• Une semaine en GS (3)

    Deuxième journée de la semaine en GS, après un lundi matin et après-midi bien occupés. 

    Mot d'ordre : « On prend les mêmes et on recommence ! »
    Plutôt que de parler de « rituels », mot dont le côté presque religieux me gêne, je préfère parler d'habitudes, terme tombé en désuétude dans les classes sommées d'attendre le bon vouloir des enfants au début des années 1990... L'enfant au cœur des apprentissages allait de lui-même créer ses propres habitudes auxquelles les maîtres s'adapteraient comme il créerait ses propres savoirs. Je caricature pour aller plus vite.
    Lorsque, une quinzaine d'années plus tard, on s'est rendu compte que la mise en place des automatismes avait énormément souffert de cette perte, nos théoriciens de l'école du XXIe siècle, qui comme chacun le sait « sera religieux ou ne sera pas1 »,  ont alors créé les « rituels », ces obligations morales faites aux enseignants de mener, dans toutes les classes, des micro-activités dont la répétition routinière assurerait l'appropriation des notions et concepts visés...

    Je préfère le terme d' « habitudes », concept qui ne se cantonne pas à la mise en place de quelques stimuli individuels parfois habillés de vertus thérapeutiques2..
    Ces habitudes concernent le temps qui passe grâce à une organisation pédagogique basée sur la journée (on verra que le mercredi déroge à cette règle) : les activités sont pratiquées au quotidien et celles du jour font suite à celles de la veille, pour chacun des élèves.
    Cela est rendu possible grâce aux habitudes sociales de la classe : c'est un groupe dont chaque élève est un membre, reconnu comme tel, dans le cadre d'une organisation collective. Les tours de paroles sont organisés3, ce qui sécurise tout le monde et contribue à installer un climat d'écoute et d'attention ; le travail collectif précède le travail individuel qui est considéré comme la dernière phase de l'apprentissage ; de ce fait, il est accompagné au besoin par l'adulte, décidé à mettre chaque élève au centre de sa pédagogie, ce qui constitue la dernière, mais la plus importante de ces habitudes.

    Celle-ci porte sur le rôle de l'école, sa mission première, l'instruction. Chaque élève sait, parce qu'on le lui dit et le lui répète, qu'il est là pour apprendre tout ce qu'il ne sait pas, tout ce qui lui sera utile cette année, en Grande Section, mais aussi l'année prochaine, au CP, et même pendant toute sa scolarité. L'enseignante fait tout pour lui simplifier la tâche, le sécuriser en lui évitant le sentiment d'échec, l'aider à surmonter les obstacles, lui fournir les éléments nécessaires à des progrès pas à pas, qu'il constate au jour le jour.
    L'élève, conforté par le groupe, qui est toujours appelé en soutien, éduqué au respect des différences et à l'empathie, s'auto-évalue à sa mesure, sans avoir besoin de noter ses progrès puisqu'il les vit et en constate les bienfaits au quotidien, il apprend à s'estimer à sa juste valeur, se sent valorisé par des réussites tangibles, comprend les lois de l'école, parfois différentes de celles de la maison, et les applique parce qu'elles le protègent tant contre les autres que contre lui-même. Il se sent membre d'un groupe, d'une communauté dont la seule « religion » est l'apprentissage et les seuls « rituels », l'intérêt et la bonne entente !
    De cette sécurité affective et sociale naît la curiosité pour ce qu'il ne sait pas encore, ce qui est tout près de lui mais qu'il n'a pas vu, ce qui étonne les tout-petits et leur permet d'approcher les savoirs des grands.
    Quant à l'enseignante, elle est confiante dans les progrès de chacun, ayant fait le choix du simple et du pas à pas dans les apprentissages fondamentaux savants, basant sa pédagogie sur l'envie de grandir et la curiosité naturelle des enfants pour les tâches, les jeux, les exercices scolaires qui se succèdent à un rythme soutenu. Elle vise le développement harmonieux de leurs facultés motrices, sensorielles, intellectuelles et sociales, leur engagement à bien faire ce qu'elle leur propose. Elle n'éprouve donc pas le besoin de peser et mesurer sans cesse l'évolution de chacun ; elle la constate, au jour le jour, en voyant ses élèves s'engager, se donner à fond et avancer pas à pas vers les savoirs de toutes sortes.

