• Deux ans et déjà à l'école ?

    Ce qu'on nous présente comme nouveau a environ 134 ans dans les villes grandes et moyennes, un peu moins souvent dans les bourgades, selon leur implantation géographique, et à peu près 100 ans de moins dans les villages de moins de 500 habitants.

    Je ne vais pas entrer dans la polémique qui fait le buzz depuis les années 1995 à 2000 sur la « dangerosité psychologique » d'une scolarisation trop précoce, tout simplement parce que, si depuis 134 ans, ça avait été si nocif que ça, le principe aurait été abandonné.

    En revanche, ce qui me chiffonne beaucoup, c'est qu'on présente cette école comme un lieu dans lequel on peut venir harnaché d'une couche, donnant ainsi raison à un ministre du camp opposé, dans lequel des « assistants » ne seraient pas professeurs des écoles et où les familles seraient présentes dans les locaux aussi longtemps qu'elles le souhaitent.
    Et ça, ce n'est pas l'école, même REfondée... C'est une structure bâtarde qui n'est pas sans rappeler les Jardins d'Éveil de Mme Morano ; d'ailleurs, il suffirait d'une absence non remplacée ici ou là, et nous savons qu'il y en a bien plus qu'une par ci par là, pour démontrer que finalement, le professeur des écoles à bac + 5, il n'est pas si nécessaire que ça pour changer des couches et surveiller des siestes !

    Alors qu'il suffit d'un fonctionnement de classe différent, plus souple que celui des ateliers tournants avec acquisitions quantifiables et évaluables de type « école élémentaire » et des effectifs raisonnables (environ 20 enfants de 2 à 4 ans à la rentrée) pour que, tout à coup, il devienne tout à fait possible d'intégrer avec profit, mais sans couches, un quart à un tiers de l'effectif n'ayant pas atteint l'âge de 3 ans à la rentrée scolaire. C'est tout simple, ça ne demande pas d'investissement aux mairies, ni de projets d'école épais comme le code du travail, juste de Professeurs des Écoles formés à autre chose que le gloubi boulga qu'on leur impose depuis une vingtaine d'années et d'ATSEM  présentes et efficaces.

    Je me suis employée à expliquer tout cela dans ce livre et Sophie Borgnet l'a illustré de scènes prises sur le vif :

    Deux ans et déjà à l'école ?

    Plutôt que de recommencer encore une fois, comme ici, et ici, le plus simple est donc que je recopie ici le début du chapitre que j'ai consacré à l'accueil des tout-petits à l'école, dans une classe multi-âge parce que c'est à la fois là qu'ils sont accueillis facilement et qu'ils profitent le mieux d'une scolarisation précoce.
    N'hésitez pas à me contacter si la suite vous intéresse, vous en trouverez les intitulés entre crochets en tête de chapitre.
    Vous pouvez aussi me contacter directement pour vous procurer l'ouvrage entier, je vous ferai cadeau des frais de port.

    IX - Trois sections ou un seul cycle ?

    Classe à un, deux ou trois niveaux. - Les tout-petits abandonnés. - Les petits et l’ATSEM. - Des locaux adaptés aux deux à cinq ans. - Activités pour les petits. - Activités physiques variées ou cycles consacrés à un seul domaine. - Jeux de construction et jeux d’imitation. - Exercices sensoriels ou arts visuels ? - [ Le dessin, un domaine à lui tout seul. - Le langage. - Les images. - Comment se servir de l’image. - Il faut apprendre à bien penser pour apprendre à bien parler. - La méthode ne doit jamais tourner à vide. - Les exercices de mémoire. - Il faut chanter pour que les petits chantent.- Il faut savoir parler avant d’apprendre à lire ].

    Lorsqu’en 1989 on nous a présenté les cycles, j’ai applaudi des deux mains ! Enfin on reconnaissait que les enfants, et particulièrement les plus jeunes, n’avançaient pas tous au même rythme et pouvaient grandement profiter d’une cohabitation inter-âges1 ! On renouait d’ailleurs avec les débuts de l’École Maternelle, celle de l’époque où n’existaient que deux sections, la Petite, pour les enfants de deux à cinq ans, et la Grande, pour ceux de cinq à sept ans.

    Hélas, cette réforme n’a abouti qu’à un morcellement des connaissances, sans doute par la faute des livrets de compétences qu’elle imposait. Son projet a conduit à une primarisation de la Petite École par le dévoiement des apprentissages premiers vite transformés premiers apprentissages savants. Nous avons assisté à une fuite en avant par l’obligation faite ici et là de ne jamais laisser un enfant prendre le temps dont il a besoin. Pour pouvoir enfin souffler, nos élèves les plus lents ont dû désormais attendre la fin de la troisième année de chaque cycle, lorsque le désastre était consommé et qu’ils avaient perdu pied depuis longtemps.

    Nous étions bien loin de l’idée de la classe fonctionnant comme une famille élargie reconstituée…

    Il n’était pourtant pas si stupide, ce rêve dans lequel un gros tiers de grands de quatre ans à la rentrée, vieux routards de la Maternelle, en aurait transmis gentiment les usages à un autre tiers de cadets, parfois déjà un peu débrouillés par plusieurs mois de scolarisation ! Nous aurions complété ce groupe par un peu moins d’un tiers de tout-petits, accueillis en auditeurs libres dont on n’exige rien. Peu à peu nos benjamins se seraient engagés d’eux-mêmes dans l’alchimie créée par cette troupe de bambins grandissant ensemble. C’est avec eux qu’ils auraient découvert le monde à travers un entrelacs de manipulations et de relations humaines, toutes plus instructives les unes que les autres.

    La sieste des plus jeunes, à l’école ou chez eux, aurait permis aux plus âgés de se retrouver en petit groupe. Ce moment privilégié leur aurait donné l’occasion de passer tranquillement des intérêts plus individuels des tout-petits à celui plus collectif de l’enfant de cinq à sept ans. Ces déjà presque grands auraient appris à progresser ensemble, sans qu’il soit besoin d’organiser ces ateliers tournants qui ont accompagné la parcellisation du Savoir.

    Dans ce rêve, lors de ces deux heures du début d’après-midi, le groupe était partout réduit à sept à dix enfants. Nous pouvions y mener facilement l’apprentissage de l’analyse, de la réflexion et de la concentration. Nous y avancions grâce à un véritable dialogue pédagogique. Nous conduisions nos élèves vers l’observation et l’écoute attentive. Nous les habituions à procéder à une synthèse collective.

    Nos petits groupes de Moyens quittaient ainsi la classe en fin d’année, armés de leurs Savoirs Fondamentaux à eux, largement plus importants pour eux que ceux des grands. Ils étaient ainsi fin prêts pour aborder le Cycle des Apprentissages Fondamentaux Savants.

    Adieu donc au beau rêve et bonjour aux initiatives personnelles. On créera ici des classes à un seul niveau. Là on installera des doubles niveaux. Ailleurs enfin, quelques téméraires organiseront des classes de Cycle dans lesquelles ils regrouperont les trois niveaux et tenteront l’expérience de l’apprentissage progressif de l’autonomie au sein d’une famille élargie.

    Toutes chercheront à offrir à chacun selon son âge, sans le couper de ses cadets ni de ses aînés. Toutes procureront à chaque élève la liberté de flâner quelque temps ou de sauter une étape. Toutes respecteront les plans de croissance individuels des enfants, sans qu’il soit pour cela besoin de leur infliger un programme personnalisé de réussite éducative.

    Il est pourtant une section dont il est indispensable de voir les élèves non pas regroupés mais mêlés à des plus grands : c’est celle des Tout-Petits. Laissés entre eux, même2 dans des classes à très faible effectif, nos tout-petits de deux ans se trouvent alors maintenus dans un système apparenté à celui de la crèche. Ils risquent de s’intégrer bien plus difficilement à l’école puisque la classe qu’ils fréquentent, tout en étant située à l’intérieur du bâtiment scolaire, n’en est pas réellement une. Les enfants ont horreur des situations fausses.

    Et cela n’évitera pas le risque que l’école soit dénoncée comme raison de leurs difficultés d’intégration.

    De surcroît, au moins en début d’année, la conduite d’une telle classe peut désespérer tout professeur des écoles qui n’a pas fait ce métier pour surveiller des siestes et changer des culottes mouillées. Manque d’enthousiasme qui pourrait servir de prétexte à l’interdiction de scolarisation de ces tout jeunes enfants...

    La classe de TPS, au sigle de fabrication récente, n’est pas une section de l’École Maternelle. Elle n’est, dans l’esprit de ceux qui ont toujours accueilli les enfants de deux ans révolus dans leurs classes, qu’une division de la Petite Section. Les tout-petits qui la fréquentent sont des élèves à part entière inscrits pour leur première année de scolarisation. Ils bénéficient de deux longues années devant eux pour intégrer les premiers codes de l’école.

    Ce sont les benjamins de la famille. Pour cette raison, ils ont droit à tous les égards et tous les soins. L’époque devrait être révolue où l’on se débarrassait des plus jeunes pour ne s’intéresser qu’aux plus grands car ils étaient capables de produire.

    Depuis Konrad Lorenz et ses expériences avec de jeunes animaux venant de naître, on sait que l’attachement se construit dès les premières heures de la vie. C’est le premier être vivant à s’être occupé du nouveau-né qui va devenir son référent.

    Si l’enseignant veut pouvoir jouer ce rôle de référent, c’est donc à lui de prendre en charge les nouveaux qui arrivent à l’école.

    Loin de nous l’idée de ne pas faire confiance à l’ATSEM et de dénigrer ses capacités à entourer les plus petits, mais son rôle n’est pas là. Le chef de famille, dans la classe, c’est le professeur des écoles. C’est donc à lui de mener la classe3. Il accueille les élèves, les introduit dans le groupe, leur présente les lieux et les encadre pour qu’ils apprennent à y agir. C’est lui qui règle l’emploi du temps, construit le groupe, mène les échanges et prévoit les activités.

    L’ATSEM n’a pas la responsabilité d’enseigner des savoirs scolaires, même à une petite partie des élèves. Elle doit être présente et jouer son rôle auprès de tous. Elle adapte son attitude à celle impulsée par la maîtresse ou le maître. Elle aide les enfants à prendre leur autonomie en leur apprenant les gestes du quotidien des exercices de vie pratique. Elle prépare le matériel nécessaire aux activités mises en place par l’enseignant. Elle peut éventuellement encadrer une activité et assister un enfant maladroit qui voudrait y participer. Enfin, elle contribue avec l’enseignant au maintien du calme et de l’harmonie au sein de la classe.

