• Confiance, un mot trop oublié.

    Lâcher les rênes

    Nous sortons d'une période d'une vingtaine d'années pendant laquelle les petits enfants avaient peu à peu perdu toute liberté d'action, toute possibilité de butiner à leur guise tout en exerçant leurs sens avant de « produire » vite, vite, quelque chose d'admirable aux yeux des adultes, toute latitude d'entrer à leur rythme dans la découverte des savoirs savants.

    Dès la Petite Section, il n'était question que de « projets » à mener à bien , d'« ateliers tournants » aux objectifs extrêmement pointus, voire pointillistes, de « productions » plastiques, visuelles – et même écrites  !... – , d'« exploitations » d'albums, de débats philosophiques et même d'apprentissage de suites de symboles savants totalement abscons pour de jeunes enfants : les lettres, les chiffres, des nombres, les jours, les mois, ...

    Cette conception de l'enfant-adulte-miniature a peu à peu conduit à négliger, et même parfois carrément oublier, qu'un enfant de deux à trois ans et demi, lorsqu'il entre à l'école, entend sans savoir écouter, voit sans savoir observer, sent, ingère et attrape sans savoir clairement distinguer et nommer ce que son odorat, son goût et son toucher perçoivent.
    Nos prescripteurs de méthodes dites innovantes semblent ignorer que ses gestes sont encore maladroits, qu'il maîtrise avec peine ses fonctions physiologiques et que ses capacités à communiquer sont parfois proches du néant, persuadé qu'il est encore d'être un pivot central autour duquel le monde tourne à sa guise.

    Face au courant défaitiste, celui qui – faute de confiance, mais tout en continuant à obéir à cette pédagogie de l'enfant-adulte – accepte les enfants en couches, considère qu'à plus de 12 élèves, une Petite Section « ne peut pas tourner », prescrit des APC et des remédiations aux « petits parleurs » ou aux enfants de 4 ans « en retard en écriture », voit de l'échec scolaire inévitable dans tous les yeux trop bruns ou trop bridés, dans toutes les peaux trop mates, dans tous les vêtements, jeux, jouets, distractions trop « beauf », nous assistons heureusement actuellement à une petite lame de fond, un embryon de refondation de l'École, en commençant par celle qui en est la base.

    Cette refondation encore timide s'appuie sur les travaux de Maria Montessori, très légèrement toilettés mais surtout agrémentés d'un vocabulaire scientifique propre à contenter les plus rationalistes de nos parents d'élèves.

    Voilà donc nos petits élèves débarrassés de leurs albums à exploiter, de leurs abécédaires à décorer, de leurs « expérimentations plastiques programmées » à exposer dans les couloirs et même de leur « élaboration collective par le débat et la discussion » des règles de vie communes !

    Enfin ! Quelqu'un, puis quelques-uns, puis de plus en plus de collègues remettent l'enfant, le vrai, celui qui ne sait pas, au centre de la pédagogie pré-élémentaire !

    Simplement en lisant la vénérable doctoresse italienne, ces collègues ont redécouvert qu'un petit enfant n'était au début qu'un carrefour de sensations tactiles, auditives, visuelles, olfactives et gustatives.
    Ils ont lu et vu que, grâce à une guidance individuelle et un matériel extrêmement précis, développant une à une les capacités de discrimination sensorielle, l'enfant progressait plus vite et mieux qu'avec les méthodes qu'ils connaissaient et appliquaient en classe.

    Leur classe regorge donc d'objets inventés parfois depuis presque deux cents ans grâce auxquels leurs jeunes élèves apprennent à apprécier sensoriellement, à désigner, identifier et nommer selon un protocole immuable partant de l'adulte qui montre, exécute, nomme puis fait répéter à l'élève jusqu'à ce qu'il soit capable d'exécuter la tâche de manière autonome.
    Et cela fonctionne, pour ainsi dire « à tous les coups », comme cela fonctionnait voici bientôt 200 ans avec le petit Victor de l'Aveyron !

    Comment critiquer un tel courage, une telle rigueur, de tels résultats ?... Rien que le plaisir de voir arriver au CP (cours préparatoire) des élèves capables de « maîtriser leurs gestes et d'inhiber l'envie de se laisser entraîner par les distractions qui se présentent sur leur chemin », ces collègues doivent être remerciés et chaudement encouragés !

    Je les encouragerai d'ailleurs à aller beaucoup plus loin dans leur démarche en rajoutant à leur panoplie de grands principes celui qui manque : la confiance. 

    Tout d'abord, confiance en l'enfant qui fait feu de tout bois et n'a pas besoin de tout ce matériel pour développer ses fonctions exécutives, qui arrive parfaitement à isoler lui-même les qualités du moment où l'adulte qui l'accompagne lui en parle souvent et en fait des critères de sa progression, qui a avant tout besoin d'échanges riches et variés et de relations humaines pour progresser avec les autres et grâce aux autres.

    Ce qui nous permet de rajouter la confiance au groupe. Comme l'a fait le maître d'école d'antan qui, jusqu'à la fin du XIXe siècle, appelait à sa table chaque enfant à son tour, qu'ils osent la « leçon » collective, celle où tous les enfants profitent de l'aide de leurs pairs pour découvrir, comprendre, apprendre et s'enrichir. Qu'ils n'hésitent plus à remplacer de temps en temps ces petites leçons en trois temps individuelles horriblement chronophages et répétitives par l'observation commune, les travaux à plusieurs, le jeu collectif ou toute autre technique visant à convier tous les enfants de la classe à vivre et apprendre ensemble et non côte à côte.

