• Apprendre à lire, c'est vraiment simple ! (5)

    Apprendre à lire, c'est vraiment simple ! (5)

    II. De cinq à sept ans :
    (Suite)

    4) Enrichir sa culture : de la transmission orale à l’accès autonome à l’écrit

    a) L’année de Grande Section :

    Lorsqu’ils arrivent en Grande Section, nos élèves ont déjà deux à trois ans de culture commune. Celle-ci est basique mais suffisante pour aller plus loin.

    Pendant cette année scolaire, par le biais de la transmission orale, ils continuent à enrichir leur lexique. Ils écoutent des contes, des histoires, des récits lus par le maître, toujours expliqués, commentés, joués, mimés. Les chants, les comptines, et poèmes appris par cœur, l’observation collective d’objets, de plantes, d’animaux, d’illustrations,  l’action commentée et le jeu accompagné complètent à la fois leur lexique et leur connaissance du monde qui les entoure. Leur enseignant n’a qu’à continuer sur la lancée de ses prédécesseurs en intensifiant et structurant le processus.

    Des élèves habitués au beau langage, celui des contes et des histoires, engrangent facilement du vocabulaire supplémentaire. L'enseignant peut se risquer maintenant aux versions originales, toujours expliquées pas à pas, commentées, jouées et mimées. En fin d’année, les élèves sont prêts à recevoir des textes exigeants lus ou racontés par l’adulte sans avoir besoin du support des illustrations.

    Comme chez les « moins de cinq ans », des dizaines d’histoires lues par le maître lors d’un moment dédié de la journée[1] feront mieux et plus que des matinées entières consacrées à l’exploitation d’un album qui ne nous a rien fait et n’a surtout pas mérité de se transformer en pensum pour enfants !

    Les comptines disparaissent progressivement au profit des poèmes, appris en classe, après une phase de commentaires et d’explication. Les chants s’allongent, leur vocabulaire s’étoffe. Nous sommes souvent surpris par la capacité de mémorisation des élèves de cinq à six ans ! Je me souviens d’un groupe d’élèves de fin de CP qui, devant le verbe se hâter, expliquaient : « Mais si, on connaît : « Elle court, elle s’évertue, elle se hâte avec lenteur. » C’est dans Le Lièvre et la Tortue, de Jean de la Fontaine ! » Ils avaient appris cette fable, plus d’un an avant, lorsqu’ils étaient en GS et ne l’avaient pas revue depuis.

    Apprendre à lire, c'est vraiment simple ! (5)

    L’observation collective d’objets, de plantes, d’animaux continue, objet après objet, plante après plante, animal après animal. Peu à peu, quelques concepts simples émergent, discrètement, intuitivement. Nos enfants n’en sont pas encore à l’âge de la classification ni de la découverte des grandes lois de la nature. En revanche, ils sont à l’affût de toutes les anecdotes, toutes les histoires qui leur rendront sensibles, affectives presque, leurs nouvelles acquisitions. Et leur mémoire phénoménale stockera tous ces matériaux qui leur permettront, plus tard, de comprendre ce que leur intuition leur fait entrevoir par instants.

    Apprendre à lire, c'est vraiment simple ! (5)

    Comme pour la culture littéraire, l’observation de nombreux animaux, la culture de toutes sortes de plantes, l’observation sensorielle d’objets du quotidien et de matériaux longuement utilisés librement au cours des années précédentes, les nombreuses expérimentations auxquelles ces observations conduisent naturellement feront bien plus pour que le concept de vivant commence à faire sens dans l’esprit de nos jeunes apprentis-scientifiques qu’une belle séquence annuelle où tout le monde, même l’adulte, s’essouffle à démonter des représentations mentales initiales à grands coups d’usines à gaz issues du prêt-à-porter pédagogique de référence !

    Cette observation du monde s’enrichit de deux nouveaux objets d’étude.

    Entre quatre et cinq ans, les enfants sortent de leur période d’installation[2]. Ils ont maintenant besoin de pousser la porte du jardin. Nous les y aidons en proposant à leur observation appuyée l’espace qui les entoure. Ils mettent en mots ce qu’ils traversaient depuis cinq ans sans même s’en rendre compte : la succession des jours et des nuits, les saisons, les phénomènes météorologiques, le climat, les éléments du relief. Cela les entraîne un peu plus loin, ils observent le ciel, le Soleil, la Terre, commencent à s’intéresser aux grandes zones climatiques[3]. Leur vocabulaire s’enrichit de tous ces mots et leur culture de tous ces concepts effleurés méthodiquement, selon un ordre précis, par petites touches successives.