    La simple politesse à son égard, compte tenu de sa formation plus courte et moins spécialisée que la nôtre, est de ne lui confier que les tâches les moins chargées d’enseignement. Pendant qu’elle s’occupe facilement d’encadrer le déshabillage des plus grands, se contentant de leur rappeler la marche à suivre, nous prenons en charge nos tout-petits pour leur apprendre à conquérir leur autonomie. Pendant qu’elle surveille l’installation au coin de regroupement de nos rapides de trois à cinq ans, nous regroupons près de nous nos plus jeunes et nos moins socialisés. C’est à nous de les encourager à s’asseoir au milieu des autres sous notre protection.

    L’ATSEM est parmi nous, avec nous, jouant son rôle et participant à notre bavardage du matin pour connaître nos intérêts, nos projets, nos questions et nos difficultés. Elle nous quitte parfois pour aller préparer dans la pièce attenante un découpage particulier, un affichage qui nous servira ensuite ou simplement le matériel nécessaire aux ateliers sensoriels libres.

    Les ateliers de vie pratique sont tout au long de l’année des moments éducatifs qui font partie de notre méthode pédagogique. Nous les conduisons tous et l’ATSEM y participe avec nous. Nous lui expliquons comment nous comptons sur elle pour nous aider à éveiller l’autonomie des enfants sans jamais se substituer à lui pour faire à sa place. Nous établissons avec elle une gestion de la liberté des élèves ni trop laxiste, ni trop dirigiste, afin que chacun puisse acquérir la discipline intérieure qui nous est chère.

    La gestion par l’ATSEM d’ateliers dirigés menant à des productions standardisées nous confronte, en plus de tous leurs défauts déjà répertoriés, à une autre de leurs limites.

    Ce type d’atelier est très difficile à mener, y compris pour un Professeur des Écoles pourtant aguerri à la recherche des compétences et capacités à développer chez l’enfant. Même pour lui, c’est un challenge de garder présents à l’esprit les objectifs éducatifs cachés sous l’habillage décoratif ou ludique choisi. Bien souvent, il se met involontairement à regarder le doigt au lieu de viser la lune...

    Que dire alors d’une personne n’ayant pas eu cette formation et dont la charge est initialement d’aider la maîtresse à gérer l’organisation matérielle de la classe ? Elle risque de ne pas percevoir sous l’agencement des rangées de gommettes à disposer autour du Cadre pour la Fête des Mamans une préparation à l’écriture, au calcul et même à la lecture. Elle aura bien du mal à juger essentiel de laisser l’élève se débrouiller pour gérer l’espace, ordonner les éléments, choisir ses couleurs même si le résultat esthétique en pâtit.

    Au cours de leurs études nos ATSEM n’ont pas été conduites à réfléchir aux buts profonds que nous souhaitons atteindre avec nos élèves. Il n’est déjà pas toujours facile de leur expliquer avec tact que nous nous moquons du choix des thèmes effectués par les enfants. Nous peinons souvent à leur faire comprendre que notre but est que les enfants dessinent, modèlent, peignent, découpent et fabriquent. Bonshommes, maisons, éléphants ou fusées supersoniques ne sont pour nous que des prétextes interchangeables. Nous sommes parfois obligés de leur rappeler que nous ne voulons pas qu’on leur montre pas à pas, faisant à leur place au besoin. Et nous ne savons pas toujours comment leur faire comprendre qu’elles ne sont pas inactives quand elles ne fournissent pas une aide appuyée aux élèves.

    Nous voulons qu’elles les encouragent, leur donnent à observer l’objet réel, les aident à le manipuler pour le décrire. Rassurer des enfants sur leur production actuelle, déjà bien significative de leur envie de progresser, est un rôle bien plus subtil à jouer que celui qui consiste à leur tenir la main pour qu’ils posent le coup de crayon juste à l’endroit que l’adulte a choisi.

    Ce n’est donc pas la peine d’en rajouter en demandant à nos ATSEM de mener de A à Z la production en gros et au détail du Cadre pour la Fête des Mamans ! Leur rôle n’est pas de surveiller que chaque enfant reproduise servilement l’objet photographié sur la fiche de préparation trouvée sur le site4 de Mimosa, la gentille maîtresse qui fabrique à la chaîne des jolis cadeaux pour les papas-mamans !

    Nous devons donc nous organiser en amont pour qu’une fois en classe, enfants comme ATSEM ou professeur des écoles s’engagent dans cette voie différente que nous voulons tracer.

    Agencer l’espace

    C’est tout d'abord par l’agencement des locaux et leur adaptation à l’usage qu’on souhaite en faire que nous affirmons notre projet éducatif personnel. Comme c'est par le mouvement, le jeu libre d'imitation, les exercices de vie pratique et les activités sensorielles que nous souhaitons engager nos élèves dans la voie de l'autonomie, de la liberté et du savoir, nos locaux sont agencés autour de ces quatre pôles.

    1) Mouvement

    L'espace de la salle d’activités est dégagé afin que chacun puisse se déplacer librement ou y installer un matériel encombrant sans gêner le reste du groupe. Un revêtement souple et tempéré doit permettre des activités au sol en toutes saisons. Si l’on dispose d’un espace de regroupement et que la salle d’activités est petite, on peut imaginer que c’est dans cet espace, communiquant largement avec l’autre salle, que peuvent se dérouler les activités demandant beaucoup de place (kaplas, barres et tour Montessori, grands cubes, etc.).

    Dans la salle de motricité, que nous occupons au moins trente minutes chaque demi-journée, les enfants peuvent découvrir et utiliser tout le matériel pré-sportif sans risques pour le mobilier et l’entourage immédiat.

    La séance d’éducation au mouvement du matin évolue au cours de la semaine de la découverte libre à l’autonomie et à l’envie de progresser. Elle tourne autour d’un matériau, d’un matériel ou d’une action. Les plus jeunes peuvent s’y engager, toujours sous notre surveillance et nos encouragements attentifs, sans se sentir dépassés par des activités trop structurées au départ. Nous canalisons les débordements de leurs aînés dans le sens d’une maîtrise des gestes et des objets. Nous guidons le groupe vers la recherche et la créativité.

    Avec nos tout-petits et nos petits, les matériaux, le matériel et les actions proposées doivent se succéder rapidement, quitte à y revenir plusieurs jours d’affilée. Sans cela, nous risquerions de lasser et de décourager. Une séance type d’une demi-heure peut par exemple proposer d’abord pendant une dizaine de minutes des pièces de tissus de toutes tailles et toutes formes que les enfants manipulent librement.

    Puis elle regroupe tout le monde autour d’une toile de parachute pour une ou plusieurs actions découvertes pendant la première partie (soulever et poser au sol, se cacher dessous, soulever pour laisser passer les petits camarades, …).

    Enfin, pour clore la séance et ramener le calme, regroupés pour un jeu chanté, les élèves, en file indienne, passent sous le pont que forment la maîtresse et l’ATSEM ou deux de leurs camarades se tenant face à face et joignant leurs mains (La petite hirondelle ; Pour passer le Rhône ; …).

    La semaine suivante, ce sont les ballons qui servent de fil rouge à la séance. D’autres semaines encore, la course ou le saut, les cerceaux ou les anneaux, des cartons de toutes tailles ou des planches, des tapis ou des plots. Ainsi chaque semaine est ponctuée par un objet et un seul.

    Lorsque, quelques semaines plus tard, nous revenons aux tissus, les souvenirs se réactivent. Après un moment de réappropriation, nous constatons que tout le monde est déjà plus à l’aise, plus créatif, et que les plus jeunes commencent eux aussi à s’intégrer à un petit groupe. Certains coopèrent même et créent ensemble le jeu qui motive l’ensemble du groupe dans la deuxième partie.

    Notre rôle d’observateur attentif est fondamental, tant pour garantir la sécurité de tous que pour détecter les progrès moteurs que nous pouvons susciter et encourager. La présence de l’ATSEM, si son service le lui permet, peut encore l’enrichir. À nous deux, nous encourageons les plus petits à oser essayer. Nous jouons même un instant avec un ou plusieurs d’entre eux comme le fait un parent avec son petit enfant. C’est par cette étude attentive de tous les enfants que nous créons cette dynamique de recherche, de créativité, d’autonomie et de progrès moteurs.

    Il n’est pas question de distribuer un matériau puis de laisser faire sans exigences ni surveillance. Nous devons au contraire encadrer, soutenir et protéger tous les élèves contre l’action désordonnée, sans but ni contrôle de soi. Il n’est pas question non plus de laisser tourner semaine après semaine, à vide, un matériau ou un matériel inscrit dans une progression personnelle. Il s’agit d’observer les réactions des enfants et de détecter à quel moment il convient de remplacer le matériel par un autre. Lorsque tout le monde est arrivé au maximum de ses capacités présentes d’exploitation, les gestes acquis trouvent alors un nouveau prétexte à affinement dans l’utilisation d’un autre matériau.

    La séance de l’après-midi est tournée vers nos élèves les plus grands dont le besoin de sommeil est moins important. Un jour sur deux, elle les entraîne vers l’univers de la motricité harmonieuse et la prise de conscience du rythme à travers les rondes, les jeux dansés et l’expression corporelle. Le reste du temps, elle les conduit par le biais des jeux traditionnels vers le jeu sportif collectif.

    Plus les élèves sont jeunes et moins il est judicieux de faire durer pendant toute la séance un seul jeu, une seule activité. En revanche, les enfants étant plus grands et plus attentifs, il convient de parvenir à un degré de maîtrise corporelle plus important, celle-ci comportant l’observation et la verbalisation, l’écoute attentive et la compréhension, l’entraînement et la répétition.

    Nous allons ainsi, en plusieurs séances, de l’écoute d’un morceau de musique adapté à la création d’une chorégraphie collective.

    Nous partons de la découverte du jeu des déménageurs à la verbalisation des stratégies collectives permettant de se débarrasser du plus grand nombre possible de ballons.

    Enfin, le besoin de mouvement des jeunes enfants peut s’épanouir au cours des deux récréations de la journée prises si possible à l’extérieur et en milieu de demi-journée. Comme nous ne réveillons pas les gros dormeurs, nous les laissons à l’intérieur sous la garde d’un collègue ou d’une ATSEM pour éviter, surtout l’hiver, qu’ils soient mis dehors encore trop endormis.

    En école maternelle, la récréation est un moment éducatif à part entière. Elle offre non seulement des possibilités motrices impraticables en salle et elle permet que des échanges sociaux naissent et s’épanouissent. Bien surveillée, par des enseignants la considérant comme un nouveau terrain d’observation à mettre en œuvre, elle offre aux élèves encore une occasion de progresser dans de nombreux domaines. C’est un lieu où les enfants apprennent à devenir autonomes et à gérer convenablement leur liberté.

