts de classe (une élève de CM1 qui rentre directement en 6e et un élève de MS qui passe au CP), cela m'autorise à faire faire un vrai CE1 à mon Loulou après son CP/CE1 de cette année et son CP de l'année d'avant, M. le Comptable Ministre ?

    Si vous voyiez comme il est heureux d'être capable de..., vous n'auriez pas le cœur à l'envoyer au casse-pipe au CE2, j'en suis persuadée !

    9
    Vendredi 18 Avril 2014 à 19:31
    Ou alors, tu peux l'envoyer dans un CE2 lambda où il se baladera les doigts dans le nez ...
    10
    Vendredi 18 Avril 2014 à 19:39

    Eueueueuueuuuuuuh... Là, non. Petit bout de bonhomme de fin novembre, né avec un gros mois d'avance... Petite sœur ayant moins de 14 mois d'écart avec lui. Il est heureux comme un roi, reprend courage et vaillance depuis que son bureau a basculé côté CP de la classe et j'ai même été obligée ce matin de lui dire : "Loulou, s'il te plaît, tais-toi et laisse un peu compter les autres ! Tu vas trop vite. "

    Pour quelqu'un qui, il y a deux mois, comptait encore sur ses doigts pour trouver combien faisaient 20 plus 5 et qui ne tombait pas forcément sur 25, c'est un bel exploit...

    11
    françoise svel
    Mercredi 23 Avril 2014 à 21:01

    Allons, allons, soyons honnêtes! Moi j'y crois au micro-climat... Je me souviens m'être promenée un jour à l'endroit exact de la photo et avoir déclaré cette bêtise: "Dans un cadre pareil, on ne peut pas être mauvais"! sarcastic

    12
    Mercredi 23 Avril 2014 à 21:16

    Attends quelques minutes et tu vas voir le microclimat !

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