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Apprendre à lire, c'est vraiment simple ! (6)
II. De cinq à sept ans :
(Suite)4) Enrichir sa culture : de la transmission orale à l’accès autonome à l’écrit
b) L’année de Cours Préparatoire :
En cette année de Cours Préparatoire, c’est encore par le biais de la transmission orale et de l’observation sensorielle que nos élèves acquièrent leur culture personnelle. L’écrit ne viendra qu’en cours d’année, de manière bridée par le manque d’agilité à manier les correspondances graphémiques, par une lecture linéaire encore hésitante, par l’incapacité oculomotrice[1] à balayer rapidement un texte.
Même en toute fin d’année, c’est encore par l’oral qu’ils acquerront la véritable culture commune, celle qui fait qu’un enfant sait où il habite, d’où il vient, comment vit et meurt ce qui l’environne, comment les objets qu’il utilise sont fabriqués et fonctionnent et quelles références littéraires, musicales et plastiques font partie du patrimoine.
C’est dans ce domaine particulier de l’acculturation sérieuse, progressive, organisée que nous devons le plus déplorer la perte d’heures de classe que nous avons subies à deux (et même trois) reprises.
En effet, un travail d’aussi longue haleine, démarré avec nos tout-petits de maternelle et qui continuera au moins jusqu’à leur dernière année de Lycée réclame du temps. Lorsque le temps est compressé, réduit au plus juste, ce sont ces choses informelles, ces savoir-choisir et ces apprendre-à-apprécier qui passent à la trappe ! Surtout quand, en face des élèves, on installe des personnels dont la formation a été elle aussi réduite au plus pressé, au plus urgent…
Et ce ne seront pas les heures du mercredi matin, consacrées au français et au calcul, nos ministres l’ont dit, qui remplaceront auprès de nos élèves les moins favorisés par la moulinette sociale les trois heures (et même six) d’observation, d’expérimentation, d’écoute, de vécu, de compréhension sensible, menées par un professeur des écoles à la formation exigeante et éclectique, auxquelles ils devraient pouvoir prétendre.
La méthode d’acculturation à employer pour ces jeunes élèves d’élémentaire est la même qu’en maternelle. Elle repose sur l’expérimentation sensorielle en littérature, en musique, en arts visuels et en découverte du monde. Les élèves jouent, récitent, dansent et chantent les musiques et les textes pour les apprécier et les reconnaître. Ils observent attentivement les œuvres d’art[2], s’en inspirent, sans recopier, servilement et mal, et perfectionnent ainsi leurs propres productions[3].
Élève de CE1. Classe de S. WiktorLe cercle des connaissances mobilisables s’élargit autour d’eux. En combinant observations sur le terrain, étude attentive d’illustrations, expérimentations, écoute compréhensive et dialogues à bâtons rompus, les savoirs, notions et concepts s’accumulent. Ils commencent à opérer des tris et des classements. Le maître les encourage à créer du lien entre les informations, à les croiser pour mieux comprendre. Il pratique l’interdisciplinarité intelligente, celle qui naît seule du désir de comprendre et non celle qu’on invente pour faire joli sur la belle fiche de préparation d’une des TACOS[4] que l’IEN nous impose pour faire bien sur le site de circonscription.
Nous sommes bien loin du maître, professeur de français et de mathématiques, qui n’intervient que le matin et se débarrasse du surplus confié au monde de l’animation socioculturelle l’après-midi, au coup par coup, sans programmes ni exigences.
Ce ne seront que quelques bribes de toutes ces références que leur maître commence patiemment à leur faire découvrir en direct. Après les quelques semaines du début de l’année scolaire (en gros, jusqu’aux vacances de Toussaint) où les connaissances graphémiques sont bien trop restreintes pour être utilisables en lecture autonome, il peut commencer à donner en conclusion des deux jours consacrés à chaque nouveau graphème de courts textes documentaires, quelques poèmes très simples, quelques extraits adaptés de grands textes de la littérature enfantine.
Écrire et Lire au CP, livret 1, GRIP Éditions.Les élèves apprennent à explorer méthodiquement les textes documentaires et à y chercher, sans tout lire, les renseignements qu’ils cherchaient. Le travail est guidé, le maître donne les codes et apprend à naviguer sur la page réelle ou virtuelle du document concerné. À ce travail réalisé pendant le temps de français s’ajoute celui effectué pendant le temps de découverte du monde. L’idéal est l’usage du manuel de classe prévu à cet usage et combinant documents iconographiques, textes courts dirigeant l’observation et l’expérimentation et texte long résumant les connaissances découvertes ensemble.