    2) Jeux libres d’imitation

    Dans la salle d’activité, les coins traditionnels (appartement, garage, ferme, zoo, ville, …) sont clairement délimités par des cloisons basses. Équipés avec soin, de matériel solide et de bonne qualité esthétique, adapté à la taille de nos élèves mais pouvant servir réellement, ils disposent de rangements bien conçus (placards bas, boîtes avec couvercle, crochets de suspension, ...).

    Ces coins jouent un grand rôle dans notre méthode. Ils nous servent pour encourager nos élèves à perfectionner leur langage à travers le jeu d'imagination, individuel chez les plus jeunes ou de petit groupe chez les plus grands. L'enseignant et l'ATSEM, rendus disponibles par la suppression des ateliers dirigés de productions standardisées peuvent l'un ou l'autre venir s'intéresser au jeu. Ils y encouragent les échanges verbaux et complètent le vocabulaire employé. Ils apportent un enrichissement à la situation, encouragent à résoudre un problème mathématique5 ou demandent un compte-rendu de la situation.

    Au cours de ces jeux d’imitation libres, nos élèves apprennent à partager espace et matériel, à proposer leur aide à un camarade, à coopérer autour d’un projet collectif. Ils découvrent ainsi les richesses et les contraintes de la vie en collectivité par l'usage et sans qu'il soit besoin d'organiser d'exercices spécifiques. Là aussi, maître et ATSEM se partagent la tâche. Ils gardent un œil sur tout ce petit monde qui, livré à lui-même, risquerait fort de repasser par tous les stades de l’humanité naissante… Notre but n’est surtout pas que quelques-uns érigent en loi leur force physique, leur bagout ou leurs capacités de séduction !

    Dans les coins de jeux, nos élèves engagent leur motricité et développent leurs capacités sensorielles au cours de projets personnels ludiques. Ils exercent leur coordination motrice, entraînent leur force et leur habileté. Ils ajustent leurs gestes, affinent leurs capacités de perception. Ils commencent à développer leur créativité et leur sens esthétique, surtout si les objets mis à leur disposition ont été choisis avec goût et que l’enseignant est présent et sait tirer partie des découvertes fortuites et des intuitions de chacun.

    3) Activités sensorielles et Exercices de vie pratique

    Ces activités sensorielles libres exercées dans les coins de jeux sont vite doublées, pour les aînés puis ensuite pour leurs cadets, par toutes les activités sensorielles traditionnelles des écoles maternelles. Du mouvement large puis plus fin et précis des exercices de vie pratique6, l’enfant passe aux jeux de construction et de création privilégiant la perception des formes, des couleurs, des tailles, des poids, des sons...

    Selon sa sensibilité, l’enseignant décide de l’organisation de son groupe d’enfants en conservant toujours une liberté relative de choix pour chacun d’eux. Si la pédagogie Montessori offre chaque matériel en un exemplaire et un seul pour éviter que l’enfant se sente comparé à d’autres, les techniques Freinet proposent d’installer des ateliers où les élèves se regroupent par affinités ou en fonction de leur intérêt pour le matériel qui y est proposé.

    C’est à chaque enseignant de voir ce qui lui convient le mieux, dans quelle organisation il se sent le plus à l’aise. Les deux méthodes se valent comme toute autre méthode mettant l’enfant en activité libre autour d’un matériel ou d’un matériau. L’important est que chacun exerce chaque jour à la fois un ou plusieurs de ses sens et sa motricité fine sans qu’on lui impose jamais de progression préétablie.

    L’enfant cherche à satisfaire son besoin de mouvement de plus en plus fin et précis. Il a envie d’explorer et de découvrir à son rythme objets, outils et matériaux. Puis il cherche à progresser jusqu’à les maîtriser, si on ne lui propose pas de but trop éloigné de ses capacités. Toute méthode qui respecte cette quête de l’autonomie et de la maîtrise produit les mêmes effets. Elle l’aide à progresser librement et volontairement dans tous les domaines des programmes de l’École Maternelle.

    N’ayant pas de production précise en tête, enseignant et ATSEM peuvent encadrer les gestes des plus petits et encourager un enfant timide à oser prendre à pleine main la boule d’argile. Ils ont à cœur de retenir le petit bulldozer prêt à renverser trois pots de peinture pour saisir un pinceau. Ils peuvent saisir au vol l’occasion de demander à un des plus grands de montrer à son petit camarade comment il a réussi à décorer la cape du chevalier ou le feuillage de l’arbre qu’il vient de dessiner. Ils valorisent les trouvailles et les avancées techniques en affichant le dessin de celui qui, malgré l’absence de feutres de toutes les couleurs ce jour-là, a eu l’idée de remplir l’espace de petits graphismes précis et soignés ou en exposant la tour du tout-petit qui a réussi à la faire monter haut, haut, comme la Tour Eiffel !

    « Oui mais, direz-vous, que leur ferons-nous faire alors si nous n’avons plus à programmer le bonhomme au drawing-gum sur fond d’encres coulées ? Que ferons-nous si nous n’avons plus à prévoir les empreintes de légos et clipos à la peinture au doigt pour décorer la couverture de leur cahier de vie, les abécédaires en pâtes alimentaires et coquilles d’œufs broyées pour enrichir le thème de Poule Rousse et tutti quanti ? »

    4) De la patouille à l’expression plastique

    Rien… et tout ! Nous fournissons le matériel et ils font… Ce qui compte, ce n’est pas l’effet décoratif de ce qu’ils produisent mais l’accroissement de leurs possibilités sensorielles, la sollicitation de leur imagination, l’enrichissement de leurs connaissances et, enfin, beaucoup plus tard, leurs propres capacités artistiques.

    Ces tout jeunes enfants sont à l’aube de leur préhistoire créative et artistique. Pour l’instant, ils testent, patouillent, essaient, manquent, tâtonnent. Lorsqu’ils réussissent, ils recommencent, tâtonnent à nouveau pour obtenir le même effet et enfin dominent leur réussite et produisent leur chef-d’œuvre !

    Notre ingéniosité réside dans l’adéquation de ce que nous fournissons, tant au point de vue des jeux de construction qu’au point de vue des matériaux de création.

    Comme en EPS, c’est grâce à notre choix qu’ils élargissent peu à peu leur palette et découvrent eux-mêmes les effets plastiques que nous leur imposions naguère.

    En début d’année, il vaut mieux rester simple et pragmatique, installant les ateliers l’un après l’autre. Le premier jour, nous prévoyons un atelier peinture au pinceau, sur une feuille rectangulaire de grande taille. Quelques jours après, nous ajoutons un atelier déchiquetage de papiers de couleur à coller eux aussi au pinceau sur une grande feuille collective. Enfin, encore un peu plus tard, nous préparons une petite boule d’argile déjà humidifiée à manipuler comme bon leur semble et nos trois ateliers fonctionnent indépendamment et parallèlement.

    Ensuite en cours d’année nous proposons d’autres formats de feuille de papier (ronde, triangulaire, carrée, en étoile, …), d’autres matériaux (peintures au doigt, acryliques, gonflantes, encre miscibles ou non miscibles, …), des couleurs précises (une seule pour travailler le décor, des gammes allant du très clair au très foncé, deux couleurs complémentaires, …). Nous lançons des déchiquetages puis découpages et pliages plus précis (surtout pour les enfants de quatre ans et plus). Nous apportons des volumes à coller (formes de bois, petits emballages, cotillons, …), d’autres matériaux à modeler (pâte à sel, pâte à modeler, pâtes auto-durcissantes, papier journal, aluminium, …). Nous enrichissons la panoplie de tissus, feutrine et fils, à couper et coller dans un premier temps. Nous leur apprenons enfin à les nouer, les torsader, les enfiler, les tisser, les tresser et ils s’exercent même à coudre en toute fin de parcours.

    Peu à peu des productions émergent. Nous les valorisons même si nous ne les trouvons pas toutes belles parce qu’elles montrent un progrès manifeste. Aujourd’hui Kélian a rempli tout l’espace alors que jusqu’ici, il ne passait son pinceau que dans une portion de feuille qu’il arrivait à trouer tellement il l’humidifiait. Hier Natasha a découpé des bandelettes toutes de la même largeur et elle a eu l’idée de les coller les unes à la suite des autres pour faire une belle route. Pour que l’enfant prenne conscience d’un de ses progrès, plutôt que de noter cela très vite dans un Cahier de Réussite, il est bien plus sûr de l’afficher face à la classe. Faire raconter la genèse de ce travail à son auteur garantit bien mieux qu’il essaiera de reproduire cet effet et d’en trouver d’autres, tout aussi valorisants.

    Deux ans et déjà à l'école ?

    Cette réussite de l’un un jour, reprise le lendemain presque à l’identique par deux ou trois autres, provoque d’autres réussites. Nous savons alors qu’il est temps d’offrir d’autres possibilités. Aux activités manuelles brutes qui passionnaient nos élèves jusqu’alors s’ajoutent maintenant des visées esthétiques.

    Nous constatons que nos élèves commencent à entrer d’eux-mêmes dans le domaine des arts visuels. Leurs productions peuvent dorénavant être peaufinées, retravaillées, organisées à l’avance dans le but de produire un effet. Nous pouvons les orienter afin que ce qu’ils ont imaginé aboutisse. Nous les poussons à garder leur œuvre dans le but de l’offrir lors d’un des moments festifs qui jalonnent l’année scolaire en maternelle.

    Ainsi, aucune mère d’élève ne nous reproche de ne pas avoir de souvenir fabriqué de A à Z par ses enfants entre deux et cinq ans. Et nous pouvons fièrement expliquer aux parents peut-être étonnés de ne pas découvrir la magnifique production semblant sortie d’un catalogue d’arts décoratifs : « Oui mais vous savez, votre enfant l’a fait tout seul, avec toute son affection et toute son application, pour vous. Ni l’ATSEM ni moi n’y avons mis ne serait-ce qu’un seul trait de plume ! Vous pouvez être fiers de lui ! »

    D'autres extraits sur ce blog :

     Utile ou inutile ?

    ABCD de l'égalité

    Trop petits pour être obligés...

    Deux ans et déjà à l'école ?

    Le sommaire du livre édité :

     Pour une Maternelle du XXI Siècle : Sommaire

    Nota Bene : Si vous trouvez que 6 € de frais de port, pour un livre à 23 €, ça vous fait trop, contactez-moi directement. Je consacre une partie des droits d'auteur que je touche à payer les timbres qui vous permettront de vous procurer le livre au prix auquel vous l'achèteriez s'il était diffusé en librairie.
    Contactez-moi ici : Contact. Je me ferai un plaisir de vous expliquer la démarche à suivre.

