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Giono chez les comptables
Imaginez des lieux de rêve, si grandioses qu'ils attirent chaque été des milliers de visiteurs charmés par des paysages à la fois rudes et resplendissants sous l'implacable soleil provençal.
Gorges sauvages au fond desquelles coule l'eau vive, parois calcaires, repaires des vautours, plateaux déserts balayés par le mistral, routes tortueuses, marchés typiques, caveurs de rabasses, chèvres aventureuses et villages suspendus à flanc de collines...
L'ancien fief des seigneurs de Montbrun, Mévouillon ou Montauban multiplie sa population au moins par dix tous les étés. Et l'hiver ?... L'hiver, ils nous plient et ils nous déplieront de nouveau en juillet prochain1 ! Enfin, c'est ce que croient souvent les touristes à haut pouvoir d'achat qui font restaurer des fermes fortifiées de caractère trouvées par hasard en fouinant dans les pages immobilières du Nouvel Observateur...
Eh non, ils ne nous plient pas. Nous sommes toujours là avec nos petits tracas du quotidien... Vous connaissez, tout le monde a les mêmes. Se lever le matin,travailler ou, hélas, chercher du travail, se nourrir, se loger, se déplacer, mener les enfants à l'école...
Ah ! On se disait aussi ! Comment se fait-il qu'elle n'avait pas encore parlé d'école ! C'est-à-dire que dans des lieux comme ceux-là, l'école... c'est déjà une denrée très rare. Pensez-donc, un canton en voie d'inéluctable dépeuplement, l'hiver, s'entend, l'été, il y a les touristes et leur pouvoir d'achat !Des écoles, il y en a trois, dans ce canton. Enfin quatre, mais la quatrième est tellement excentrée qu'elle ne rentre pas en ligne de compte (cette classe fermera à la rentrée de septembre 2014, les enfants iront... ailleurs). Donc, trois... Une à Saint Auban sur l'Ouvèze, une à Montbrun les Bains, une à Séderon.
Trois malheureuses petites écoles à trois classes chacune... Pour une dizaine de communes, sans compter les hameaux, les fermes isolées, les bouts du monde perdus...
En 1979 déjà, tout près de là, jeune institutrice débutante, je m'étais proposée pour raccompagner chez lui un petit bonhomme de quatre ans que les élèves du collège avaient oublié et qui était resté à l'école maternelle au lieu de prendre le minibus du ramassage scolaire pour rejoindre la ferme familiale.
Une fois arrivés au milieu des trois ou quatre maisons qui constituaient le village, regroupées autour de la mairie-école (désaffectée bien sûr), le petit bonhomme, debout à l'arrière de la voiture, m'avait guidé : "Tu prends le chemin, là. Tu continues. C'est par là. Là, tu tournes là. A ce chemin. Et encore là." J'avoue qu'au bout de quelques kilomètres, ma confiance n'était plus aussi grande : "Tu es sûr, Gildas ? C'est bien par là, ta maison ?"
Oui, oui, me répondait-il. Il aurait bien ajouté "Fais de route !", mais il était encore un peu jeune pour avoir cultivé son bilinguisme franco-provençal... Après 9 kilomètres de chemins de terre perdus au milieu des garrigues, nous arrivâmes finalement dans la cour de la ferme où la mémé, inquiète, attendait son petit au milieu des aboiements de chien et des bêlements de brebis.
Des bouts du monde perdus...
Trois écoles donc. Toutes petites. Regroupant au plus cinquante à soixante enfants chacune. Dans trois classes à triple niveau. Un vrai gâchis économique ! Vous vous rendez compte...
Parce que, si on les regroupait, s'est-on dit en haut lieu, on gagnerait facilement un poste... ou même deux ! Et puis, on mutualiserait les compétences... Remontez un peu. Voyez la carte. Vu comme ça, à plat, sans se préoccuper de l'échelle, sous l'implacable soleil provençal, n'est-ce pas que c'est faisable ? Hein, franchement ? Un beau Regroupement Pédagogique Intercommunal, voilà l'idée du siècle !
Chaque matin, aux innombrables arrêts des nombreux minibus, on verrait les petits Gildas qui s'appellent maintenant plus souvent Nans, Mattéo ou Kenzo ; ce n'est pas parce que nous sommes excentrés que nous ne recevons pas la télévision et l'internet, savez-vous. L'implacable soleil provençal ferait place aux implacables orages provençaux de l'automne, puis à l'implacable bise froide de l'hiver, à la neige et au verglas... Les plus malchanceux des petits Nans, Emma, Mattéo et Kenza parcourraient leurs 20 à 30 kilomètres matin et soir en 30 à 45 minutes pour chaque trajet, sauf les jours comme celui-ci où là, ça mettrait... un peu plus de temps.
Deux fois quarante-cinq minutes par jour, pour aller à l'école... Ça laisse rêveur...
Remarquez, là où c'est un bon plan, c'est pour les TAP2 ! Ils sont tout organisés ! Du 1er septembre au 5 juillet ! Aux frais du Conseil Général qui, tant qu'il existe encore, organise et finance le service des transports scolaires...
- Qu'est-ce que tu as choisi comme TAP, toi, Mattéo ?
- Moi, cette année, j'ai choisi "trajet en car" !
Elle est pas belle, la vie quand on la voit au travers du miroir déformant d'une calculette ?
Notes artisanales de bas de page (Mais comment fait-on les notes, s'il vous plaît ?):
1. Merci à Pascale pour cette réflexion faite un jour à un Parisien qui se demandait ce que faisait le vétérinaire, l'hiver, dans un trou pareil, lorsque lui et ses congénères touristes avaient rejoint la civilisation !
2. Temps d'Activité Périscolaire
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Commentaires
Il n'y a pas que dans les toutes petites communes... j'ai des copains qui habitent au-dessus de Chambéry, à Barberaz très précisément. Ce n'est pas tout petit, Barberaz, Wikipédia dit qu'il y a 4 585 habitants, il y a plein de lotissements de maisons neuves devant lesquels on voit courir plein de gamins.
Eh bien, leurs deux enfants aînés ont pu aller à pied à l'école du haut, et même en remonter même si c'était nettement plus fatigant (ça grimpe raide, par là-haut), mais le petitou a "bénéficié" d'un regroupement pédagogique avec l'école du bas : bagnole obligatoire matin et soir.
C'est écolo, ça ?
Quelle idée aussi d'aller habiter dans des coins paumés comme ça... Et d'y faire des gosses en plus !
Il y a quand même une grande majorité qui ne VA pas y vivre mais qui y nait, dans la maison familiale, et y reste. L'occupation de cette région par l'homme date de pas mal de temps, quand même !
Eglise romane Notre Dame de Beauvert.Ben dis donc, s'ils commencent à faire des gosses dans les églises romanes, on n'est pas sortis de l'auberge.
C'est point très catholique, tout ça.
Non les églises c'est seulement pour les arroser, après, pour qu'ils poussent bien je crois.
Ah oui, zut ! J'oublie toujours que St Auban est dans le canton du Buis... Alors trois écoles à cheval sur deux cantons qui totalisent à eux deux un groupe scolaire d'environ huit classes, quatre écoles à deux ou trois classes, et deux écoles à une classe, en RPI avec des écoles hors-Drôme.
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Je ne pense pas que ça dérange Gérard, ni qui que ce soit d'autre dans le canton d'ailleurs !
Un détail pourtant, Saint Auban sur Ouvèze est dans le canton de Buis. Ce qui fait que vu de là-haut, on pourrait fermer Saint Auban, à terme, pour envoyer les gosses au Buis. Et hop là ! Une école de dégagée ! Zou !