    Les voici, après la matinée, puis l'après-midi du lundi, un mardi de fin février :

    Annexes :

    Annexe 3 : Mathématiques :

    Annexe 4 : Lecture

    Annexe 5 : Voyelles (répertoire)

     

    Suite de la semaine :

    Mercredi 

    Jeudi

    Vendredi

    Notes :

    1 Phrase attribuée à André Malraux.
    2 Ici, par exemple, je vous propose de chercher une très jolie phrase sur l'effet socialisant des cailloux. Si là, je n'ai pas le droit de parler de « pensée magique », je ne sais pas quand je le pourrai !
    3 D'où, sur les documents, les successions d'Alima, Baptiste, Célia, Dounia, etc. Par commodité, j'ai choisi l'ordre alphabétique, mais dans une « vraie classe », cela peut être les places sur les bancs, les difficultés d'élocution, l'âge ou tout autre choix mûri et calculé en fonction des particularités de sa classe.


    4 commentaires
  • Une semaine en GS (2)

    Suite de : Une semaine en GS (1) Voir note1

    Comme promis la suite d'un long, long, long article sur le quotidien d'une classe de 28 élèves de GS, à la rentrée des vacances de février.

    L'après-midi de 2 h 15 va être rempli, terriblement rempli, de la même chose pour tous afin de garantir l'égalité des savoirs. La  maîtresse qui connaît ses élèves depuis une demi-année scolaire protège tout particulièrement ceux qui sans elle se sentiraient en difficulté, donne sa confiance à tous et pousse chacun d'entre eux à un peu plus de connaissances, d'aisance, d'attention, d'autonomie et de curiosité.
    Elle sait aussi qu'elle a affaire à des enfants encore trop jeunes pour assumer une liberté totale ; elle a donc garanti leur sécurité matérielle et instructive en aménageant l'espace scolaire de manière à pouvoir s'occuper ponctuellement d'un seul enfant tout en gardant une vue d'ensemble sur le groupe. J'ai choisi le cas hélas fréquent de la classe de GS qui, en début d'après-midi, ne bénéficie pas du service d'une ATSEM, celles-ci étant toutes occupées à la sieste, à la récupération ou au ménage après le service de cantine et de surveillance périscolaire.Si on a la chance d'être assistée par une personne qualifiée et compétente, le travail en sera facilité puisqu'elle pourra se charger du plus simple pendant que la maîtresse se consacrera aux élèves qui ont besoin du plus d'attention.

    Pendant les deux premiers mois de l'année, elle a installé un mode de fonctionnement très facile à mémoriser, où chaque activité revient chaque jour et où l'autonomie se prend peu à peu, au cours d'exercices collectifs ponctués par un exercice individuel toujours très simple, toujours encadré et aidé, et même assisté pour les élèves les plus démunis devant les tâches dites « scolaires ».
    Le temps dégagé grâce à la simplicité de ce type d'exercices, elle a pu installer ses priorités : l'expression orale, le dessin, la maîtrise corporelle, l'aisance sensorielle de chacun au sein du groupe qui peu à peu deviendra la référence de travail dans sa classe.

    Après une première période réservée aux « révisions » du programme de PS et MS dans les domaines du Langage Écrit (produire des écrits en les dictant ; exercices graphiques et geste d'écriture ; affiner l'écoute et la prononciation) et des Mathématiques (utiliser les nombres ; explorer les formes, les grandeurs et les suites organisées ; se situer dans l'espace), ce fonctionnement a permis de démarrer les acquis de la Grande Section en toute confiance à partir du mois de novembre. 

    Les élèves connaissent désormais les personnages des Alphas et commencent à savoir composer un mot en l'épelant phonétiquement. Ils savent entendre, lire en minuscules scriptes et écrire en minuscules cursives le son de référence des voyelles a, e, é, i, o, u. Ils savent dire quel est le son initial et le son final d'un mot oral. Ils écrivent, lisent, composent et décomposent les nombres de 1 à 5 et ont entamé ce travail pour le nombre 6.

