• Autonomie ? Non merci !

    Autonomie ? Évaluations ? Non merci !
    Mille mercis à Jacques Risso d'illustrer ainsi mon propos !

    En cette période préélectorale, les sirènes néolibérales chantent en chœur leurs douces mélopées et promettent elles aussi des lendemains qui chantent pour l'École...
    Mais, pour qu'ils chantent ces lendemains, à les écouter, il n'y aurait qu'une seule solution : la révolution !

    L'Éducation Nationale, cette vieille dame qu'on a tout fait pour rendre indigne, est bien trop cacochyme pour se rénover. Il est temps d'oser la bazarder. Comme on bazardera l'hôpital. Et comme on a bazardé la poste, les ressources énergétiques, les infrastructures routières et ferroviaires, la gestion des forêts nationales, tous ces trucs qui, vous en conviendrez... ou pas, fonctionnent tellement mieux maintenant que l'État les a refourguées à d'autres.

    Sous prétexte d'autonomie, ça fait toujours son petit effet, refilons donc les écoles à « qui-n'en-veut ».  Et, pour rassurer tous ceux qui prendraient ça pour un abandon en rase campagne, certifions qu'on va les aider à réaliser des exploits en leur promettant de les é-va-luer ! C'est ça qui va être novateur, non ?...

    Non ? Ah bon ? Ça se fait depuis trente ans; dites-vous ? Vous me la baillez belle, là ! Expliquez-moi ça, un peu, pour voir...
    Mais bien sûr, avec plaisir ! Les vieilles badernes, ça sert à ça...

    Autonomie des établissements

    L'autonomie pédagogique, tout d'abord... Qui pourrait être contre ? Tout professeur des écoles qui a déjà été ennuyé par un collègue, directeur ou non, un IEN, un DASEN, un parent d'élève ne peut qu'adhérer à cette proposition.
    Là où ça se corse, c'est que, pendant qu'il ouvre grand la porte à cette décision de bon sens, discrètement, par la porte de derrière, voilà qu'on l'assortit d'une autonomie de recrutement qui « nous » promet la possibilité de choisir « nos » collègues de travail que « nous » recruterions en fonction de leur adhésion à « notre » projet.

    Là, le professeur des écoles se dit qu'il y a comme un truc... Qui est ce « nous » ? Ne serait-ce pas les EPEP qui pointeraient à nouveau le bout de leur nez ? Avec leur conseils d'administration composés à 50 % de représentants des collectivités locales, 30 % de représentants des personnels et 20 % de parents ou de personnalités locales, parmi lesquelles les représentants d’entreprises privées du territoire !
    Et il s'exclame :

    Bienvenue au pays des Bisounours où tout le monde est gentil et souhaite œuvrer au mieux pour le bonheur de tous ! Cette autonomie des établissements, c'est la fausse bonne idée par excellence ! Celle qui va faire capoter toutes les autres, mêmes les meilleures...
    C’est la culture de l’autonomie, par le biais du Projet d’école, et celle de l’évaluation érigée en but ultime qui ont tué l’École publique, qui ne bouge plus qu’à peine, se contentant de reproduire et accentuer les inégalités de départ. Parachevons cette œuvre et elle sera sauvée ? Ne me faites pas rire, j'ai les lèvres gercées, dit souvent une de mes amies...

    Autonomie pédagogique, tout à fait d’accord. Mais si et seulement si elle est accompagnée et préparée : on ne peut pas passer de la méthode unique, imposée par la hiérarchie, à la pluralité des approches sans information ni formation, du haut au bas de l’échelle.
    Par ailleurs, cette autonomie n’est réelle que si elle est individuelle car rien n’est plus inefficace qu’un enseignant sommé d’adhérer à une méthode qui ne lui convient pas.

    Autonomie de recrutement ? Et comment feront les communes et départements déshérités ? Ils iront à la foire à l’encan recruter des pédagogues comme dans la Rome antique ? Ou ils récupéreront les rogatons comme en Seine-Saint-Denis l’an dernier ? Nous serons vite en plein cauchemar si l’enseignement se trouve soumis aux lois de l’ubérisation ! 
    Et puis, qui écrira ces projets auxquels les candidats auront envie d’adhérer et sur quelles bases ? Qui nous prouve que le recrutement et la rémunération ne seront pas entachés de copinages, népotisme et abus de pouvoir de tous ordres ? Le règne des petits chefs n’est pas assez puissant qu’on veuille encore l’accentuer ? Il n’y a pas assez de démissions de professeurs ?

