• Ah bon, l'Amérique a déjà été découverte ?

    Ah bon, l'Amérique a déjà été découverte ?

    C'est insensé ! Pourquoi n'informe-t-on pas les gens ? Heureusement que de courageux journalistes prospectent au fin fond des territoires inexplorés de la pédagogie et y découvrent des méthodes miracles que bientôt 140 ans d'école publique, laïque, gratuite et obligatoire n'avaient toujours pas mises à jour... Lisez plutôt :

    Grâce à la répétition, cette instit' fait des miracles !

    C'est formidable, non ? Alors pour compléter rapidement les quelques informations totalement nouvelles divulguées par cette communication époustouflante, je tiens à informer brièvement mais complètement mon éminent lectorat de quelques précisions claires et nettes.

    - Cette méthode, que j'appelle personnellement celle des "petits pas", est répertoriée depuis longtemps (au moins 134 ans mais sans doute beaucoup plus).
    - Elle consiste à s'appuyer sur ce que les élèves savent déjà, au moins intuitivement.
    - Le maître, pour cela, allume un petit feu, très localisé, sur une toute petite surface. Par exemple, au CE1, c'est, un beau jour d'octobre, à partir d'une image :

    Ah bon, l'Amérique a déjà été découverte ?

    - Après l'observation attentive et commentée de l'objet, il demande combien de tiroirs on aura si l'on achète trois meubles semblables... Après réflexion, les élèves disent « 15 ! » Un habillage du style « Nous aimerions acheter assez de meubles pour que chaque élève ait un endroit dans lequel ranger ses travaux en cours. » peut être envisagé dans les premiers temps mais bien vite, seule l'envie de savoir et d'apprendre suffira pour motiver les élèves 
    - Alors, il leur demande comment écrire cela. Ce serait bien le diable, s'il n'y en avait pas au moins un qui propose « 5 + 5 + 5 = 15 » .
    - Si rien d'autre ne se produit — dans les classes SLECC, les enfants lui mettent déjà en l'air sa belle séance, car dès la question, il y en a toujours une bonne moitié qui hurle : « Trois fois cinq, quinze ! Il faut écrire : 5 multiplié par 3 ! Et ça fait 15 ! Égale 15 ! 5, 10, 15, 20, 25, 30, 35, 40, 45, 50... C'est fastoche, ça fait toujours 0, 5, 0, 5, 0,5... » et le maître, avec bienveillance mais aussi avec rigueur, parce qu'il se sent un peu fatigué, les fait taire... — le maître joue à réclamer le nombre de tiroirs pour 4, 5, 8, 6, 9 ou même 10 meubles semblables.
    - Au tableau, les files de 5 + 5 + 5+ 5... + 5 s'alignent, les unes sous les autres.
    Conclusion des élèves : « Ce n'est pas pratique. On s'y perd. On risque d'en oublier... »
    - Alors le maître, même si dans les classes qui tournent comme cela depuis la PS, ce sont plus souvent des élèves que lui qui parlent, sort de son grand chapeau magique un signe opératoire supplémentaire : x et explique : « Ce signe se lit « multiplié par », et il permet de remplacer toutes ces écritures et même de bien plus longues par quelque chose de très court et de très simple ! »
    - Et là, sous les yeux des enfants, et avec leur concours, il fait écrire, lire et calculer les premières écritures multiplicatives. Pour 3 meubles ? 5 x 3 = 15... Pour 5 meubles ? 5 x 5 = 25... Pour 9 meubles ? 5 x 9 = 45...
    - Puis il élargit le jeu : « Et si le meuble n'avait que 4 tiroirs ? Combien de tiroirs pour 1, 2, 3, 4, ..., 10 meubles ? » Et les élèves, sans même s'en rendre compte, écrivent la « table de 4 »...
    - Ensuite, des tiroirs, on passe aux pommes, aux packs de yaourts, aux sachets de billes, aux pièces de 1, 2 ou 5 euros, aux bonbonnes de 5 litres, que sais-je encore...
    - Tout le monde suit, tout le monde participe parce qu'à tout le monde, on ne demande qu'un pas à sa mesure, juste assez grand pour qu'il ait besoin de faire un tout petit effort, mais sans jamais avoir peur de tomber parce que le fossé est trop large... Les élèves se sentent si bien en confiance que le maître finit la séance par quelques exercices sur le cahier du jour ou dans le fichier.

    Ah bon, l'Amérique a déjà été découverte ?
    Merci à Zaubette et Tinsel pour leur fiche.

    Le lendemain, la classe reprend un tout petit peu moins loin que là où elle en était restée la veille, histoire de rassurer Petit Timide et Pas Très Sûre d'Elle. Et un autre pas sera franchi, toujours aussi petit, toujours en s'appuyant sur les acquis précédents, les intuitions, les bonnes idées, les fulgurances mais aussi les incompréhensions des uns ou des autres, toujours en s'assurant que chacun passe bien de la vague idée à l'idée un peu plus précise et conçoit clairement ce qui a été appris.