    Notes :

    1 Ayant très souvent enseigné en milieu rural, j’ai, je l’avoue, une préférence très nette pour la classe multi-niveaux. Cependant, je souhaite ne rien imposer à personne. Dans des groupes scolaires de ville, les familles s’affolent vite lorsqu’elles apprennent que leur grand de quatre ans et demi côtoiera au quotidien des bébés d’à peine deux ans. Il est naturel que nos collègues, n’ayant souvent rien connu d’autre, s’affolent à l’idée d’expliquer une organisation peu commune même si son efficacité est prouvée de longue date.

    2 Et peut-être surtout…

    3 Il en va sans doute de la survie de notre profession !

    4 Site fictif, vous vous en doutez bien…

    5 Problèmes de partage, de répartition, d’organisation de l’espace et du temps, de correspondance terme à terme, de comparaison, d’ajout, de retrait, de dénombrement, etc.

    6 Inspirés de la pédagogie Montessori : tâches domestiques utilisées comme déclencheurs de l’activité motrice contrôlée de l’enfant (lavage et essuyage des mains, de petits objets ou de pièces de tissu, balayage, époussetage mais aussi entraînement aux activités de laçage, boutonnage, nouage)…


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  • Une pétition pour réclamer la liberté pédagogique

    Parce que la seule solution pour connaître la valeur d'une méthode, c'est de la présenter lors de la formation, la laisser appliquer par ceux à qui elle semble raisonnable, d'aider ceux qui voudraient mais manquent d'informations pratiques et d'attendre, longtemps, pour en constater les effets, cohortes après cohortes.
    On le fait depuis trente ans pour des méthodes qui ne donnent aucun résultat, on peut le faire pour d'autres qui ont fait leurs preuves depuis bien plus longtemps.

    Depuis quelques années déjà, les programmes présentent non seulement des contenus (la division euclidienne, le passé composé, les villes au Moyen-Age, etc.) mais aussi des injonctions pédagogiques (l'approche par compétences, l'utilisation des TICE pour la géométrie, ...) et les IEN s'en emparent pour obliger les collègues à utiliser telle méthode de lecture, tel procédé d'évaluation, tel projet qui convient à certains collègues mais beaucoup moins à d'autres.
    Il arrive même, ici ou là, que les collègues qui refusent de se plier à la doxa soient placardisés, mal notés, déplacés et qu'on les encourage à démissionner.
    C'est pour lutter contre cela que j'ai voulu diffuser cette pétition.

    Rendez possible le choix d'une autre approche éducative à l’école pour tous et sur tout le territoire !

    Nous demandons à l’Éducation nationale : de prendre les dispositions nécessaires pour que chaque famille et chaque enseignant puissent, dans l'école publique et dans celles en partenariat avec l’Éducation nationale, enfin faire le choix entre un enseignement classique et un enseignement inspiré des réflexions des grands pédagogues tels que C.Freinet, M.Montessori, O.Decroly, R.Steiner-Waldorf, J.Dewey, J.Holt, P.Kergomard, J.Korczak ...   Nous demandons que :   - ce choix soit rendu possible et gratuit pour toutes les familles et sur tout le territoire,   - des établissements (ou des parties d’établissements) soient officiellement dédiés à cette approche différente et que leurs enseignants puissent y mettre en œuvre ces pratiques sereinement et dans un ensemble cohérent,   - ces approches différentes - légitimées par les travaux et les expériences passées et actuelles des praticiens, par les chercheurs et les neurosciences - fassent effectivement partie de la formation des enseignants,   - tous les parents soient informés de l’existence des deux grandes approches possibles de l’éducation et des apprentissages... (la suite sur le site ci-dessous).

    Ciquez ici pour lire en entier et signer.


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  • Ils veulent tuer les hérissons !

    Je vous parle d'un temps que les moins de 35 ans ne peuvent pas connaître, à moins d'avoir vécu leur scolarité élémentaire dans une école où mes collègues d'alors s'étaient fait dès 1995 la même réflexion que moi en 2002 : « On ne change pas une équipe qui gagne ! »

    Il faut savoir que, depuis sa création jusqu'à 1995, les programmes de l'École Élémentaire étaient conçus par « cours ».
    Il y avait d'abord, le cours préparatoire, amputé de sa première moitié, mais toujours conçu comme un « sas préparatoire » aux apprentissages scolaires savants1 : la résolution de problèmes, nécessitant l'apprentissage de l'arithmétique et de la géométrie en mathématiques, la rédaction et la compréhension littéraire, qui, quant à elles, réclamaient une connaissance sûre et approfondie du vocabulaire, de l'orthographe, de la grammaire et de la conjugaison.

    VENAIT ENSUITE LE LIEU DU CRIME QUI NOUS OCCUPE : LE COURS ÉLÉMENTAIRE.

    Là, comme son qualificatif l'indique, les élèves acquéraient ce dont ils avaient besoin pour résoudre un problème arithmétique simple, élémentaire, lire seuls un roman pour enfant, simple et élémentaire, et rédiger un paragraphe d'une dizaine de lignes sur un sujet simple et élémentaire qu'ils maîtrisaient bien, en respectant les normes de l'orthographe et de la syntaxe élémentaires !

    Enfin pour en finir avec l'école qu'on appelait encore primaire, les élèves passaient au cours moyen, de deux années lui aussi, pour passer à l'étape moyenne des acquisitions mathématiques et littéraires avant de se diriger tous, depuis déjà bien longtemps2 , vers le collège, la 6e, les « études secondaires».

    MAINTENANT QUE CES QUELQUES JALONS SONT POSÉS, REVENONS AU MEURTRE QUI NOUS PRÉOCCUPE AUJOURD'HUI ET À LA SCÈNE DU CRIME, LE COURS ÉLÉMENTAIRE 2E ANNÉE.

    Ils veulent tuer les hérissons !

    Les enfants qui y entraient avaient presque tous sept ans révolus et, quand ils en sortaient, généralement deux années plus tard, c'étaient des enfants de huit à dix ans. Ceux qui connaissent un peu cette tranche d'âge savent que c'est une époque de la vie où l'on ne fait pas dans les détails, ni dans les nuances. Ce qui n'est pas bien est mal, ce qui n'est pas vrai est faux, ce qui n'est pas blanc est noir.
    La plupart des enfants sont tout de même sortis de l'époque antérieure, celle où la vérité se mesure uniquement à partir de son propre nombril et où, en plus de toutes ces maximes, on croit encore que tout ce qui n'est pas rouge est bleu, tout ce qui n'est pas vert est jaune et tout ce qui n'est pas comme on aime est détestable.

    Coup de chance, la partie élémentaire des programmes d'acquisition des mathématiques et du fonctionnement de la langue française obéit aux mêmes règles ! Ce qui fait que nos jeunes élèves de sept à neuf ans y évoluaient pas à pas, en terrain connu, pour y apprendre de petites choses élémentaires qui, mises bout à bout,  finissaient par constituer un joli socle sur lequel le cours moyen et le collège allaient pouvoir bâtir autant de statues différentes qu'il y avait d'élèves !

    ET LES HÉRISSONS LÀ-DEDANS, ME DIREZ-VOUS, QUAND EST-CE QU'ON LES TUE ?

    Bientôt, hélas. Mais il faut d'abord que je vous raconte comment on les accueillait en classe pour en faire les complices de notre enseignement élémentaire... de la conjugaison.
    Attention, pas dans les vieux bouquins ringards de l'école de grand-papa ! Non, non, non ! Même quand on était à la pointe de la pointe du progrès et qu'on écoutait son IDEN en conférence pédagogique.
    Pour vous dire, à l'époque, ma bible en grammaire, c'était ça. Les vrais grammairiens apprécieront... ou pas.

    Ils veulent tuer les hérissons !

    Eh bien, là-dedans, voilà comment on introduisait les hérissons dans le programme de conjugaison :
    Celui-ci, comme je vous l'ai dit plus haut, raisonnait comme les enfants, de manière élémentaire, en blanc et noir. Au CE1, les tout-petits tout frais émoulus d'un cours qui les avait préparés à recevoir des connaissances grammaticales, apprenaient à conjuguer au présent, au futur et au passé composé les verbes élémentaires du premier groupe (en évitant soigneusement ceux en -ger et -cer, -ier, -uer et -ouer, -eler, -eter, -ayer, -oyer, -uyer, etc.). On y ajoutait pour faire bonne mesure les verbes avoir et être et le verbe aller.
    C'était une première initiation, visant à aider les élèves à écrire seuls une phrase ou deux, racontant leur vie quotidienne, expliquant le but d'un jeu simple ou décrivant une image posée devant eux.
    Cette initiation suivait les règles de l'enfance qui aime les choses sûres et simples. L'introduction des trois verbes très courants (être, avoir, aller) permettait d'éviter, au moins intuitivement, que les enfants croient que tous les verbes se conjuguent comme « chanter » et qu'ils servent tous à dire « ce que l'on fait ».

    L'année d'après, au CE2, on continuait après un tout petit mois de révisions. On avait installé peu de choses mais elles étaient sues et bien sues et il n'y avait qu'à les réactiver pour qu'elles reviennent en mémoire. Pour parfaire la compréhension intuitive du rôle des temps, les trois temps appris au CE1, présent de l'indicatif, futur et passé composé étaient revus une première fois pendant cette période de révision et, avant d'en introduire de nouveaux au deuxième trimestre (imparfait, présent de l'impératif, participes présent et passé), on s'en offrait une deuxième révision approfondie, grâce à l'étude d'une nouvelle famille de verbes, très conciliante et totalement en phase avec l'élève de huit à neuf ans, vivant de certitudes et de règles valables en tous lieux et en tous temps ! J'ai nommé...

    LA FAMILLE DES HÉRISSONS !

    Parce que oui, j'ai oublié un petit détail tout bête, l'élève de sept à neuf ans adore la rigolade, la blague à deux balles, les histoires de Toto et les jeux de mots tout simples mais tellement amusants...
    Et comme on n'en était pas encore revenus à l'enfant-adulte, qui a déjà conscience de son rôle actif de membre de la communauté et s'interroge sur la durabilité d'un développement économique et social soucieux des valeurs démocratiques et de l'engagement citoyen, les instits de l'époque donnaient encore volontiers dans la rigolade, la blague à deux balles et les jeux de mots tout simples mais tellement utiles pour acquérir des réflexes d'écriture.