    L’autonomie des établissements, c’est le règne des copains, la soumission des enseignants aux volontés d’un conseil d’administration dont plus de deux tiers des membres n’ont aucune idée de ce que c’est qu’enseigner.
    Cela revient à offrir l’École à la dictature des gros sous, des coups médiatiques, des petits chefs et du favoritisme. Ce sont les travers du Conseil d’école ou d’Établissement multipliés par cent.

    Tout au contraire, c'est à l’État de fixer des lignes directrices claires et constantes, d'aider à les appliquer en tous points du territoire, pour garantir à tous les enfants la même qualité d’enseignement. Liberté pédagogique oui, abandon en rase campagne, non !

    Culture de l'évaluation

    Et quand ce pauvre professeur des écoles apprend qu'en contrepartie de cette pseudo-autonomie, déjà largement contrôlée, on estime qu'il faudra surveiller son sens des responsabilités et pour cela soumettre ses élèves à  plus d’évaluation[1], il se couche et il pleure de désespoir : comment peut-on encore croire à ce pilotage par l’évaluation ?

    Il suffit de reprendre les premières Évaluations Nationales, publiées en 1989, et de les comparer à celles de 2005 ou 2006, par exemple.
    Rien qu’en les soupesant, il est facile de constater que cette culture de l’évaluation ne garantit en rien la quantité des savoirs transmis. Si en plus, on prend la peine de les feuilleter, on réalise facilement que la qualité n’est pas non plus forcément au rendez-vous et qu’il est facile de cacher la poussière sous le tapis ou de dissimuler la fièvre du malade, simplement en changeant l’étalonnage du thermomètre.

    Depuis bientôt 30 ans que les élèves français sont évalués sur toutes les coutures, à la fois par leur école, leur département, leur académie, leur nation et même le monde entier, le niveau n’a jamais autant baissé.
    Si cela n’est pas la preuve que, publiés comme au bon vieux temps de Stakhanov ou restés secrets dans les coffres-forts du Ministère, les résultats de cette « évaluationnite galopante » ne sont en aucun cas les garants d’un enseignement de qualité, je ne sais pas ce qu’il vous faut...

    C’est d’enseignement, mélange d’éducation et d’instruction, dont nos élèves ont besoin, pas de tests visant à mesurer ce que l’École n’a pas pu patiemment leur apprendre faute de temps, de méthodes et de programmes adaptés.

    C’est de formation de ses professeurs dont l’École a besoin, de revalorisation de cette profession de plus en plus méprisée par tous, de soutien indéfectible de l’État face aux attaques qui la broient, de certitudes qu’elle sera aidée, appuyée, protégée et que les « marchands du temple » qui cherchent à l’investir de toutes parts en seront chassés.
    Elle n’a pas besoin de la charité des entreprises qui, ici ou là, financent l’installation d’une classe d’inspiration Montessori dans une école publique ou la création de quelques classes hors-contrat dans des quartiers difficiles et le font savoir par voie de presse.
    Elle a besoin d’un grand plan national, à long terme, visant à aider chaque membre de son personnel à assumer au mieux sa mission et chacun de ses élèves à s’élever au plus haut de ses capacités.

    Réservons donc l’évaluation à l’État et voyons s’il utilise toutes ses compétences afin qu’en tous points du territoire, l’École remplisse à nouveau la mission pour laquelle elle a été conçue : éduquer pour instruire et instruire pour éduquer.  

    Dans la série « Élections Présidentielles, les vraies-fausses bonnes idées » :

    Le CP dédoublé

    La maternelle obligatoire

    L'uniforme à l'école

    Notes :

    [1]  Certains vont même jusqu’à pousser le vice jusqu'à expliquer qu’en publiant au grand jour ces résultats, tout le monde saurait où il vaut mieux inscrire ses enfants... Un petit peu de concurrence, n’est-ce pas, voilà qui devrait moraliser tout ça et remettre les enfants et leurs maîtres au boulot !

