• Apprendre à écrire pour savoir lire

    Apprendre à écrire pour savoir lire

    Une interview de Liliane Lurçat sur l'apprentissage de l'écriture. Il ne faut peut-être pas prendre au pied de la lettre sa façon de mettre en avant les heures d'apprentissage de la calligraphie de l'école primaire des années antérieures à la réforme de 1972. Mais à part cela, il y a des passages très intéressants :

    - Les débuts du geste d'écriture, la maturation avant l'apprentissage de l'écriture proprement dit :

    Q : Donc à partir de trois ans, techniquement parlant, il y a la possibilité d’apprendre à écrire ?

    LL : Il y a la possibilité de reproduire des cycloïdes dans les deux sens. On n’est pas obligé d’apprendre à écrire à l’école maternelle mais il faut apprendre tout ce qui prépare à l’écriture : la tenue du crayon, des exercices graphiques permettant de dépasser, d’aller vers l’hybride et de dépasser l’alignement…

    - La nécessaire maturation avant de passer à l'apprentissage proprement dit :

    Q : Après trois ans, comment ça se passe ? Est-ce que tout se joue avant trois ans ou c’est après ?

    LL : Eh bien justement non, tout ne se joue pas avant trois ans parce que tout s’étale sur la durée. C’est un apprentissage long parce qu’il dépend à la fois de la maturation physique et de conditions pédagogiques.
    Donc contrairement à toute sorte d’acte, l’apprentissage du langage écrit est long mais quand on a bien écrit, on le garde pour la vie. Or ce qui s’est passé avec la séparation de la lecture et de l’écriture c’est qu’ils ont eu des gamins qui n’ont pas fixé…

    - L'apprentissage de l'écriture qui permet de débuter celui de la lecture en GS mais sans évaluer en respectant les différences de rythmes :

    LL : Et en grande section l’écriture. Et cela dépend de la qualité des maîtresses évidemment parce que si on leur fait dessiner des lettres en inventant des trajectoires, on fausse les trajectoires. A partir du moment où l’on dit que l’on apprend à écrire comme on dessine ce n’est pas vrai.

    Q : Pourquoi ?

    LL : Parce qu’il y a une trajectoire imposée dans les lettres et l’écriture alors qu’il y a plus de liberté dans le dessin. Ce qui s’est passé c’est qu’on n’a plus enseigné l’écriture calligraphiée au CP, CE. Autrefois on apprenait à calligraphier. On apprenait une grosse écriture ronde et on guidait la main de l’enfant. J’ai travaillé ce modèle, c’est le modèle kinesthésique, c’est-à-dire le modèle à main guidée, où l’on sent, on guide la main alors l’enfant sent les positions.

    Q : Oui et un point de repère qu’il enregistre…

    LL : Et qu’il automatise. Il faut lui donner des informations. L’information visuelle, le modèle au tableau, ne donne pas la même information que le modèle à main guidée. Or le modèle visuel est statique c’est-à-dire une chose déjà écrite.

    Ce modèle s’adresse à la sensibilité kinesthésique. Alors qu’au tableau on peut donner un autre modèle. Il y a aussi un modèle dynamique où l’on voit quand même qu’il y a une trajectoire. Mais préférablement, à main guidée, on donne le modèle kinesthésique.

    Q : Je reviens un peu en arrière… Après l’âge de trois ans, c’est la continuité dans la pratique de ce qui a été enseigné jusqu’à trois ans ?

    LL : Oui. Ce sont tous les exercices qui doivent continuer. A partir de trois ans puisqu’on a l’hybride, on peut faire des courbes différentes, dans les deux sens, on peut progressivement en Grande Section débuter l’écriture des lettres et s’il y a des différences de maturité pour l’écriture, ne pas insister. Ce n’est pas obligatoire à l’école maternelle. Et surtout ne pas évaluer les enfants sur ces apprentissages là parce qu’il y a des différences qui jouent réellement. Et à partir du Cours Préparatoire alors il faut que l’apprentissage soit systématique. Écriture et lecture.

    - Les dérives dues à l'apprentissage de la lecture rapide complètement séparé de l'apprentissage de l'écriture vue comme "autre chose" n'ayant rien à voir avec la lecture :

    Q : Excusez-moi, mais vous voulez dire qu’à un moment donné l’apprentissage de la lecture et de l’écriture se faisaient ensemble ?

    LL : Mais bien sûr ! A l’école on faisait constamment des exercices graphiques et de la lecture. Il fallait toujours commencer par l’écriture, comme elle est plus lente, elle permet de découvrir la lecture. Alors que la lecture visuelle est trop rapide.

    Q : Et aujourd’hui c’est séparé, l’écriture et la lecture?
    LL : Ah… Aujourd’hui, c’est n’importe quoi… C’est pourquoi il y a tellement d’illettrés. Ce sont des illettrés scolaires, ce ne sont pas des arriérés mentaux, ce sont des enfants mal instruits et par des enseignants mal instruits aussi eux-mêmes.