    Dans l'éminent ouvrage présenté plus haut, on introduisait donc la famille des verbes du deuxième groupe en la qualifiant de famille amie des hérissons... Eh oui. Je finis, tu finis, il finit, nous finissons... comme les hérissons !
    Quand un verbe a pour terminaison « i-s-s-o-n-s » à la première personne du pluriel, c'est un verbe ami des hérissons. Et ce qu'il y a de bien dans cette famille, c'est qu'elle est très, très, très obéissante. D'ailleurs, nous obéISSONS ! Le verbe obéir fait partie de ce groupe que nous qualifierons de « deuxième » puisque nous l'apprenons en deuxième. Celui vu au CE1, les verbes en -er, sera le premier groupe. Tout bête, tout simple, élémentaire...

    Mais alors, me direz-vous, s'il est si simple, ce groupe-là, pourquoi ne pas l'avoir vu en premier, avant celui des verbes en -er, qu'il a fallu tronquer de tout un tas d'exceptions ?

    Pourquoi ? Mais c'est très simple, voyons. D'abord parce que le premier groupe est le plus courant et qu'à sept ans, il faut pouvoir écrire sans faire de fautes qu'on chante, danse, écoute, parle, marche, saute, vole, avale, attache, téléphone, bavarde, éponge, grimpe, escalade, ... bon, j'arrête, vous avez compris.
    Ensuite parce qu'il comprend tellement de cas particuliers qu'il vaut mieux prendre son temps et rajouter chaque année quelques petites précisions à la base élémentaire vue pendant la toute première année du cours... élémentaire.
    Enfin parce que, si les verbes du deuxième groupe se conjuguent de manière très simple car très régulière, nombreux sont ceux dont le sens est encore inconnu quand on a moins de huit ans. À l'école primaire, il faut procéder graduellement et de manière globale.

    Malheureusement, contrairement à un ordinateur qui, ne comprenant rien à rien, accepte très bien de conjuguer tout et n'importe quoi du moment où on lui a entré les données dans sa mémoire, un enfant de sept à huit ans aura de la peine à conjuguer intelligemment un verbe dont il ne connaît pas le sens.
    Les programmes scolaires doivent donc attendre que cet enfant soit capable de comprendre ce que signifient les verbes franchir, gravir, aboutir, accomplir, brandir, faiblir, garantir, saisir ou unir s'ils veulent pouvoir lui proposer suffisamment d'occasions d'utiliser ses connaissances formelles en maîtrisant ce qu'il dit et écrit.
    Et ils auront tout juste, comme les enfants aiment, si, en plus, ils profitent de ces apprentissages un peu mécaniques des terminaisons verbales pour travailler, pendant les séances de vocabulaire, les verbes indiquant un changement physique : grandir, maigrir, grossir, mincir, vieillir, rajeunir, bleuir, rougir, jaunir, ...
    Ce qui permet d'éviter ce que tout collègue un peu attentif remarque dans sa classe, lorsque ses élèves ont été entraînés de manière mécanique à répondre à des stimuli dépourvus de sens pendant trop longtemps ! Ce ne sont pas les collègues qui se battent contre des élèves insuffisamment préparés qui écrivent sans se rendre compte des horreurs telles que nous étrons ou il pouva qui me contrediront. 
    Science sans conscience n'est que ruine de l'âme, savoir sans comprenoir aussi ; c'est comme ça, une loi intangible et élémentaire, comme l'aiment nos élèves de CE2.

    Et le comprenoir, ça s'installe pas à pas. 

    C'EST POURQUOI IL NE FAUT PAS TUER LES VERBES AMIS DES HÉRISSONS !

    Ils sont une étape indispensable à la compréhension du système de conjugaison de notre langue.

    Ils veulent tuer les hérissons !
    Merci au  collègue qui a mis cette image sur son blog. 

    Comme je n'ai pas fait d'études de grammaire bien poussées, que je ne me base que sur mon expérience d'enseignante du primaire, je ne saurais pas vous l'expliquer avec des mots savants et je préfère en rester à ce que comprennent nos jeunes élèves lorsqu'ils suivent un enseignement progressif et visant à rester intelligible et utilisable de la conjugaison. 

    Au CE1, on découvre pour les utiliser immédiatement quelques bases extrêmement simples qui permettent néanmoins de commencer à structurer l'apprentissage en fixant la notion de système construit grâce à quelques repères intuitifs.
    Les programmes de 2008 avaient rajouté l'imparfait aux trois temps traditionnellement vus en cette première année des apprentissages élémentaires, j'ai hurlé sur le coup mais ce n'était pas si bête parce qu'il est très régulier.
    Ils auraient dû en revanche enlever le passé composé, très utilisé à l'oral mais difficile à saisir. Ils l'ont laissé malheureusement ; et les collègues des classes supérieures continuent à dire que les élèves l'identifient et le conjuguent mal. On ne m'ôtera pas de l'idée que c'est en raison de cet apprentissage trop précoce.
    Mais leur plus grosse bêtise a été d'ajouter les verbes venir, faire et dire à la liste fixée depuis au moins 1975 pour cette classe ; vous comprendrez vite pourquoi.

    Au CE2, on élargit la base mais en restant toute la première moitié de l'année dans un système à deux facettes, tels tous ceux que les élèves utilisent dans leur vie courante : il y a deux systèmes réguliers de conjugaison, celui pour le premier groupe, et celui pour le deuxième groupe.
    Si la démarche est constructive, c'est-à-dire si elle mêle intimement savoir-faire de base et compréhension orale, les élèves déchargent peu à peu leur mémoire de travail de tout ce qui peut devenir réflexe : « C'est un verbe du premier groupe, je suis au présent, à la troisième personne du singulier, la terminaison est -e... C'est un verbe du deuxième groupe au présent, à la troisième personne du pluriel, le son [is] que je prononce à mi-voix s'écrit : i-s-s-e-n-t. »

    Ce n'est que dans la deuxième moitié de l'année scolaire, quand peu à peu, le cours commence à cesser d'être élémentaire et se permet déjà quelques incursions dans un monde de difficultés « moyennes » qu'aux trois verbes irréguliers très fréquents étudiés au CE1 (être, avoir, aller), on va pouvoir passer à une ou deux petits alinéas au contrat du premier groupe d'abord (les verbes en -ier, -uer, -ouer et, en suivant la progression d'orthographe, les verbes en -cer et -ger) puis à la découverte de ce que le Genouvrier appelait « la poubelle », ce qui, vous le comprenez, ravissait les élèves de CE2, toujours prêts à rigoler de ceux qui, comme Toto, fouillent dans les poubelles !

    Ils veulent tuer les hérissons !

    Les programmes de 1972 et 1986 plaçaient l'étude des verbes venir, faire, voir et prendre au CE2, quand les enfants avaient longuement fixé ce qui tient debout tout seul, ce qui évite les chausse-trapes et les exceptions et non pas au CE1 quand on peine à trouver une logique dans tout cela et qu'on vous bourre la cervelle de dizaines de terminaisons différentes alors que moins de deux ans plus tôt, on en était encore à croire qu'il fallait moins de lettres pour écrire PAPILLON que pour écrire OURS, parce qu'un ours, c'est gros alors qu'un papillon, c'est tout petit !

    Au CE2, en revanche, si on a bien travaillé le régulier, l'ordinaire et l'élémentaire, toujours en associant son et sens3, comme toujours, on peut largement assumer l'apprentissage complet de quatre verbes irréguliers.
    Je dis bien « apprentissage complet », mots écrits en entier, conformité à la règle pour les verbes de la même famille dûment constatée, expliquée et estampillée « conforme à l'usage », parce qu'à neuf ou dix ans, on a encore besoin de concret, de basique, d'immédiatement utilisable.
    D'où la nécessité de largement pratiquer l'exercice oral puis écrit de conjugaison, en multipliant les exemples, comme dans Étude de la Langue CE2.
    Et d'où l'intérêt de ne pas encore utiliser de tableaux sur lesquels seules les terminaisons apparaissent.

    Cela, on le réservera au niveau supérieur, plutôt dans sa dernière ligne droite, en fin de CM2 quand on révisera une dernière fois le programme de l'école primaire avant de passer au collège.
    C'est ce qu'ont vécu tous les plus de 35 ans dont je parlais tout à l'heure. Ce système était bâti patiemment, en partant des régularités des premier et deuxième groupes, aux temps les plus courants, enrichi très progressivement d'autres temps et modes, ainsi que des cas particuliers du premier groupe et de verbes du troisième groupe regroupés en sous-familles, d'abord simples et courantes, puis de plus plus complexes et rares.
    Il envoyait en 6e des élèves qui écrivaient correctement4 aux huit temps de l'indicatif mais aussi aux deux temps de l'impératif et à deux temps (un simple et un composé) du conditionnel et du subjonctif, à la voix active et passive n'importe quel verbe du premier ou du deuxième groupe, les verbes être et avoir et de 21 verbes du 3e groupe, sans compter leurs dérivés :  faire ; savoir, pouvoir, vouloir, devoir ; falloir ; aller, venir, partir ; dire, croire, lire, écrire ; voir, sentir, connaître ; prendre, rendre, tenir, recevoir ; vivre.

    Tout ça parce que personne n'avait décidé de tuer de pauvres animaux innocents qui ont largement contribué à mener en cinq ans à bon port des cohortes entières d'élèves5 ...

    IL NE FAUT PAS TUER LES HÉRISSONS !

    Ils veulent tuer les hérissons !

    CRITIQUER, C'EST FACILE,
    DONNER DES SOLUTIONS, C'EST UTILE.

    Notes :

    1 Pour les créateurs de l'école publique, on ne rentrait à la grande école qu'après le CP1 (GS actuelle) et le CP2 (le CP que nous connaissons), c'est-à-dire après avoir appris à l'école maternelle ou dans la classe enfantine les bases de l'écriture, de la lecture, du calcul et du système décimal.

    2 L'instruction obligatoire jusqu'à 16 ans date de l'ordonnance du 6 janvier 1959, vous vous doutez bien que les adolescents ne traînaient pas en jupes plissées, culottes courtes sur les bancs de l'école primaire jusqu'à cet âge avancé !

    3  Ce qui nécessite d'associer à l'apprentissage de la conjugaison celui du vocabulaire. Si les verbes du 2e groupe ont donné l'occasion de constituer des listes de verbes associés à des caractéristiques physiques, ces quatre verbes irréguliers vont prendre conscience aux élèves qu'ils emploient depuis longtemps une collection de préfixes qui, en trois ou quatre lettres, transforment un verbe en un autre, obéissant aux mêmes règles de conjugaison : ils viennent, reviennent, surviennent et interviennent, prennent, reprennent, surprennent, apprennent et comprennent, disent, redisent, font, défont et refont, tout fiers d'avoir réussi à dominer leur langue d'usage, qu'elle soit maternelle ou non !