    Enfin et surtout, qu'ils n'hésitent pas à développer leur confiance en eux. S'ils ont choisi ce métier, s'ils ont eu la curiosité de pousser la barrière du jardin pour sortir d'Eduscol et du site de leur IEN, s'ils ont eu envie de mettre un coup de pied dans la fourmilière, ils seront aussi capables de tirer la substantifique moelle de cette pédagogie remise au goût du jour sans pour cela se sentir contraints de transformer leur salle de classe en page de catalogue et leurs élèves en parfaits petits exécutants de gestes stéréotypés.

    Ce qu'il faut garder, c'est l'affinement des sens, l'enrichissement du lexique, les expériences quotidiennes, le développement du contrôle inhibiteur, l'apprentissage de l'autonomie gestuelle, sensorielle, langagière et sociale, la possibilité de choisir soi-même son matériel, son activité, pendant une partie d'autant plus grande du temps scolaire que l'enfant est jeune et encore peu capable d'échanges sociaux.

    Ce qui manque cruellement et qu'il faut ajouter à tout cela, c'est l'apprentissage de l'appartenance à un groupe, la capacité à avancer à plusieurs sur le même chemin, l'envie de travailler ensemble, tous autour du seul adulte présent, avant, plus tard, d'être capables de le faire en autonomie.

    Faites-vous confiance, faites-leur confiance et essayez.

    Deux minutes par ci par là en début de Petite Section, puis trois, puis cinq, pendant lesquelles vous montrez à toute la classe comment vous vous lavez les mains, enfilez et boutonnez un manteau,  rangez, pliez les draps des poupées, les chiffons de la peinture, les tissus du coin-déguisement...Cela n'empêchera pas la reprise individuelle pour certains ; mais cela permettra de gagner un temps précieux pour tous ceux qui ont déjà acquis quelques capacités indispensables à la vie sociale. Sans parler de l'ennui qui doit naître à répéter ainsi 90 fois (3 fois pour chacun des 30 enfants) : « Celui-ci est long. Celui-là est court. Long. Court. »

    Ajoutez à cela quelques secondes pendant lesquelles vous faites remarquez à ses voisins comment Adama a empilé les disques de papier du coin-découpage, comment Jacob a rangé les assiettes du coin-dînette, comment Victoire a placé côte à côte les barres rouges, les bâtons bleus, les cure-pipes colorés, du plus long au plus court ou du plus court au plus long...Gardez ces réalisations un moment sur une table d'exposition et faites-y référence à la cantonade quand, par effet de contagion, c'est Suzanne, Amina, Dylan ou Zoheir qui, à leur tour, ont rangé du plus épais au plus fin les tubes de crayons, les blocs de bois ou les colombins de pâte à modeler qu'ils avaient eux-mêmes réalisés. Et verbalisez, verbalisez, verbalisez encore, pour tous, le plus souvent possible.

    Ainsi, tout au long de la journée de classe, ne ratez aucune occasion de nommer les couleurs, les textures, les formes, les tailles et les grandeurs ; employez le mot juste, celui qu'ils adopteront, quelle que soit leur origine socio-culturelle, si vous l'utilisez vous-mêmes, si vous valorisez son emploi spontané, si vous aidez ceux qui l'ont oublié à s'en souvenir.

    Ajoutez à cela la construction d'un réseau de bonnes habitudes, veillant à développer un sens de la discipline librement consentie, grâce à une attention portée aux attitudes et comportements des enfants au cours de toutes les activités.

    Et vous verrez qu'en plus d'avoir activé leurs connexions neuronales et permis à leur lobe préfrontal de se développer aussi bien qu'en manipulant un matériel dont c'est l'unique destination, vos élèves sauront aussi exercer leur contrôle inhibiteur, dialoguer avec vous en relation duelle et de petit ou de grand groupe, écouter des histoires, réciter des comptines, décrire des objets, des images et des situations.
    En plus des barres bleues ou rouges, des escaliers marron et des tours roses et de tout ce matériel coûteux, ils auront eu le loisir d'apprendre à discriminer les formes, les grandeurs, les couleurs, les sons, les textures, les goûts, les odeurs tout en s'exerçant à se mouvoir, chanter, dessiner, modeler, peindre, découper, assembler, construire, ...

    Confiance, un mot trop oublié.

    Note : Pour ceux qui souhaiteraient approfondir ce sujet, je me permets de leur proposer de lire Pour une Maternelle du XXIe Siècle, qu'on ne trouve hélas pas dans toutes les bonnes librairies mais qu'ils peuvent se procurer soit en me contactant directement, soit en consultant le site de l'éditeur.


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  • Commentaires

    1
    caro j
    Mercredi 19 Avril 2017 à 18:57

    Merci et encore merci.

    Je suis enseignante depuis plus de 20 ans et 10 ans en maternelle. J'expérimente depuis cette année une nouvelle façon de travailler avec les enfants. Je m'inspire d'enseignants qui ont repris toutes ces anciennes pratiques pédagogiques et mis ça sur leur site et aussi de toutes ces personnes comme vous qui m'encouragent sur cette voix. Je voudrais crier haut et fort que cette pratique est un vrai bonheur pour tous. Je ne suis qu'au début de l'expérimentation et j'aimerai partager avec d'autres ce travail.

    caro j

      • Mercredi 19 Avril 2017 à 19:04
        Bonjour Caroline. N'hésitez pas à fournir les liens vers ces sites. Merci d'avance.
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    2
    caro j
    Jeudi 20 Avril 2017 à 09:07

    Bonjour

    voici les sites ou blogs

    fofy à l'école, la classe de laurène, maternaile, la classe de camille, le tour de ma classe

    caro j

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