Ma Première Géographie Documentaire, D. GladIls apprennent à lire à voix haute, en contrôlant leur intonation, les œuvres que leur professeur leur donne à lire. Rien ne sert de les assommer à coups de grands textes horriblement longs à déchiffrer et plus récités que lus pour leur faire apprécier la littérature ! Bien au contraire, même. Ces longs textes, c’est encore au maître qu’il échoit de les lire et de les faire commenter et expliquer. Pour nos élèves débutants, nous préférons deux lignes, ou une version adaptée, toutes deux entièrement déchiffrables. Ils sont à l’âge de la prise de contact avec les œuvres littéraires. Il leur reste quatre longues années d’élémentaire, suivies de quatre de collège et deux de lycée pour savoir apprécier intelligemment l’œuvre d’un monstre sacré qui fait dialoguer les brins d’herbe avec les pierres tombales.
Quant au contenu à développer, le choix est vaste. Cependant, il convient de bien cerner le but : égaliser les chances et fournir à tous le matériau lexical et culturel que Bon-Papa et Bonne-Maman offrent à Louis-Thaddée et Marie-Sixtine.
À mon humble avis, ce n’est ni en découpant des bouteilles en plastique pour faire des fleurs, ni en dansant du hip hop sur le bitume de la cour de récréation, ni en ne lisant que les œuvres complètes de Titeuf ou même de Geoffrey de Pennart que nous y arriverons. Nos élèves, de la maternelle au CM2, ont droit à plus si nous voulons que, dans dix ans, sur Twitter, ils aient, si cela leur chante, les bons arguments pour dégommer les vieilles barbes qui les ennuient.
Paroles de Victor Hugo ; Musique : Jean Gauffriau.
Pour lire le reste de l'article :
Apprendre à lire, c'est vraiment simple (1) !
Apprendre à lire, c'est vraiment simple (2)
Apprendre à lire, c'est vraiment simple (3) !
Apprendre à lire, c'est vraiment simple (4) !
Apprendre à lire, c'est vraiment simple (5) !
Notes :
[1] Parents qui lisez ce texte, ce n’est pas une grave maladie, c’est juste un reste de petite enfance. Faites lire vos enfants, apprenez-leur à ne pas décoller l’œil du texte quand c’est à votre tour de lire (lentement et intelligemment), montrez-leur même comment ils peuvent s’aider à suivre en oralisant dans leur tête les mots que vous prononcez et vous économiserez quelques heures de pied-de-grue dans la salle d’attente de l’orthoptiste !
[2] Sans forcément se cantonner à la deuxième moitié du XXe siècle et au début du XXIe comme on nous le propose le plus souvent.
[3] Voir : http://ouiphi.eklablog.com/ni-pastiches-ni-loisirs-creatifs-a108183104
[4] Ça veut dire « tâches complexes » en pédagol socleux ! Un nouveau truc piqué au départ chez Freinet pour faire croire aux élèves qu’on n’attendait qu’eux et leur immense talent pour créer un prospectus sur la Baie de Somme ou un nouveau coussin pour les canapés des salons de l’Élysée… Conclusion : On tue Freinet dès qu’on le rend obligatoire. Deuxième conclusion : Le jour où nos ultralibéraux imposeront le travail des enfants sous prétexte qu’ils le valent bien et qu’aller pointer à l’usine, cela fait partie de leurs droits imprescriptibles, qui normalement devrait s’en mordre les doigts jusqu’à l’os ? Hein… qui ?
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Commentaires
Ah ! Ca, c'est sûr ! En plus, Geoffroy de Pennart, ça ne peut pas tellement se lire tout seul, puisqu'il faut au moins lire tous les contes traditionnels, auxquels il fait des allusions systématiques, pour y comprendre quelque chose.
Bon, pas dans tous, hein ! L'un des livres préférés de ma fille, Jean Toutou et Marie Pompon, n'a rien à voir avec Le Déjeuner des loups ou Le Loup est revenu.
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Tout cela est fort vrai... mais je pense que les œuvres de Geoffroy de Pennart, même si elles ne prétendent pas à la Pléiade, méritent bien qu'on les étudie à l'école, au même titre que Michka, Perlette goutte d'eau, Epaminondas, mais aussi Dans 3500 mercredis, Max et les maximonstres, Loulou ou Chien bleu !