    Et pour consulter le sommaire de ce blog


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  • Commentaires

    1
    Une maman d'élève
    Lundi 6 Février 2017 à 23:56

    Que de bons sens dans vos propos, que de lucidité ! Comme j'aimerais, Madame, que les parents de nos chères têtes blondes soient un peu plus réceptifs aux idées que vous exposez, plutôt qu'aux projets plus ou moins loufoques (et chronophages surtout) décrétés dans nos écoles ! A mon sens, les choses changeront quand les principaux bénéficiaires de l'enseignement (les familles d'élèves) rejetteront eux aussi toutes ces inepties : évaluationite aiguë, heures de français et de maths remplacées par la préparation du spectacle de fin d'année, méthodes délirantes au CP, formation quasi-inexistante des nouveaux enseignants... Si vous saviez le nombre de parents qui apprennent à lire à leurs petits (en toute "illégalité"), bétonnent et compensent tout ce qui a été si peu étudié en maths, conjugaison, grammaire, alors que nous devrions être un complément, pas un substitut.  Et sans rien en dire autour d'eux ! De quoi avons-nous peur réellement ?

      • Mardi 7 Février 2017 à 10:05

        Bonjour Madame,

        Il me semble en effet que vous avez tout dit et que c'est de cela dont notre École a besoin plutôt que de plus encore de projets et d'évaluations.

        J'espère que nous ne sommes pas les seules et que peu à peu nos idées feront boule de neige.

        Bien cordialement,
        Catherine Huby

    2
    Normandyx
    Jeudi 9 Février 2017 à 19:17

    Quelle énergie! Surtout pour quelqu'un qui n'est plus dans le train... wink2

    Je n'aurais pas le courage de faire le tour de tous les sujets abordés, mais il y en a un qui me titille, c'est "'une autonomie de recrutement qui « nous » promet la possibilité de choisir « nos » collègues de travail que « nous » recruterions en fonction de leur adhésion à « notre » projet."

    Je ne sais pas sous quelle forme ce serait envisagé, mais pour avoir connu une école à 8 classes (à 27 de moyenne) en secteur difficile aujourd'hui passé en REP+ et en avoir été le directeur, j'ai fini par laisser l'affaire comme d'autres collègues qui étaient là depuis longtemps et qui avaient fait avec moi, de l'école un lieu de vie avec des classes transplantées, des activités extérieures et une unité pédagogique qui faisait qu'on avait choisi une méthode de maths qui courait du CP au CM2 et une méthode de lecture qui suivait du CP au CE1, une harmonisation sur le cycle3, nous avions d'assez bons résultats en général et en lecture en particulier. Mais au fil de départs en retraite, de changement de postes pour se rapprocher du domicile, nous avons fini par avoir 3 postes qui étaient attribués à titre provisoire ou pris par des gens qui désirait travailler à mi temps et avaient choisi cette école parce qu'elle n'était pas loin de chez eux (j'en ai même eu une qui m'a sorti qu'étant sur la ligne de bus qui passait devant chez elle, c'était son premier choixshocked). Au fil de ces passages, le matériel de classe est parti en vrille (puzzles incomplets, livres déchirés, matériel de calcul perdu ou éparpillé etc...) l'attitude à l'égard du matériel était identique en matière de vie d'école, de participation aux sorties (sans parler des classes transplantées ou des activités USEP, chorale et autres). Autant dire qu'en secteur difficile, cela pose des problèmes de discipline et que ça incite les gens qui ont une certaine ancienneté à partir. Bref, j'ai fini par jeter l'éponge en prévenant les 3 derniers mohicans de l'équipe et nous sommes partis vers d'autres écoles.

    Tout cela pour dire que je pense qu'il aurait été souhaitable que les gens qui venaient dans ce quartier en difficulté sachent où ils allaient et adhèrent à un minimum du projet, arriver dans un CE1 et décider qu'on garderait le fichier qu'on avait avant au motif qu'on a "toutes ses préps" sans s'occuper du changement de références pour les enfants les plus en difficulté et de la continuité, c'est peut être la liberté pédagogique de l'enseignante mais c'est surtout nuisible pour les gamins. Arriver dans une école qui a des habitudes comme une soirée loto pour financer la classe de neige, une bourse aux vêtements, une fête de fin d'année, des activités USEP, une chorale et dire "je m'en tiens aux activités obligatoires" c'est aussi pénalisant pour les collègues que pour les enfants, quand cela finit par être la majorité, c'est lourd pour les collègues qui abandonnent peu à peu. J'avoue que j'aurais aimé pouvoir choisir un peu mes collègues et des collègues qui adhèrent un minimum à ce qui était en place et fonctionnait.