    Ce mardi après-midi sera consacré à :
    - un exercice de dictée à l'adulte,
    - un court exercice de repérage du son final de quelques mots,
    - l'observation du matériel nécessaire à une première expérimentation sur l'utilisation du savon
    - un exercice d'expression corporelle sur une musique connue
    - la découverte d'un album-jeunesse

    Tout va très vite, trop vite à mon goût mais je préfère un peu de tout chaque jour plutôt qu'une seule séance par semaine, oubliée de tous ou presque, lors de la séance suivante.

    Bonne lecture à tous !

    Annexe 2 : De l'écoute des sons à la lecture, partie Les Voyelles, fiche D25.

    La suite de la semaine :

    Mardi

    Mercredi

    Jeudi

    Vendredi

    Notes :

    1 Attention, la presque totalité de ma carrière s'étant déroulée aux époques où nous avions 27 puis 26 heures de classe avec nos élèves, j'ai de la peine à établir un emploi du temps tenant compte de tous les besoins éducatifs et culturels d'un enfant de 2 à 11 ans dans un temps aussi contraint que celui des 24 heures.
    Après avoir tenté vainement de faire entrer des séances riches et constructives malgré un effectif pléthorique dans le cadre que j'avais fixé à l'avance, il a fallu que je me résigne à modifier les horaires de l'emploi du temps proposé au départ.
    Je m'en suis sortie en rabiotant, la mort dans l'âme, le temps réservé au domaine Explorer le monde. J'en demande pardon à tous les enfants qui n'ont que l'école pour s'instruire, je ne suis pas responsable des mégotages économiques effectués sur le dos des bambins.
    2 Je rappelle que, par commodité, j'ai choisi un féminin qui l'emporte en raison de la féminisation de l'enseignement primaire et tout particulièrement pré-élémentaire. J'invite les messieurs qui me liront à corriger d'eux-mêmes tous ces noms féminins.


    8 commentaires
  •  

    Une semaine en GS (1)

    À la demande d'une jeune collègue, qui voulait savoir ce que je préconiserais pour une classe de GS de 28 élèves, je rédige un récit, fictif mais basé sur une bonne trentaine d'années d'expérience dans ce niveau, exposant une semaine de vie en immersion dans une classe de ce type.

    Je présente d'ores et déjà mes excuses à ceux qui trouveront que je me mets trop en avant, que je ne défends que mes idées et que je ne fais référence qu'aux outils que des amis ou moi-même avons conçus, édités et utilisés dans nos classes.
    J'espère qu'ils me liront quand même et qu'au-delà de leurs réticences et sans forcément en partager les idées, ils trouveront des informations, des étonnements et même, pourquoi pas, quelques interrogations visant à ébrécher le mur de nos certitudes personnelles et antagonistes.

    Comme c'est très long, je procède par étape et vous donne déjà à lire l'emploi du temps de la semaine et le compte-rendu d'un lundi matin, jour de rentrée après les vacances d'hiver.

    Les élèves ont derrière eux une demi-année de classe avec leur enseignante (excusez-moi messieurs, j'ai choisi une dame, mais vous pouvez tout mettre au masculin si vous le souhaitez), ils ont des habitudes, des codes, une organisation déjà bien ancrée que je n'ai pas intégrée au récit pour ne pas l'alourdir encore.

    Ceux que cela intéresse, et seulement ceux-là, pourront la trouver largement exposée dans Pour une maternelle du XXIe siècle. Cet ouvrage est en effet payant parce que prendre le risque d'éditer, puis imprimer et diffuser, cela a un coût ; je reverse ma part, les droits d'auteur, pour moitié à des associations caritatives tournées vers l'aide à l'enfance et pour moitié à mes petits-enfants afin de leur constituer un petit pécule pour l'avenir.

    Mais taisons-nous, entrons sur la pointe des pieds, cachons-nous dans un petit coin, écoutons et regardons... Nous discuterons après.

     

    La suite de la semaine :

    Lundi après-midi 

    Mardi

    Mercredi 

    Jeudi

    Vendredi


    11 commentaires
  • J'ai mal à ma maternelle !