    NOTA BENE :
    - C'est plus simple quand on commence avec des enfants jeunes, les autres, déjà écœurés par plusieurs années de recherches trop longues, trop larges, trop difficiles, ont besoin d'être remotivés et c'est parfois difficile.
    - C'est plus simple aussi quand, comme dans l'article du Monde, on exerce dans une école tranquille, pas trop grosse, pas trop mal située, avec des classes à petits effectifs. Mais, lorsqu'on a une classe de 29 CE1/CM2, dans une école-usine de 22 classes, située en bas des barres et des tours, dans une zone de relégation quelconque où les pompiers n'osent plus venir, je vous promets que cela fonctionne mieux que ce à quoi s'attendent les CPC et les IEN. Il arrive même que ces derniers nous grondent parce que nos élèves devraient en savoir moins.

    Et cette méthode existe dans toutes les matières, toutes les disciplines, tous les niveaux. Il y a même des livres conçus exprès pour cela...
    Des livres modestes, simples, sans grand tralala autour. Des livres que n'importe quel maître, n'importe quel parent, n'importe quelle association peut employer sans crainte de se perdre.
    Comme ils sont prêts à l'emploi, ils n'ont pas besoin de matériel compliqué et ils se suivent page à page, au rythme des enfants dont on a la charge. Tout y est écrit et il n'y a pas besoin de matériel supplémentaire[1].

    Ces manuels scolaires ont été conçus pour appliquer cette méthode, redécouverte tout récemment selon ce grand quotidien du soir, et donc parfaitement innovante. Ils sont édités par une association ayant reçu l'agrément du Ministère de l'Éducation Nationale et sont donc en conformité avec les documents d'application des programmes nationaux.

    Ils ont un seul défaut, et pas des moindres... C'est à peine si j'ose vous en parler, en ces temps où le Socle ne sera bientôt plus le minimum à maîtriser et pourra être considéré comme un maximum vers lequel tendre...

    Ah bon, l'Amérique a déjà été découverte ?

    Allez, tant pis, j'ose ! Je vais vous le dire tout bas, comme ça, ce sera moins choquant : « Ces manuels permettent aux élèves dont les enseignants les utilisent à titre principal d'atteindre les exigences du Socle Commun de Connaissances, de Compétences et de Culture... et il arrive même, assez fréquemment je dois le dire[2] que ces exigences soient très largement dépassées. »

    [1] Sauf dans ceux pour les plus jeunes où un livre du maître et des fichiers d’exercices photocopiables simplifient la vie du maître et de ses élèves qui écrivent encore lentement. Dans ces cas-là, le livre du maître constitue lui-même la méthode (GS) ou est disponible gratuitement sur le site. Les fichiers photocopiables sont soit inclus à la méthode, soit vendus à part.
    [2] En fait, soyons réalistes, presque toujours.
    [3] Pardon pour le plagiat.


  • Commentaires

    1
    Celadon
    Lundi 12 Octobre 2015 à 16:10

    On est juste un peu las de lire les sottises des journaleux qui relatent les mirifiques exploits d'une cp officiant avec un petit nombre d'élèves dans des conditions optimales. CA SUFFIT !

     

     

      • Lundi 12 Octobre 2015 à 16:21

        Tu me permets de le rajouter dans l'article, s'il te plaît ?

    2
    Lundi 12 Octobre 2015 à 16:17

    Oui. Aussi.

    3
    fraisedesbois
    Lundi 12 Octobre 2015 à 16:50
    c'est une révolte ? non sire, c'est ... de la communication. arf. en tous cas, je le dis, je le redis, et je le redirai encore avec enthousiasme, reconnaissance et admiration : "Calculer et Compter au CP" a fait le bonheur de mes garçons, leur a donné des bases solides, et au-delà, confiance en leur capacité de travail. question bête à propos des cadres bleus : ici je sais que non, mais ailleurs, est-ce qu'il n'y en aura pas pour penser avec un grand raccourci rouge que "au moins" c'est moins bien que "au meilleur niveau possible" ? bon, je sais, on trouve de tout, suffit de voir l'article vous ayant fait réagir, chère Double Casquette. mais je ne m'y fais pas... sic.
      • Lundi 12 Octobre 2015 à 17:06

        C'est de la comm', de la vraie, les cadres bleus, Fraise... Les communiquants, dans un ministère, ont des postes plus importants que ceux qui écrivent les programmes, les font appliquer dans les classes ou forment les enseignants.

    4
    Gelsomina
    Lundi 12 Octobre 2015 à 16:50

    Bien joué!!! :)

     

    5
    Lundi 12 Octobre 2015 à 17:28

    Il y a un truc à écrire (et à penser) sur les rapports apparemment contradictoires entre cette pédagogie intuitive, "des petits pas", et les concepts d'obstacles épistémologiques qui l'ont flinguée dans les années 60. 

    A mon avis : cela fut possible à cause de la persistance d'une pédagogie dogmatique dans les écoles primaires (Buisson n'a pas fait école partout, et pas dans les mêmes proportions), et aussi à cause d'une insistance, dans les discours pédagogiques, sur l'évidence, le gommage des difficultés. 

    Alors que, comme tu le dis, les difficultés sont minimes et fragmentées, mais difficulté il y a. Il y a des obstacles cognitifs à franchir, mais mesurés à l'aune des capacités des élèves.

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