    4 Et qu'on n'aille pas me dire le contraire, j'y étais ! Depuis 1976, dans une école qui passa ZEP dès que cette dénomination fut inventée, et jusqu'à 1995, dans diverses classes où tous les élèves de CM2, de toutes origines, puisqu'il paraît que ça compte, sauf cas très exceptionnel, réalisaient sans s'en rendre compte, ces exploits quotidiens.

    5 Selon la DEPP (Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance), les performances des élèves à la sortie du primaire sont restées stables de 1987 à 1997 avant de régresser constamment de 1997 à 2007.


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  • J'ai mal à ma maternelle !

    Brevets, carnets de réussite, évaluations, validations, contrôle, ceintures, échelles de progrès et même pommes plus ou moins grignotées me poursuivent de blogs en forums et de forums en réseaux sociaux.
    Cela ne serait rien si ces procédures de contrôles visaient de futurs bacheliers, des lycéens, des collégiens ou même des élèves d'élémentaire à condition que les plus petits, ceux du CP, ne soient pas ainsi examinés sur toutes les coutures comme de dangereux je-m'en-foutistes prêts à tout pour couper au dur effort scolaire dont il conviendrait de noter le plus petit progrès comme le moindre faux-pas !

    Mais non, eux, on leur fiche la paix ! Il est même question de ne plus les noter, de ne pas tenir compte de leur niveau pour leur passage dans la classe supérieure, de valider de manière quasi automatique un fond de socle du moment où ils tendent vers une maîtrise approximative des compétences qu'il recense comme indispensables à la survie en milieu économique estampillé OCDE-compatible !

    Non, ceux qu'on évalue sur toutes les coutures et qui passent leurs journées de classe à s'entraîner à cet effet, à poser des marrons dans des cases, attraper des boules de coton à la pince à sucre, ranger des petites voitures en ligne ou découper des franges le long de bandes de papier, ce sont nos tout-petits, nos bébés, ceux qui devraient vivre à l'écart de toute sur-stimulation, de toute comparaison avec leurs congénères, de tout rangement dans des cases, même provisoires.
    Dans leurs classes, on a tout étiqueté et, même si les plus chanceux choisissent librement la boîte ou le plateau dont ils vont avoir la possibilité d'explorer le contenu, on note vite vite tout cela et on les prend en photo pour témoigner de leur réussite, fortuite ou pas ! On va même jusqu'à leur demander dans quel but, pour valider quel apprentissage, quelle compétence, ils ont choisi cette activité. Parce que, du haut de leurs deux, trois, quatre, cinq années de vie sur terre, il est urgent pour chacun d'eux de :

    J'ai mal à ma maternelle !

    Comme ils sont heureux, leurs grands cousins de lycée que j'ai entendus l'autre soir quand ils énonçaient des horreurs devant 3,5 millions de téléspectateurs ! Eux, apparemment, dans leurs lycées, on ne leur demande pas de construire en commun des codages qui leur prouveraient que leurs professeurs ont encore beaucoup de choses à leur apprendre jusqu'à ce qu'ils réussissent à passer outre des représentations mentales d'un autre âge, sévèrement réprimées par la Loi qui plus est !

    Chez les moins de sept ans, c'est du sérieux... C'est bienveillant, nous dit-on, mais c'est du sérieux ! Depuis que j'en parle autour de moi, je m'enfonce de plus en plus dans la morosité...

    • Dans certaines écoles, la hiérarchie demande aux professeurs des écoles de supprimer la sieste qui nuirait à une bonne gestion des apprentissages ! Ils suppriment deux heures de classe par semaine et d'un autre côté, ils empêchent des bébés de dormir ! Nous sommes donc chez les fous ?
    • Ailleurs, la question porte sur le bac à sable : quels apprentissages vise-t-on en laissant les élèves y jouer, quels domaines privilégie-t-on, quelles compétences compte-t-on développer, selon quel protocole et avec quelle évaluation terminale va-t-on valider les réussites ?
    • Lors d'une animation pédagogique, on fournit des documents montrant comment rationaliser les acquis des élèves, en introduisant des « leçons » très mal déguisées en jeux, tels que n'en inventerait jamais un enfant, lors de leur fréquentation dite « libre » des coins dînette, déguisements, garage, chambre des poupées, etc.  !
    • Sur le net fleurissent les vidéos où les élèves, individuellement, répètent,  aussi longtemps qu'ils s'y intéressent, des exercices présentés dans des boîtes ou sur des plateaux, souvent d'inspiration Montessori, isolant un geste, une qualité, un concept.  C'est mignon comme tout, les enfants sont calmes, ils pressent inlassablement leur petite éponge dans leur petit bol, étendent sur un faux séchoir à linge de faux vêtements de feutrine, s'activent en silence sur des exercices de type plus « scolaire » de toutes sortes.
      Si cela nous change agréablement du « bouffe-fiches » sans âme ou des sempiternels ateliers tournants, la pression administrative associe à cette conquête très « montessorienne » de l'autonomie et de la conquête d'une liberté sensorielle bien comprise, une auto-mise en cases des petits enfants par le biais de ceintures de compétences, bien contraire à l'esprit de la grande dame, née pourtant au XIXe siècle !
       
    • Des collègues, bien décidées à faire autrement, n'arrivent pas à se rassurer. Puisqu'ils n'évaluent pas à longueur de journée, qu'ils n'ont pas conçu de brevets et que les épingles à linge, c'est dans le coin « chambre des poupées » que les enfants les utilisent pour suspendre de vrais vêtements miniatures sur un vrai séchoir, on va croire qu'ils font de la garderie ! Ils peinent à trouver seuls les réponses à des questions aussi simples que :
      - Comment fait-on pour savoir où ils en sont et qui fait quoi ?
      - Comment fait-on pour qu'un élève ne fasse pas dix fois le même atelier?
      - Comment fait-on des progressions ? Comment se débrouille-t-on pour que les élèves les suivent ?
      - Et l'instit, il s'assoit à son bureau et ne fait rien?

    Alors, je sais que je me répète, mais moi, j'ai mal à ma maternelle. Quand on pense que nous nous enfonçons de plus en plus, à chaque réforme, dans la méconnaissance totale de la psychologie de base de l'enfant de moins de sept ans, c'est à pleurer !
    Pourtant, il suffit de les regarder, de les écouter pour se rendre compte très vite qu'à cet âge-là, à peine sortis du ventre de leurs mères :

    • Ils ont des besoins physiologiques qui priment sur tout le reste. Lorsque c'est l'heure de dormir, ils doivent dormir parce que c'est pendant ce temps-là que le corps et le cerveau se régénèrent, qu'ils grandissent sous l'effet de l'hormone de croissance sécrétée uniquement pendant le sommeil, en position allongée. Priver un être humain de sommeil, ça a été utilisé dans toutes les dictatures mais, depuis, c'est interdit par la convention internationale des droits de l'homme, que je sache.
    • Ils ont tout à apprendre, partout, tout le temps. Parce qu'en moins de cinq ans, sauf milieu horriblement carencé et gravement violent ou pathologie lourde, tout nouveau-né passe de l'état de ravissant petit être incapable de mouvements volontaires et d'échanges, totalement à la merci des autres, à celui de superbe, grand et bel enfant, à l'aise physiquement et verbalement, capable d'interactions avec son environnement tel qu'il est. C'est de la richesse de cet environnement et de la pertinence de son action que naîtront les multiples stimulations qui permettront que cette transformation soit la plus complète possible.
      Aujourd'hui, dans le bac à sable, Jules est peut-être en train d'apprendre que lorsqu'on détruit quatre pâtés de sable sur les cinq qu'on avait construits, il n'en reste plus qu'un, alors qu'Emma découvre qu'en parlant gentiment à sa camarade Louanne, cette dernière est bien mieux disposée à prêter le râteau dont elle se sert ; Louanne apprend sans doute alors que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute et, si elle a la chance d'avoir des professeurs des écoles attentifs, elle réalise qu'en cas de spoliation caractérisée, il existe un recours juste et bienveillant en la personne de l'adulte, garant de la loi.
      Et parce que je sais que, contrairement à ce que nous montrent les vidéos, dans les classes, il y a plus souvent 30 élèves que 3, je peux répertorier une soixantaine d'apprentissages variés, appartenant à tous les domaines, que les élèves de cette classe fictive découvrent, consolident, parfont en ce moment, dans ce bac à sable. Les cinq sens en alerte, comme toujours chez les petits enfants, ils écoutent, manipulent, observent, sentent, goûtent hélas parfois ; dans le brouhaha ambiant de la cour de récréation ou du coin-sable de la classe, ils échangent, en mimiques et en paroles, partagent leurs connaissances lexicales, pas toujours académiques hélas ; enfin, grâce à la vie en collectivité, ils enrichissent leurs apprentissages sociaux, sous la houlette de leur enseignant, j'espère... Mais nous y reviendrons.
    • Ils ne sont pas de même nature que l'adulte ; et plus ils sont jeunes, plus le jeu à règles reste pour eux une conquête lointaine sans intérêt immédiat. Célestin Freinet, Maria Montessori, Pauline Kergomard, ces grands noms-là, mais sans doute bien d'autres, ne connaissaient pas les jeux de la téléréalité, ni ceux qu'on achète sous blister dans les magasins de jouets. En revanche, ils savaient que le petit enfant est « comme un locataire qui découvre son appartement et s'emploie à le meubler, l'agencer, l'organiser chaque jour un peu plus et un peu mieux ». L'enfant tâtonne et s'installe peu à peu dans son habit d'être humain.
      Les premiers jeux d'un enfant sont ceux qu'il découvre lui-même et qu'il répète inlassablement. Ils n'ont de règles que celles que l'enfant se crée ou que l'objet commande de lui-même.
      Chez Montessori, ce jeu est dans une petite boîte et on le place devant soi, sur une table ou un tapis individuels, on s'entraîne à maîtriser l'objet, le geste, le concept selon des règles très précises, théoriquement.
      Chez Freinet, c'est un objet, un outil, placé dans la classe ou dans la cour, dont l'enfant se sert librement parce qu'il lui plaît ou qu'il l'a vu dans les mains d'enfants plus grands ou d'adultes et dont il découvre petit à petit les trésors jusqu'à en faire son outil et l'utiliser à des fins précises, en interaction avec ses camarades, lors de projets de plus en plus construits.
      Chez Kergomard, c'est un moyen terme entre les deux : moins cloisonné que chez Montessori et moins "sans filet" que chez Freinet.
    • Ils raisonnent sur un mode binaire.
      C'est sans doute pourquoi ces petits exercices, bien rangés dans leurs boîtes colorées ou sur leurs jolis plateaux, leur plaisent et les rassurent. Il est sûr que ces enfants-là, « calmes et sereins, faisant preuve d'un grand contrôle d'eux-mêmes, engagés dans leurs propres apprentissages1 » se sentent plus « acteurs de leur vie » que leurs voisins des autres classes, en train de chercher désespérément comment trouver de l'intérêt aux rituels du calendrier et des présents/absents, aux exploitations d'albums ou aux ateliers obligatoires de phonologie, métacognition, philosophie, reconstitution de titres d'albums, de prénoms, de tours en légo, de colombins de pâte à modeler, de copie de lignes de lettres majuscules et de chiffres.
      Mais c'est aussi pour cela que pour eux, si "maîtresse, elle a validé celle-là" parce que c'était très bien, c'est que "maîtresse, elle a pas validé celle-ci" parce que c'était très mal. Le cahier de réussite souligne aussi les ratages, toutes ces pages qui ne sont pas encore finies. La pédagogie qui donne un statut à la réussite institutionnalise forcément  l'échec dans l'esprit d'un bambin qui raisonne en blanc et noir.
    • Ils sont programmés pour essayer, essayer et essayer encore dans le but de réussir. Qui n'a pas vu un bébé de quatre mois, allongé dans son berceau, se concentrer à grands gestes maladroits pour toucher l'objet qui pend au-dessus de lui, qui ne s'est pas passionné sur ses stratégies, son froncement de sourcils, ses mimiques sérieuses, ses petits cris déjà vaguement articulés, peut croire qu'un enfant a besoin de carottes, si ce n'est de bâton, pour avancer.
      Sans doute, ces étoiles, ces ceintures, ces colliers, ces pommes à moitié rongées sont-elles nécessaires pour appâter ces enfants démotivés qui s'ennuient à cent sous de l'heure à chercher des mots, et encore des mots, et toujours des mots, qu'ils finissent par PIN, qu'ils commencent par SA, qu'ils aient trois syllabes ou qu'ils aient les mêmes lettres que STÉGOSAURE ou que PTÉRODACTYLE. Sans doute est-il nécessaire de répéter à ceux-ci qu'ils doivent essayer et se tromper pour enfin réussir.
      Mais pas les autres, pas ceux qui vivent dans une classe que j'appelle « normale », ceux-là savent bien qu'un jour viendra, couleur d'orange où ils sauront enfin ; et ils s'emploient à grandir, à cultiver leur autonomie, sous les encouragements de leurs enseignants parce qu'ils veulent savoir.