    Apprendre à lire, c'est vraiment simple ! (5)

    Pousser la barrière du jardin les amène naturellement à vouloir aussi regarder par-dessus leur épaule pour savoir d’où ils viennent. Leur temps se structure, de manière très sommaire.

    Inutile de perdre chaque jour de précieuses minutes à leur présenter une éphéméride et à leur faire réciter le nom des jours de la semaine. Ils y viendront seuls, en leur temps, lorsqu’ils y seront prêts. En effet, paradoxalement, ce n’est pas le temps immédiat qui les passionne mais le temps lointain. Les yeux de poissons morts d’une troupe de bambins de cinq ans placés devant le petit train des jours de la semaine se mettront à pétiller si on remplace cette frise chronologique à usage des tout-petits par une grande affiche présentant un campement de l’époque paléolithique, un village néolithique, des artisans gaulois au travail, le chantier de construction d’une voie romaine et ainsi de suite[4]

    L’étude chronologique, organisée et conduite par l’adulte, sans référence aux dates à apprendre[5], donnera plus tard une structure aux acquisitions historiques des élèves. Pour le moment, elle n’est pas l’objectif principal de cette éducation culturelle qui vise avant tout à élargir la base lexicale de l’élève qui va entrer à l’école élémentaire et l’amener à être curieux de tout. Où mieux qu’au cours de ces observations historiques découvrir quelle est cette bobinette qui choit et permet ainsi l’ouverture de la porte et pourquoi c’est à la chandelle et non près de l’halogène que la vieille chantera les vers du poète ?

    Apprendre à lire, c'est vraiment simple ! (5)

    Ce lexique précieux, qui pour certains de nos élèves n’a cours qu’à l’école, voisine chaque jour le langage courant mis en action tout au long de la journée au cours de toutes les activités. Là, chaque enfant continue sa route, ses progrès quotidiens, ses découvertes personnelles si, comme en Petite et Moyenne Sections, l’enseignant se contraint à souder le groupe et à pouvoir faire avancer tous ses élèves ensemble dans des activités collectives. Chacun apprend à s’exprimer à son tour, à écouter ses camarades, et découvre les richesses d’expression des uns et des autres.

    Pas de petits parleurs mis au ban de la classe, pas de classe abandonnée en groupes de débat où seuls Léa l’extravertie, Nathan le chef de bande et Anatole le dictionnaire sur pattes pérorent pendant que la maîtresse, loin, bien loin, là-bas à l’autre bout de la classe, mène une tâche de précepteur privé avec quatre enfants devenus ses seuls élèves.

    Le temps scolaire retrouvé[6], reconquis au bénéfice de tous, joue son rôle d’égalisateur des chances et tente, dans le temps qui lui est imparti, de remplacer le choc des individualités par le poids des mots. La culture scolaire s’en trouve réhabilitée pour tous, comprise de tous et pourra, au CP, continuer à jouer son rôle de facilitateur de l’apprentissage de la lecture.

    Pour lire le reste de l'article :

    Apprendre à lire, c'est vraiment simple (1) !

    Apprendre à lire, c'est vraiment simple (2) 

    Apprendre à lire, c'est vraiment simple (3) !

    Apprendre à lire, c'est vraiment simple (4) !

    ...

    Apprendre à lire, c'est vraiment simple (6)

    Notes :

    [1] En début d’après-midi ou le soi, pendant la dernière demi-heure de classe, par exemple. Encore un rituel qui risque de disparaître si nos élèves sont envoyés jouer ailleurs une bonne partie de l’après-midi !

    [2] Célestin Freinet, in L’École Moderne Française, 1957.

    [3] Un bouquin génial sur ce thème : Ma Première Géographie Documentaire, D. Glad.

    [4] Pour plus d’explications, un excellent article de Pierre Jacolino : http://pedagoj.eklablog.com/pedagogie-de-l-histoire-c24660160

    [5] On peut néanmoins compter les générations en nombres de papas ou de mamans. En comptant quatre générations par siècle, le Pont du Gard a ainsi été construit par le papa du papa du papa… du papa de votre papa (compter sur les doigts 78 papas ... ) !

    [6] Enfin presque… Il nous manque toujours ces trois heures passées aux pertes et absolument pas profits par la grâce de nos ministres successifs !


  • Commentaires

    1
    Lundi 9 Juin 2014 à 11:45

    Toujours aussi passionnant à lire. cool

    2
    Lundi 9 Juin 2014 à 11:48

    Merci ! wink2

    3
    Lundi 9 Juin 2014 à 11:51

    Et développer la culture de cette manière c'est faisable aussi en PS/MS? 