    Brevets, carnets de réussite, évaluations, validations, contrôle, ceintures, échelles de progrès et même pommes plus ou moins grignotées me poursuivent de blogs en forums et de forums en réseaux sociaux.
    Cela ne serait rien si ces procédures de contrôles visaient de futurs bacheliers, des lycéens, des collégiens ou même des élèves d'élémentaire à condition que les plus petits, ceux du CP, ne soient pas ainsi examinés sur toutes les coutures comme de dangereux je-m'en-foutistes prêts à tout pour couper au dur effort scolaire dont il conviendrait de noter le plus petit progrès comme le moindre faux-pas !

    Mais non, eux, on leur fiche la paix ! Il est même question de ne plus les noter, de ne pas tenir compte de leur niveau pour leur passage dans la classe supérieure, de valider de manière quasi automatique un fond de socle du moment où ils tendent vers une maîtrise approximative des compétences qu'il recense comme indispensables à la survie en milieu économique estampillé OCDE-compatible !

    Non, ceux qu'on évalue sur toutes les coutures et qui passent leurs journées de classe à s'entraîner à cet effet, à poser des marrons dans des cases, attraper des boules de coton à la pince à sucre, ranger des petites voitures en ligne ou découper des franges le long de bandes de papier, ce sont nos tout-petits, nos bébés, ceux qui devraient vivre à l'écart de toute sur-stimulation, de toute comparaison avec leurs congénères, de tout rangement dans des cases, même provisoires.
    Dans leurs classes, on a tout étiqueté et, même si les plus chanceux choisissent librement la boîte ou le plateau dont ils vont avoir la possibilité d'explorer le contenu, on note vite vite tout cela et on les prend en photo pour témoigner de leur réussite, fortuite ou pas ! On va même jusqu'à leur demander dans quel but, pour valider quel apprentissage, quelle compétence, ils ont choisi cette activité. Parce que, du haut de leurs deux, trois, quatre, cinq années de vie sur terre, il est urgent pour chacun d'eux de :

    J'ai mal à ma maternelle !

    Comme ils sont heureux, leurs grands cousins de lycée que j'ai entendus l'autre soir quand ils énonçaient des horreurs devant 3,5 millions de téléspectateurs ! Eux, apparemment, dans leurs lycées, on ne leur demande pas de construire en commun des codages qui leur prouveraient que leurs professeurs ont encore beaucoup de choses à leur apprendre jusqu'à ce qu'ils réussissent à passer outre des représentations mentales d'un autre âge, sévèrement réprimées par la Loi qui plus est !

    Chez les moins de sept ans, c'est du sérieux... C'est bienveillant, nous dit-on, mais c'est du sérieux ! Depuis que j'en parle autour de moi, je m'enfonce de plus en plus dans la morosité...

    • Dans certaines écoles, la hiérarchie demande aux professeurs des écoles de supprimer la sieste qui nuirait à une bonne gestion des apprentissages ! Ils suppriment deux heures de classe par semaine et d'un autre côté, ils empêchent des bébés de dormir ! Nous sommes donc chez les fous ?
    • Ailleurs, la question porte sur le bac à sable : quels apprentissages vise-t-on en laissant les élèves y jouer, quels domaines privilégie-t-on, quelles compétences compte-t-on développer, selon quel protocole et avec quelle évaluation terminale va-t-on valider les réussites ?
    • Lors d'une animation pédagogique, on fournit des documents montrant comment rationaliser les acquis des élèves, en introduisant des « leçons » très mal déguisées en jeux, tels que n'en inventerait jamais un enfant, lors de leur fréquentation dite « libre » des coins dînette, déguisements, garage, chambre des poupées, etc.  !
    • Sur le net fleurissent les vidéos où les élèves, individuellement, répètent,  aussi longtemps qu'ils s'y intéressent, des exercices présentés dans des boîtes ou sur des plateaux, souvent d'inspiration Montessori, isolant un geste, une qualité, un concept.  C'est mignon comme tout, les enfants sont calmes, ils pressent inlassablement leur petite éponge dans leur petit bol, étendent sur un faux séchoir à linge de faux vêtements de feutrine, s'activent en silence sur des exercices de type plus « scolaire » de toutes sortes.
      Si cela nous change agréablement du « bouffe-fiches » sans âme ou des sempiternels ateliers tournants, la pression administrative associe à cette conquête très « montessorienne » de l'autonomie et de la conquête d'une liberté sensorielle bien comprise, une auto-mise en cases des petits enfants par le biais de ceintures de compétences, bien contraire à l'esprit de la grande dame, née pourtant au XIXe siècle !
       