    Q : Alors quelle est l’origine du mal ?

    LL : L’origine du mal, ça a été Fourcambert, qui a séparé la lecture et l’écriture, qui a dit qu’il fallait apprendre à lire en prenant du sens par les yeux, que l’écriture n’était pas liée à la lecture.

    Q : Est-ce que vous pouvez prendre un cas concret ?

    LL : Pour lui, lire c’est prendre du sens avec les yeux. Il faut enseigner la lecture rapide. Et lire, il ne faut pas lire de manière linéaire, il faut prendre un mot là, un mot là, un mot là, déduire le sens.

    Q : C’est étonnant, je lis actuellement des livres sur la lecture rapide. Il faut deux ou trois points de fixation appliqués par ligne…

    LL : Oui c’est ça, appliqué aux enfants, et ça c’est très dangereux. C’est ce que l’on a voulu apprendre aux enfants et on a cassé toute la mécanique.

    Q : Donc on apprenait aux enfants à ne pas lire chaque mot mais à faire deux trois points de fixation par ligne ?

    LL : C’est ça, en zigzag avec quelques points de fixation. Et c’était tellement imposé à l’époque !

    Q : Ça c’est pour la lecture. Et quelle influence sur l’écriture ?

    LL : On n’en parlait plus. C’était devenu l’écriture ça se dessine. Alors on a eu tous ces cas de dysgraphies, dysorthographies, dyslexies. Vous prenez n’importe quel type d’apprentissage et vous mettez « dys » devant et ça devient une pathologie de l’école.

    Q : Donc dans les années 80 le focus est porté sur la lecture rapide…

    LL : Sur la lecture séparée de l’écriture, elle était rapide, éparse, pas systématique, en zigzag.

    - La formation des maîtres et les "dérives" des programmes :

    Q : Si vous aviez une baguette magique, ou plutôt un stylo magique, que changeriez-vous aujourd’hui pour aider les enfants à apprendre à écrire ?

    LL : Former les instituteurs à des méthodes rigoureuses et réintroduire la rigueur pédagogique et le respect des enfants. C’est à dire ne pas utiliser le dessin pour comprendre les rapports qu’il y a dans la famille mais pour développer les habiletés des enfants. Que les apprentissages soient méthodiques, suivis, et qu’on ne juge pas les enfants sur leurs échecs…. parce qu’autrefois on jugeait les maitres sur l’échec des enfants. Quand il y avait des enfants qui ne savaient pas lire à la fin de la classe, c’est les maitres qui étaient punis.

    Q : Des méthodes plus rigoureuses, ça veut dire quoi, les méthodes plein délié qui existait avant ? Ou pas nécessairement ?

    LL : Non, c’est l’éducation. Et puisqu’on utilise des instruments d’aujourd’hui, si on utilise les crayons à bille, on apprend à écrire en respectant la trajectoire des lettres et des mots, on apprend la grammaire et on apprend l’orthographe.

    L'article entier : http://paperandco.com/blog/2010/10/ecritureapprentissage-par-liliane-lurcat/


  • Commentaires

    1
    Vendredi 3 Janvier 2014 à 12:28
    Merci pour cet article !
    2
    vidocq
    Vendredi 3 Janvier 2014 à 19:20

    • Que veut dire "avoir l'hybride à partir de 3 ans" ?

    • Et "Il fallait toujours commencer par l'écriture, comme elle est plus lente, elle permet de découvrir la lecture." Si on devait appliquer cela à ton manuel, il faudrait faire écrire la phrase sous l'image (par exemple) avant de la lire ?? Mo, je pars du principe que l'on écrit que ce que l'on sait lire. cela me gênerait de leur faire écrire quelque chose sans être sûr qu'ils puissent le lire.


    Toujours très intéressant ce que l'on trouve sur ton blog. merci !

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    3
    Vendredi 3 Janvier 2014 à 19:37

    Pour l'hybride, j'ai compris que c'était la boucle, mais peut-être suis-je complètement à côté de la plaque.

    C'est là : Entre deux et trois ans apparait le sens hybride de la double courbure dans le même geste, alors là c’est la possibilité motrice de l’écriture.

    Non, pour l'écriture, je pense que c'est bien ch, a et cha l'écriture qui va moins vite que la lecture... Et ainsi de suite avec des syllabes créées soi-même par l'écriture avant d'être lues écrites par d'autres.
    Et pareil pour les mots.  On les écrit avant de les lire.

    Pour la phrase repère de mon manuel, ce n'est souhaitable que si les élèves ont déjà appris à écrire selon ce principe en GS, ce qui était toujours le cas à l'époque dont parle Liliane Lurçat, je pense.

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