    PS: dans les 3 années qui ont suivi le départ des "vieilles chèvres", les arrivants ont mis en place de merveilleuses méthodes "naturelles" en lecture comme en maths dont les 2 résultats principaux furent une augmentation des enfants orientés vers le CMPP et les orthophonistes, l'intervention du réseau à mi temps sur l'école et une fuite des enfants dont les parents avaient un minimum de capacités à juger de ce qui se faisait et des résultats. Aujourd'hui, l'école élémentaire a été fusionnée avec la maternelle, il reste 3 classes et demi pour l'élémentaire, et la démographie est loin d'expliquer tout, en revanche, plus aucun enfant en provenance de la zone pavillonnaire du secteur (privé ou contournement du secteur scolaire), avec en corolaire une baisse du prix du m2 dans le secteur pavillonnaire comme dans les résidences privées en étage et une fois la spirale amorcée, on n'inverse pas facilement la tendance, un signe, aucune des enseignantes en place ne scolarise ses enfants dans l'école, même celles qui bénéficient d'un logement autrefois de fonction loué à bas prix. 

      • Jeudi 9 Février 2017 à 19:56

        Merci Normandyx d'être intervenu dans ce sujet que je trouve brûlant d'actualité  anticipative.

        Ne crois-tu pas que des collègues mieux formés, plus au fait de la pluralité des approches, moins « endoctrinés » et au métier mieux défini et mieux valorisé se seraient mieux investis et auraient moins rechigné à participer à vos actions périscolaires ?

        Quand on a réussi à leurrer et dégoûter des instits jusqu'à ce qu'ils en viennent à vouloir décompter les 10 minutes d'accueil matin et soir qui, de tout temps, a fait partie de leur métier, on a réussi à fabriquer des gens qui viennent pointer et faire du gardiennage là où, souvent, on avait des militants qui se défonçaient pour l'enfance.

    3
    Normandyx
    Vendredi 10 Février 2017 à 14:53

    Pour répondre à la question NON, je ne crois absolument pas à la vertu d'une formation pour que les gens aient envie de s'intégrer à un projet qu'il s'agisse de périscolaire ou d'un projet pédagogique incluant un choix de méthode, j'ai quitté un poste au bout de 2 ans à mes débuts car toute l'école était lancée dans Gridi lapin des bois, méthode "naturelle", particulièrement mal foutue et qui ne me convenait pas... Quand j'ai laissé la direction, j'ai choisi une école dans laquelle on ne faisait pas de kermesse (ras le bol de donner un week end pour s'entendre après traiter de flemmard toujours en vacances), quand des collègues nouvellement arrivés ont voulu en faire une, je me suis tenu à l'écart de toute organisation ou présence en l'ayant annoncé dès le début.

    J'ai toujours considéré mon métier comme un métier et un emploi, et non un sacerdoce ou un militantisme, je ne vois pas pourquoi les 10 minutes d'accueil matin midi et pour les maternelles souvent un quart d'heure le soir ne seraient pas payées et comptées dans l'emploi du temps du salarié. J'ai fait partie de ceux qui organisaient des classes transplantées et des activités périscolaires mais toujours en étant indemnisé par la commune d'exercice. Lors d'un changement de mairie, la nouvelle équipe avait décidé que 18 jours à la montagne était un cadeau fait à l'instit, j'ai soumis mon départ au maintien de l'indemnité parce que quand j'étais absent, il fallait prévoir des heures de nourrice en plus tous les jours ouvrables, j'estimais, et j'estime toujours, que je n'avais pas à en être de ma poche.

     

    Mais je l'avoue, bien que n'étant pas spécialement favorable au gouvernement de l'époque (1987), j'étais favorable au statut du maitre-directeur (malgré ses défauts)  et j'avais même, quelle honte, postulé et suivi les entretiens et formations.

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