    • Des collègues, bien décidées à faire autrement, n'arrivent pas à se rassurer. Puisqu'ils n'évaluent pas à longueur de journée, qu'ils n'ont pas conçu de brevets et que les épingles à linge, c'est dans le coin « chambre des poupées » que les enfants les utilisent pour suspendre de vrais vêtements miniatures sur un vrai séchoir, on va croire qu'ils font de la garderie ! Ils peinent à trouver seuls les réponses à des questions aussi simples que :
      - Comment fait-on pour savoir où ils en sont et qui fait quoi ?
      - Comment fait-on pour qu'un élève ne fasse pas dix fois le même atelier?
      - Comment fait-on des progressions ? Comment se débrouille-t-on pour que les élèves les suivent ?
      - Et l'instit, il s'assoit à son bureau et ne fait rien?

    Alors, je sais que je me répète, mais moi, j'ai mal à ma maternelle. Quand on pense que nous nous enfonçons de plus en plus, à chaque réforme, dans la méconnaissance totale de la psychologie de base de l'enfant de moins de sept ans, c'est à pleurer !
    Pourtant, il suffit de les regarder, de les écouter pour se rendre compte très vite qu'à cet âge-là, à peine sortis du ventre de leurs mères :

    • Ils ont des besoins physiologiques qui priment sur tout le reste. Lorsque c'est l'heure de dormir, ils doivent dormir parce que c'est pendant ce temps-là que le corps et le cerveau se régénèrent, qu'ils grandissent sous l'effet de l'hormone de croissance sécrétée uniquement pendant le sommeil, en position allongée. Priver un être humain de sommeil, ça a été utilisé dans toutes les dictatures mais, depuis, c'est interdit par la convention internationale des droits de l'homme, que je sache.
    • Ils ont tout à apprendre, partout, tout le temps. Parce qu'en moins de cinq ans, sauf milieu horriblement carencé et gravement violent ou pathologie lourde, tout nouveau-né passe de l'état de ravissant petit être incapable de mouvements volontaires et d'échanges, totalement à la merci des autres, à celui de superbe, grand et bel enfant, à l'aise physiquement et verbalement, capable d'interactions avec son environnement tel qu'il est. C'est de la richesse de cet environnement et de la pertinence de son action que naîtront les multiples stimulations qui permettront que cette transformation soit la plus complète possible.
      Aujourd'hui, dans le bac à sable, Jules est peut-être en train d'apprendre que lorsqu'on détruit quatre pâtés de sable sur les cinq qu'on avait construits, il n'en reste plus qu'un, alors qu'Emma découvre qu'en parlant gentiment à sa camarade Louanne, cette dernière est bien mieux disposée à prêter le râteau dont elle se sert ; Louanne apprend sans doute alors que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute et, si elle a la chance d'avoir des professeurs des écoles attentifs, elle réalise qu'en cas de spoliation caractérisée, il existe un recours juste et bienveillant en la personne de l'adulte, garant de la loi.
      Et parce que je sais que, contrairement à ce que nous montrent les vidéos, dans les classes, il y a plus souvent 30 élèves que 3, je peux répertorier une soixantaine d'apprentissages variés, appartenant à tous les domaines, que les élèves de cette classe fictive découvrent, consolident, parfont en ce moment, dans ce bac à sable. Les cinq sens en alerte, comme toujours chez les petits enfants, ils écoutent, manipulent, observent, sentent, goûtent hélas parfois ; dans le brouhaha ambiant de la cour de récréation ou du coin-sable de la classe, ils échangent, en mimiques et en paroles, partagent leurs connaissances lexicales, pas toujours académiques hélas ; enfin, grâce à la vie en collectivité, ils enrichissent leurs apprentissages sociaux, sous la houlette de leur enseignant, j'espère... Mais nous y reviendrons.