    Ces collègues qui se posent des questions, qui essaient, qui aimeraient bien, qui leur répond ? Personne au sein de l'Institution. Bien au contraire.
    Céline Alvarez, une pionnière parmi d'autres, qui cherche comme eux à révolutionner explique, dans le Télérama de cette semaine, comment l'expérience qu'elle a pu conduire à Gennevilliers, de 2011 à 2014, s'est arrêtée, comment elle peine, même en ayant pignon sur formation continue, à se faire comprendre des inspecteurs généraux les mieux en cour qui gardent la coquille en oubliant la chair. 
    Dans le Nouvel Éducateur de ce mois-ci, l'éditorialiste, Martine Boncourt, se plaint elle aussi que, malgré les mauvais résultats de l'École, tous ceux qui proposent une révolution pédagogique se heurtent au silence radio ou, au mieux, à une assimilation mal comprise d'éléments plus ou moins pertinents plaqués sur d'autres venus d'ailleurs.
    Lorsque des collègues ou moi-même proposons à nos IEN respectifs de faire profiter nos collègues de nos savoirs, on nous dit poliment oui, oui, puis on nous oublie, sans même chercher à lire ce que nous écrivons. Nos livres restent confidentiels et seul le bouche à oreille leur tient lieu de canal de diffusion.

    Pendant ce temps, nos collègues continuent à ne pas oser se lancer, faute de réponses à leurs questions alors que les réponses existent et qu'il suffirait de les laisser faire leurs preuves, sans cahiers de réussites qui figent un présent qui n'existe déjà plus au moment où on referme leurs pages, sans prêt-à-porter made in Pedagogia, fabriqué en chaire et jamais validé par des études sérieuses et dénuées de parti-pris, dont les patrons ne correspondent aux mensurations d'aucun « élève de maternelle » réel !

    Et la Maternelle en crève... à feu de plus en plus vif. Tant et si bien que, si je n'avais pas bien écouté mon ex-ministre hier, je parlerais bêtement de volonté délibérée, de complot, même, pourquoi pas... Ce qui serait stupide, j'en conviens.
    Je préfère parler d'ignorance, d'oubli, de repli sur soi, ce qui permet, malgré la douleur, d'espérer une rémission et même pourquoi pas une guérison rapide. Et je leur offre une pomme toute grignotée pour qu'ils se rendent compte comme c'est désagréable de voir son ego rongé jusqu'au trognon, tiens...

    J'ai mal à ma maternelle !

    En bonus, pour ceux qui, en fouinant tout seuls sur la Toile, auraient découvert ce blog tellement subversif qu'on ne peut pas le conseiller, quelques réponses aux questions posées ci-dessus.

    - Comment fait-on pour savoir où ils en sont et qui fait quoi ? 
    On connaît les contenus des programmes sur le bout des doigts ; on est présent au milieu de ses élèves, tous les sens en alerte, vigilant à tout ce qui se dit, se fait, émerge plus ou moins intuitivement. Et on se fait confiance : on saura très vite remarquer les progrès, les stagnations, les régressions, les moments de latence entre deux paliers.

     - Comment fait-on pour qu'un élève ne fasse pas dix fois le même atelier?
    Dans un premier temps, on ne fait rien. Certains enfants ont besoin d'être très sûrs d'eux pour oser se lancer. Si cela dure de manière vraiment pathologique, on tente de proposer autre chose pour voir. La plupart du temps cela suffira.
    Si cela ne suffit pas, on attend encore un peu... Puis on recommence... Lorsque le refus devient inquiétant, un soir, discrètement, alors que les élèves sont partis (ou un matin, avant qu'ils arrivent), on enlève l'atelier en question. Il disparaît... dans une réserve, un grenier ou le coffre de notre voiture. Et on voit...

    - Comment fait-on des progressions ? Comment se débrouille-t-on pour que les élèves les suivent ?
    On prend le BOEN, on le débarrasse de toute la parlotte (attention, il y en a énormément), on garde uniquement les contenus. On recopie ça bien joli, bien propre pour l'IEN. En regard, on écrit tous les moments de la journée où on travaille ces savoirs, ces compétences, ces  capacités2 (en gros, c'est tout le temps pour le langage, presque tout le temps pour le sensoriel, et la plupart du temps pour ce qui est moteur).
    Les élèves les suivent nécessairement parce qu'un enfant est programmé pour progresser.
    Les seuls cas délicats sont les très rares enfants qui souffrent d'un trouble suffisamment grave pour être déjà handicapant à deux, trois, quatre, cinq ou six ans. Ceux-là avanceront aussi mais moins vite. Dans votre nouvelle organisation, ils auront la chance de n'être ni stigmatisés, ni confrontés sans arrêt à l'échec (et à la comparaison aux autres si celle-ci leur est intellectuellement accessible et que vous avez poussé l'innocence assez loin pour afficher des tableaux de réussite sur les murs de la classe pour que tout le monde puisse remarquer comme ils sont à la traîne, loin derrière les autres).


     
    - Et l'instit, il s'assoit à son bureau et ne fait rien?
    Surtout pas ! Il n'en a pas le temps ! Il est au contraire hyper vigilant à tout ce qui bouillonne dans sa marmite.
    Il joue son rôle de régulateur de l'ambiance, protège le faible et le soutient, retient les jeunes bulldozers mâles et femelles qui renversent tout sur leur passage, surveille les pestouillous qui ont la critique plus aisée que l'action, aide la pâte à lever quand il voit que les bulles commencent à pétiller au-dessus de la tête des Géo Trouvetou, rassemble les morceaux des gamins en vrac que j'appelle des pantins sans ficelle, etc.
    Il note mentalement que tout le monde semble passionné par les fleurs et qu'il serait judicieux d'apporter un petit bouquet et une ou deux fleurs en pot rapidement, plus une reproduction de tableau, et deux ou trois petites chansons.
    Il remarque que la boîte où on doit mettre des perles dans les cases d'un bac à glaçons n'intéresse plus personne mais qu'en revanche, il y en a trois là-bas qui comptent et recomptent les légos de leur construction... Il prend donc la décision de ranger les perles du bac à glaçons et de les remplacer par des perles à compter, enfilées sur des tiges métalliques...
    Il voit que la petite Macha qui d'habitude ne dit pas un mot regarde sa poupée droit dans les yeux et lui dit : "Non, non ! Tais-toi !" et se demande s'il ne faudrait pas la solliciter plus souvent, en relation duelle, pendant qu'elle joue dans les coins-jeux et que personne ne l'observe...
    Il est très, très occupé à faire son métier, celui pour lequel il devrait être payé : faire lever et prospérer, autour de tous les enfants, un terreau fertile dans lequel ils puiseront les ressources dont ils ont besoin pour grandir, progresser et s'épanouir.
     

     

    Notes :

    1 Céline Alvarez citée dans Télérama n° 3448 du 13 au 19 février 2016
    2 Il y a un exemple de ce type de fiches, mais aussi beaucoup d'autres choses, dans Pour une maternelle du XXIe siècle, pages 51 à 53,.


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  • J'ai testé pour vous

    Vendredi 22 janvier, n'écoutant que mon courage, j'ai pris le train pour la capitale dans le but d'aller vivre une expérience interdite à tous mes collègues de l'enseignement public.
    Figurez-vous que je suis allée vérifier de mes yeux et de mes oreilles qu'il existait, en France même, des personnes qui diffusent des méthodes pédagogiques dangereusement dissidentes, si dangereusement dissidentes d'ailleurs qu'il n'est même pas besoin d'aller y voir pour en être convaincu.

    Et ce que j'ai vu m'a beaucoup plu. C'était à la fois solidement étayé sur le plan théorique et agréablement illustré au point de vue pratique.
    Pour le plan de la conférence, je vous propose de vous en référer au site même de la conférencière qui a tout détaillé de façon très convaincante. Vous pourrez y télécharger le programme en pdf, ce qui me permet de me contenter de vous en copier-coller la présentation :

    La journée Bien écrire à l'école maternelle approfondira plusieurs points :

    - graphisme et écriture dans les programmes 2015
    - la motricité fine
    - les activités préparatoires à l'écriture

    Sachez cependant qu'à aucun moment, Laurence Pierson ne cherche à transformer les petits enfants en robots ou à les empêcher de jouer et de grandir mais qu'au contraire, elle conseille d'être très vigilant à laisser du temps au temps, à profiter du jeu libre pour donner à l'enfant le goût et les capacités à fournir des efforts, à pratiquer l'évaluation douce, sans épreuves à passer, sans cahiers à cases qui figent l'instant et peuvent, si l'on n'y prend pas garde, cristalliser les défaillances momentanées en réelles difficultés.
    Elle veille à instaurer une confiance mutuelle entre l'Institution, dont elle présente les programmes en vigueur et explique comment les mettre en œuvre, ses professeurs, dont elle peut parfois bousculer quelques représentations mentales mais toujours avec respect et gentillesse, les familles, qu'elle considère comme partenaires éducatifs mais dont elle décharge la responsabilité sur le plan des acquis scolaires.