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    4
    Lundi 9 Juin 2014 à 14:56

    Je n'avais jamais réalisé l'extrême importance de l'école dans le développement du vocabulaire des petits enfants de familles cultivées avant récemment. 

    Il se trouve que j'ai une sœur qui a vécu longtemps en Angleterre et qui a fait le choix de parler en anglais à ses filles. Ces dernières lui répondent d'ailleurs souvent en français mais me semblaient, jusqu'à il y a peu, comprendre "tout". 

    Et puis, l'autre jour, je voulais lire un chapitre de Harry Potter à ma nièce de 9 ans qui adore écouter des histoires, mais impossible de remettre la main sur le tome 1 en français. Je me dis "pas grave, la petite est bilingue", et je commence à le lui lire en anglais. Elle ne comprenait rien ! Son vocabulaire, y compris passif, se limite aux mots de la vie quotidienne, à celui des petits livres que sa maman lui lisait petite, mais comme elle n'a pas été scolarisée en anglais et n'a pas appris à lire dans cette langue, elle en est restée coincée là, incapable de comprendre une histoire relativement simple comme Harry Potter

     

    5
    Lundi 9 Juin 2014 à 14:57

    De la même manière, une maman anglaise dont j'ai le petit garçon dans la classe, me dit "depuis qu'il est au CP, il parle beaucoup mieux français qu'anglais, alors que c'est l'unique langue parlée à la maison"...

    Savoir lire une langue nous permet d'enrichir notre vocabulaire tout le temps, et les leçons de "découverte du monde" et les lectures de l'école font engranger un nombre de mots absolument incroyable aux petits, qui ont une mémoire d'éléphant. 

    6
    Lundi 9 Juin 2014 à 15:12

    Tout à fait d'accord, Rikki. D'où l'importance de ne surtout pas se cantonner à "l'album de la période", ni à "la séquence unique où on étudie à fond tel ou tel sujet" mais bien de butiner sans arrêt, de tous les côtés à la fois.

    Ça me rappelle A. Bentolila quand il voulait mettre à l'honneur les "leçons de mots" avec un mot nouveau par jour à l'école maternelle. Je ne pense pas que ça puisse marcher. Il faut que ça foisonne, que ça circule, que ce soit utilisé une fois en littérature, un autre jour pendant une séance d'arts-visuels-patouille, encore un autre jour que ça ressorte spontanément pour décrire la plante qui vient de déployer sa première feuille, etc.

    Tu ne crois pas ?

    7
    Lundi 9 Juin 2014 à 15:35

    Si, si, je pense que c'est comme ça que ça marche, avec le plaisir de la reconnaissance d'un mot qu'on a déjà rencontré. C'est pour ça que j'aime bien Bulle : parce qu'on part dans un univers imaginaire et que du coup tout un vocabulaire — grimoire, elfe, nain, écu d'or, palais, tapis volant, formule magique, fée — est complètement intégré et revient tout le temps. Les petits qui avaient du mal à reformuler l'histoire en début d'année arrivent maintenant à me raconter ce qui s'est passé dans la dernière lettre de Milo, celle qu'on a reçue vendredi à l'école. 

    Cela dit, sans travailler par thèmes vraiment, ça y revient un peu : sur le son "ette", on lit "Perlette, goutte d'eau", mais on apprend aussi la poésie sur l'arc-en-ciel, on fait la séance sur l'eau du bouquin de leçons de choses... A chaque fois, on revoit le vocabulaire, on le réutilise. 

    Moi, faire "un mot par jour", ça ne me dérange pas en soi, ma collègue a le petit truc des "Incollables", elle fait le mot du jour, elle en profite pour noter chaque fois sa nature, pour le faire réutiliser dans une petit phrase. Il est vrai que si le mot n'est pas réemployé, il est oublié, mais bon...

    8
    Lundi 9 Juin 2014 à 15:42

    Ah oui, moi aussi, ça ne me dérange pas du tout. Mais, comme tu dis, s'il n'est pas réemployé, il est oublié, c'est sûr.
    Ce que je voulais dire, c'est que ce n'est pas en multipliant les "trucs" pédagogiques qu'on sort les gamins de la mouise. C'est vraiment une volonté globale.

    9
    Lundi 9 Juin 2014 à 16:17

    Voilà, c'est ce que je me dis. Un mot sur deux ou trois est réemployé, réinvesti, et mémorisé. Les autres ont été vus une fois, comme ça, ça ne donne probablement rien, mais bon, c'est une première couche, les enfants ont entendu le mot, ça pourra être réactivé plus tard. 

    Je crois de moins en moins à la maîtrise de tout ce qui se passe en classe ! 

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