    • Ils ne sont pas de même nature que l'adulte ; et plus ils sont jeunes, plus le jeu à règles reste pour eux une conquête lointaine sans intérêt immédiat. Célestin Freinet, Maria Montessori, Pauline Kergomard, ces grands noms-là, mais sans doute bien d'autres, ne connaissaient pas les jeux de la téléréalité, ni ceux qu'on achète sous blister dans les magasins de jouets. En revanche, ils savaient que le petit enfant est « comme un locataire qui découvre son appartement et s'emploie à le meubler, l'agencer, l'organiser chaque jour un peu plus et un peu mieux ». L'enfant tâtonne et s'installe peu à peu dans son habit d'être humain.
      Les premiers jeux d'un enfant sont ceux qu'il découvre lui-même et qu'il répète inlassablement. Ils n'ont de règles que celles que l'enfant se crée ou que l'objet commande de lui-même.
      Chez Montessori, ce jeu est dans une petite boîte et on le place devant soi, sur une table ou un tapis individuels, on s'entraîne à maîtriser l'objet, le geste, le concept selon des règles très précises, théoriquement.
      Chez Freinet, c'est un objet, un outil, placé dans la classe ou dans la cour, dont l'enfant se sert librement parce qu'il lui plaît ou qu'il l'a vu dans les mains d'enfants plus grands ou d'adultes et dont il découvre petit à petit les trésors jusqu'à en faire son outil et l'utiliser à des fins précises, en interaction avec ses camarades, lors de projets de plus en plus construits.
      Chez Kergomard, c'est un moyen terme entre les deux : moins cloisonné que chez Montessori et moins "sans filet" que chez Freinet.
    • Ils raisonnent sur un mode binaire.
      C'est sans doute pourquoi ces petits exercices, bien rangés dans leurs boîtes colorées ou sur leurs jolis plateaux, leur plaisent et les rassurent. Il est sûr que ces enfants-là, « calmes et sereins, faisant preuve d'un grand contrôle d'eux-mêmes, engagés dans leurs propres apprentissages1 » se sentent plus « acteurs de leur vie » que leurs voisins des autres classes, en train de chercher désespérément comment trouver de l'intérêt aux rituels du calendrier et des présents/absents, aux exploitations d'albums ou aux ateliers obligatoires de phonologie, métacognition, philosophie, reconstitution de titres d'albums, de prénoms, de tours en légo, de colombins de pâte à modeler, de copie de lignes de lettres majuscules et de chiffres.
      Mais c'est aussi pour cela que pour eux, si "maîtresse, elle a validé celle-là" parce que c'était très bien, c'est que "maîtresse, elle a pas validé celle-ci" parce que c'était très mal. Le cahier de réussite souligne aussi les ratages, toutes ces pages qui ne sont pas encore finies. La pédagogie qui donne un statut à la réussite institutionnalise forcément  l'échec dans l'esprit d'un bambin qui raisonne en blanc et noir.
    • Ils sont programmés pour essayer, essayer et essayer encore dans le but de réussir. Qui n'a pas vu un bébé de quatre mois, allongé dans son berceau, se concentrer à grands gestes maladroits pour toucher l'objet qui pend au-dessus de lui, qui ne s'est pas passionné sur ses stratégies, son froncement de sourcils, ses mimiques sérieuses, ses petits cris déjà vaguement articulés, peut croire qu'un enfant a besoin de carottes, si ce n'est de bâton, pour avancer.
      Sans doute, ces étoiles, ces ceintures, ces colliers, ces pommes à moitié rongées sont-elles nécessaires pour appâter ces enfants démotivés qui s'ennuient à cent sous de l'heure à chercher des mots, et encore des mots, et toujours des mots, qu'ils finissent par PIN, qu'ils commencent par SA, qu'ils aient trois syllabes ou qu'ils aient les mêmes lettres que STÉGOSAURE ou que PTÉRODACTYLE. Sans doute est-il nécessaire de répéter à ceux-ci qu'ils doivent essayer et se tromper pour enfin réussir.
      Mais pas les autres, pas ceux qui vivent dans une classe que j'appelle « normale », ceux-là savent bien qu'un jour viendra, couleur d'orange où ils sauront enfin ; et ils s'emploient à grandir, à cultiver leur autonomie, sous les encouragements de leurs enseignants parce qu'ils veulent savoir.