    Dans les classes de l'école maternelle qu'elle présente une à une, de la plus petite où le jeu libre est roi à la plus grande où l'apprentissage de l'écriture précède puis accompagne l'apprentissage de la lecture, les enfants jouent, échangent, vivent une vie d'enfant qui grandit, affine ses capacités sensorielles (voir, manipuler, entendre), peaufine ses moyens d'expression (langage oral, dessin, arts visuels, expression corporelle) et prend peu à peu, intuitivement d'abord, puis de manière volontaire et assurée, des repères de plus en plus précis dans l'espace, le temps et les acquisitions sociales (écriture, lecture, calendrier et même si nous n'en avons que très peu parlé, calcul et numération).
    Et comme tout vient à point à qui sait attendre, comme c'est par le jeu et l'exercice libre de la manipulation qu'elle commence, rien n'est ardu, rien n'est tristounet, rien n'est répétitif.
    Ce qui fait que l'on retrouve dans les conseils qu'elle nous donne ceux qu'ont prodigués tous les grands pédagogues qui ont fait la renommée de l'école maternelle, celle qui accueille les tout-petits tels qu'ils sont pour en faire, en trois ou quatre années, des élèves qui entrent au CP tels qu'en rêvent toutes les familles et tous les instituteurs et institutrices ! Tout y est, l'indulgence et l'humilité devant le tout-petit d'une Pauline Kergomard, l'éducation au geste approprié d'une Maria Montessori, le milieu riche et aidant d'un Célestin Freinet. Comme ces trois-là et tous les autres qui les ont accompagnés dans leur recherche d'une éducation du petit enfant, Laurence ne conseille pas la croissance découpée en cases fines ou le téléchargement donnée par donnée de compétences déconnectées les unes des autres mais rien de moins que la globalité d'une acquisition raisonnée et raisonnable de l'écriture-lecture, celle qui associe l'apprentissage des gestes qui constitueront bientôt dans l'esprit de l'enfant un véritable réseau câblé lui permettant de programmer lui-même la combinaison de gestes nécessaires à l'écriture des mots qu'il saura « chiffrer »1 et comprendre en même temps qu'il les écrit.

    Avec son programme et ses conseils, les enfants n'ont pas besoin de descendre de leur vélo pour se regarder pédaler, ce qu'elle déconseille formellement, car, au-delà du risque de chute, cela perturberait la constitution du programme sensorimoteur qui permet l'écriture. Ils n'ont pas besoin non plus de multiplier les entrées qui leur permettront d'accéder au sens de l'acte de lire puisqu'ils l'auront bâti de l'intérieur, par leur propre activité de scripteurs efficaces, écrivant souplement, sans fatigue grâce à une éducation à la tenue du crayon et à la maîtrise gestuelle obtenues par les jeux de doigts, les comptines, l'acquisition d'un rythme intérieur, la danse, les jeux de construction, de fabrication, de création plastique... Grâce au temps gagné, l'école maternelle redevient celle où l'on joue avant tout et non plus celle où l'on court d'activité de phonologie en activité de production graphique, d'atelier d'écriture inventée en rituels calqués sur ceux de l'école élémentaire, de tris de texte en exploitations des productions langagières, des albums, des prénoms, des jours, des mois en vue de constituer des répertoires, des listes, des alphabets, des... pfff ! j'arrête, je suis déjà épuisée. 

    Et c'est de ces bons conseils dont l'Éducation Nationale se prive, malgré les propositions répétées d'intervention dans le cadre du Plan Annuel de Formation des Professeurs des Écoles ? C'est cela qu'elle préfère cacher à ses étudiants en Master de l'Éducation dans ses ESPE ?
    Oui... Tout comme elle ne souhaite pas voir présenter et commenter des méthodes d'apprentissage de la lecture ou du calcul différentes... Tout comme elle préfère ne pas lire et encore moins proposer Pour une maternelle du XXIe siècle de peur d'y trouver peut-être une ouverture qui déstabiliserait des années de certitudes.

    Où est-elle, l'ouverture d'esprit dont nous nous targuons, nous, pédagogues du début du XXIe siècle ? Où est-elle notre capacité à accueillir l'autre, à ne pas nous enfermer dans notre tour d'ivoire, méprisant l'inconnu tel un adversaire ? Comment accueillerons-nous des petits enfants tous différents mais tous égaux si, avant même d'avoir lu, vu et testé, on rejette l'infidèle et le boute hors du sanctuaire ?
    On peut traiter les autres d'obscurantistes et déplorer leur manque de tolérance lorsqu'on se comporte comme eux et que l'on rejette a priori ceux qui ne prêtent pas allégeance et osent dire qu'un autre monde, d'autres méthodes, d'autres représentations mentales sont possibles !
    C'est comme cela qu'on en vient à se refermer sur soi, rejetant l'autre et ses différences. C'est comme cela aussi qu'on l'écarte ainsi de l'enseignement pour tous, tel que l'avaient voulu ceux qui ont fondé l'école publique, tous les enseignants, toutes les familles qui ressentent trop l'ostracisme pédagogique.

    Les collègues démissionnent, harcelés par une administration trop tatillonne, aux injonctions trop rigoureuses ; les familles s'écartent de l'école et cherchent ailleurs, dans le privé confessionnel ou laïc, allant jusqu'à créer parfois elles-mêmes leurs propres écoles tant la demande de sortir des sentiers battus et rebattus est criante ; les enfants développent des troubles allant de la dysgraphie à la phobie scolaire, en passant par tous les « dys-quelque-chose » possibles et imaginables...
    Mais l'Éducation Nationale ne plie pas. Ses élèves ne bénéficieront de professeurs formés à l'enseignement de l'écriture liée que si ces derniers paient de leur poche et prennent sur leur temps de repos pour le faire de leur propre chef. Encore heureux si après, ils ne se voient pas empêchés de le mettre en pratique dans leur classe au prétexte que, même s'il est rigoureusement conforme aux programmes, il contrarie la mise en place je ne sais quel projet de circonscription à base d'écriture approchée, de  carnets de l'écrivain ou autres exercices de métacognition visant à permettre à l'élève de découvrir la différence entre les séquences sonores et les séquences graphiques.

    Pendant ce temps-là, l'école privée, elle, de tous horizons, confessionnelle ou non, sous contrat ou hors-contrat, s'intéresse, ose, s'informe, se forme et teste avec bonheur sur ses élèves, leur permettant ainsi d'infirmer les malédictions2 établies depuis des décennies.
    C'est ainsi qu'à cette formation, j'ai rencontré N et F, toutes deux enseignantes dans une école privée confessionnelle de stricte observance, qui utilisent dans leurs classes depuis quelques années De l'écoute des sons à la lecture et Écrire et Lire au CP, à qui Sophie Borgnet et moi-même allons présenter Se repérer, Compter, Calculer en GS et Compter, Calculer au CP et qui, mandatées par leur directeur, venaient se former au geste d'écriture. Je suis persuadée qu'elles adopteront très vite dans leurs classes le programme d'éducation que propose Laurence car il est facile à mettre en œuvre, appétant et efficace pour les enfants. Comme je sais qu'elles lisent mon blog, j'en profite pour les saluer toutes deux et leur confirmer que je mettrai le plus rapidement possible en ligne le cahier de rédaction que j'avais promis pour accompagner les livrets de lecture de CP3.

    Et maintenant, pour les collègues de l'enseignement public qui n'ont pas l'occasion et le droit de se former à l'enseignement de l'écriture ou à l'utilisation de méthodes d'écriture-lecture, de comptage et calcul, je vous conseille de prendre contact avec Laurence, via son site, ou avec moi, via le formulaire de Contact ici présent.

    Pour les parents, catastrophés par l'écriture de leur enfant, qu'il soit petit ou grand, vous pouvez aussi contacter Laurence Pierson, à Paris, Yvette Aboukrat, à Créteil, dont je connais de longue date la valeur en tant que collègue et que j'ai eu la joie de rencontrer lors de la formation de samedi dernier, ainsi que toutes les rééducatrices en écriture qui sont leurs partenaires directes.
    Vous pouvez aussi bien entendu me contacter et je ferai en sorte de vous conseiller des ouvrages, des techniques, des activités à mettre en place avec vos enfants à la maison.

    Et pour les enfants, les tout-petits qui jouent sans se soucier de rien, ce qui est bien le moins qu'on puisse leur souhaiter à leur âge, et les grands qui peinent parfois à comprendre pourquoi il convient de prendre tant de détours pour arriver à écrire proprement et sans fautes, à lire, à compter et à calculer, je ne peux rien faire d'autre que de souhaiter que cessent pour eux tous les obscurantismes, toutes les chapelles aux portes closes et aux fenêtres placées trop haut pour que jamais, au grand jamais, leurs adeptes n'aient l'idée d'aller voir s'il est vrai qu'ailleurs et en d'autres temps, il y avait aussi des programmes scolaires, plein de programmes scolaires, tout un tas de programmes scolaires pour l'école maternelle, l'école maternellel'école maternelle !4 Et qu'aucun d'entre eux n'a jamais autant demandé de contrôler l'enfance et de lui tirer dessus pour qu'elle pousse plus vite que celle que nos connaissons aujourd'hui.

    Notes :
    1 Au sens de « composer lettre à lettre ». Lorsqu'on lit on « déchiffre », lorsqu'on écrit on « chiffre », à l'aide du code commun à tous : notre alphabet.
    2 Vous savez, ces sinistres malédictions qui corrèlent l'échec scolaire au nom de famille, au lieu de résidence, au compte en banque de papa et maman, à leur degré d'instruction…
    3 C'est ainsi que l'autre jour, dans un autre contexte, j'ai rencontré des personnes qui, issues d'un milieu diamétralement opposé à celui-là, ont découvert qu'on pouvait être à la fois rigoureux sur les contenus et faire confiance à l'enfant, l'accueillir avec empathie et refuser d'en faire un homo numericus biométriquement contrôlé sur toutes les coutures, aux paramètres scientifiquement évalués.
    4 Private joke visant à démontrer que, contrairement à ce que nos collègues croient parfois, les premiers programmes de maternelle ne datent pas de 2002.


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