    Ces collègues qui se posent des questions, qui essaient, qui aimeraient bien, qui leur répond ? Personne au sein de l'Institution. Bien au contraire.
    Céline Alvarez, une pionnière parmi d'autres, qui cherche comme eux à révolutionner explique, dans le Télérama de cette semaine, comment l'expérience qu'elle a pu conduire à Gennevilliers, de 2011 à 2014, s'est arrêtée, comment elle peine, même en ayant pignon sur formation continue, à se faire comprendre des inspecteurs généraux les mieux en cour qui gardent la coquille en oubliant la chair. 
    Dans le Nouvel Éducateur de ce mois-ci, l'éditorialiste, Martine Boncourt, se plaint elle aussi que, malgré les mauvais résultats de l'École, tous ceux qui proposent une révolution pédagogique se heurtent au silence radio ou, au mieux, à une assimilation mal comprise d'éléments plus ou moins pertinents plaqués sur d'autres venus d'ailleurs.
    Lorsque des collègues ou moi-même proposons à nos IEN respectifs de faire profiter nos collègues de nos savoirs, on nous dit poliment oui, oui, puis on nous oublie, sans même chercher à lire ce que nous écrivons. Nos livres restent confidentiels et seul le bouche à oreille leur tient lieu de canal de diffusion.

    Pendant ce temps, nos collègues continuent à ne pas oser se lancer, faute de réponses à leurs questions alors que les réponses existent et qu'il suffirait de les laisser faire leurs preuves, sans cahiers de réussites qui figent un présent qui n'existe déjà plus au moment où on referme leurs pages, sans prêt-à-porter made in Pedagogia, fabriqué en chaire et jamais validé par des études sérieuses et dénuées de parti-pris, dont les patrons ne correspondent aux mensurations d'aucun « élève de maternelle » réel !

    Et la Maternelle en crève... à feu de plus en plus vif. Tant et si bien que, si je n'avais pas bien écouté mon ex-ministre hier, je parlerais bêtement de volonté délibérée, de complot, même, pourquoi pas... Ce qui serait stupide, j'en conviens.
    Je préfère parler d'ignorance, d'oubli, de repli sur soi, ce qui permet, malgré la douleur, d'espérer une rémission et même pourquoi pas une guérison rapide. Et je leur offre une pomme toute grignotée pour qu'ils se rendent compte comme c'est désagréable de voir son ego rongé jusqu'au trognon, tiens...

    J'ai mal à ma maternelle !

    En bonus, pour ceux qui, en fouinant tout seuls sur la Toile, auraient découvert ce blog tellement subversif qu'on ne peut pas le conseiller, quelques réponses aux questions posées ci-dessus.

    - Comment fait-on pour savoir où ils en sont et qui fait quoi ? 
    On connaît les contenus des programmes sur le bout des doigts ; on est présent au milieu de ses élèves, tous les sens en alerte, vigilant à tout ce qui se dit, se fait, émerge plus ou moins intuitivement. Et on se fait confiance : on saura très vite remarquer les progrès, les stagnations, les régressions, les moments de latence entre deux paliers.

     - Comment fait-on pour qu'un élève ne fasse pas dix fois le même atelier?
    Dans un premier temps, on ne fait rien. Certains enfants ont besoin d'être très sûrs d'eux pour oser se lancer. Si cela dure de manière vraiment pathologique, on tente de proposer autre chose pour voir. La plupart du temps cela suffira.
    Si cela ne suffit pas, on attend encore un peu... Puis on recommence... Lorsque le refus devient inquiétant, un soir, discrètement, alors que les élèves sont partis (ou un matin, avant qu'ils arrivent), on enlève l'atelier en question. Il disparaît... dans une réserve, un grenier ou le coffre de notre voiture. Et on voit...

    - Comment fait-on des progressions ? Comment se débrouille-t-on pour que les élèves les suivent ?
    On prend le BOEN, on le débarrasse de toute la parlotte (attention, il y en a énormément), on garde uniquement les contenus. On recopie ça bien joli, bien propre pour l'IEN. En regard, on écrit tous les moments de la journée où on travaille ces savoirs, ces compétences, ces  capacités2 (en gros, c'est tout le temps pour le langage, presque tout le temps pour le sensoriel, et la plupart du temps pour ce qui est moteur).
    Les élèves les suivent nécessairement parce qu'un enfant est programmé pour progresser.
    Les seuls cas délicats sont les très rares enfants qui souffrent d'un trouble suffisamment grave pour être déjà handicapant à deux, trois, quatre, cinq ou six ans. Ceux-là avanceront aussi mais moins vite. Dans votre nouvelle organisation, ils auront la chance de n'être ni stigmatisés, ni confrontés sans arrêt à l'échec (et à la comparaison aux autres si celle-ci leur est intellectuellement accessible et que vous avez poussé l'innocence assez loin pour afficher des tableaux de réussite sur les murs de la classe pour que tout le monde puisse remarquer comme ils sont à la traîne, loin derrière les autres).


     
    - Et l'instit, il s'assoit à son bureau et ne fait rien?
    Surtout pas ! Il n'en a pas le temps ! Il est au contraire hyper vigilant à tout ce qui bouillonne dans sa marmite.
    Il joue son rôle de régulateur de l'ambiance, protège le faible et le soutient, retient les jeunes bulldozers mâles et femelles qui renversent tout sur leur passage, surveille les pestouillous qui ont la critique plus aisée que l'action, aide la pâte à lever quand il voit que les bulles commencent à pétiller au-dessus de la tête des Géo Trouvetou, rassemble les morceaux des gamins en vrac que j'appelle des pantins sans ficelle, etc.
    Il note mentalement que tout le monde semble passionné par les fleurs et qu'il serait judicieux d'apporter un petit bouquet et une ou deux fleurs en pot rapidement, plus une reproduction de tableau, et deux ou trois petites chansons.
    Il remarque que la boîte où on doit mettre des perles dans les cases d'un bac à glaçons n'intéresse plus personne mais qu'en revanche, il y en a trois là-bas qui comptent et recomptent les légos de leur construction... Il prend donc la décision de ranger les perles du bac à glaçons et de les remplacer par des perles à compter, enfilées sur des tiges métalliques...
    Il voit que la petite Macha qui d'habitude ne dit pas un mot regarde sa poupée droit dans les yeux et lui dit : "Non, non ! Tais-toi !" et se demande s'il ne faudrait pas la solliciter plus souvent, en relation duelle, pendant qu'elle joue dans les coins-jeux et que personne ne l'observe...
    Il est très, très occupé à faire son métier, celui pour lequel il devrait être payé : faire lever et prospérer, autour de tous les enfants, un terreau fertile dans lequel ils puiseront les ressources dont ils ont besoin pour grandir, progresser et s'épanouir.
     

     

    Notes :

    1 Céline Alvarez citée dans Télérama n° 3448 du 13 au 19 février 2016
    2 Il y a un exemple de ce type de fiches, mais aussi beaucoup d'autres choses, dans Pour une maternelle du XXIe siècle, pages 51 à 53,.


    110 commentaires
  • Écrire et Lire au CP : Cahier de rédaction
    Illustration de Sophie Borgnet

    Il y a bien longtemps, je vous avais promis un cahier de rédaction qui accompagnerait Écrire et Lire au CP. Comme les illustrations de Sophie Borgnet n'attendaient que d'être mises en page, le travail n'a pas été bien difficile.
    Le voici enfin.
    Pour obtenir un cahier 15 x 21 que l'on pourra agrafer, il suffit d'imprimer le document en version Livret et de se laisser guider par les indications données à l'écran. Tous mes remerciements aux personnes qui ont bien voulu m'expliquer ce prodige que je ne manquerai pas de réutiliser !
    Nous serons ravies, si toutefois vous trouviez que le travail n'est pas assez étoffé, que vous nous soumettiez quelque idée pour ajouter des situations en rapport avec les textes des livrets. N'hésitez pas à nous envoyer vos messages via l'icône Contact.

    Télécharger « Rédaction CP-livret.pdf »

     Quelques petits liens pour faire connaissance avec la méthode :

    Livret 1, 1ère partie

    Livret 1, 2e partie

    Livret 1, 3e partie

    Livret 2, 1ère partie


    11 commentaires



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires