• Recette

    Recette

    Prenez un toit de vieilles tuiles
    Un peu avant midi.

    Placez tout à côté
    Un tilleul déjà grand
    Remué par le vent.

    Mettez au-dessus d'eux
    Un ciel bleu, lavé
    Par des nuages blancs.

    Laissez-les faire.
    Regardez-les.

    Guillevic

    Euh... Excusez-moi, erreur, je recommence.

    Pour fabriquer des élèves lecteurs

    1) Considérez avant toute chose que vous êtes là pour eux et que ce n'est pas à vous qu'il s'agit de procurer de la nouveauté et du plaisir.

    2) Rappelez-vous que vous n'avez pas à décider de ce qu'ils feront ou ne feront pas ce soir, à la maison, ni dans un à huit ans, au collège, ni encore dans une vingtaine d'années, quand ils seront adultes.

    3) Donnez-vous comme mission de mettre une clé dans chacune des serrures qu'ils auront la possibilité d'ouvrir, plus tard, quand l'âge du choix sera venu.

    En français, cela consiste à leur apprendre à lire, avec suffisamment de fluidité et de compréhension pour que, plus tard, ils puissent "tout" lire, même si ce sont des passionnés de mathématiques pures ou de physique quantique, de chimie organique ou de musique sérielle, de mécanique auto ou d'engins de chantier, d'histoire de la philosophie ou de littérature guatémaltèque du XIV° siècle, de séries B de Bollywood ou de romans Harlequin produits entre le 16/04/1973 et le 22/07/1981...

    Cela consiste à les faire lire tous les jours quelque chose de différent :
    - pour éviter qu'ils ne se mettent à réciter la page maintes fois ressassée,
    - pour les ouvrir à des centaines de thèmes, auteurs, styles, sensibilités, à des milliers de phrases, expressions, mots, figures,
    - pour donner à chacun, au cours de chaque mois de classe l'occasion de découvrir une nouvelle passion, d'avoir un contact avec sa passion actuelle, d'apprendre à apprivoiser ce qui l'effraie et à connaître ce dont il ne soupçonnait même pas l'existence.

    Cela consiste à offrir à tous, dès le plus jeune âge, l'occasion de s'accrocher à la branche, même sans papa et maman derrière pour leur faire fréquenter la médiathèque municipale, leur lire la petite histoire du soir, remplir leur bibliothèque personnelle de tous les bouquins conseillés par la dernière officine à la mode.

    C'est donc dès les plus petites classes qu'il faut offrir toutes ces occasions d'apprendre à mieux parler, vouloir comprendre à tout prix, puis mieux lire et mieux écrire.

    Facile quand on est "en début de chaîne", me direz-vous, et qu'on arrive à captiver tous les jeunes regards vers le bel album coloré, l'histoire adorable, les formulettes faites pour attirer l'oreille enfantine !
    Facile encore lorsqu'à l'aube de la Grande Section ou du CP, on choisit la méthode qui amène lentement, patiemment, mais sans trop d'anicroches, tous les élèves de la classe vers un déchiffrage intelligent ou, si vous préférez, vers une lecture compréhensive autonome, sans le truchement d'une assistance à la lecture !

    Mais beaucoup moins facile quand, à l'aube du CE1, ou pire du CE2 ou du CM, on n'a dans sa classe que les "fils et filles de..." qui savent lire et y prennent plaisir, pendant que les autres rament lamentablement pour déchiffrer une phrase un peu longue et la comprendre ! Et quand en plus de cette lenteur et de cette incompréhension, ils affirment haut et fort qu'ils n'aiment pas lire et qu'ils ne lisent surtout pas en dehors de l'école !

    Évidemment qu'ils ne lisent pas... S'ils en sont restés au niveau qu'ils avaient à la fin du CP, ils ne peuvent pas avoir envie de lire. Nous même, nous ne grimperions pas  l'Alpe d'Huez ou le Ventoux avec un vélo à roulettes ou un tricycle !
    Une remédiation s'impose et même un remède de cheval ! Ces petits ont déjà deux années de retard sur ceux dont les parents complémentent régulièrement le régime de famine imposé par l'école à leurs enfants par des lectures riches et propres à susciter chez eux l'envie d'en réclamer toujours plus !

    Le régime enrichi 

    - Une lecture offerte par jour, choisie parmi des œuvres qui ont toujours fonctionné auprès des enfants, en fonction de l'âge moyen de la classe, bien sûr... Avec les horaires de famine imposés depuis 2008, le plus simple pour ne pas oublier, c'est de commencer la classe par ce moment de lecture. Cinq à dix minutes suffisent, le temps de résumer ce qui a été lu la veille et d'enchaîner par quelques nouvelles pages.

    - Une lecture à haute voix par jour, pendant laquelle chacun des élèves de la classe lira au moins un paragraphe ; la lecture sera interrompue aussi souvent que nécessaire pour des questions de vocabulaire et de compréhension ; au début, l'extrait sera court, écrit gros, le vocabulaire et les tournures de phrases simples, puis, au fur et à mesure des textes, on allongera le texte, diminuera la police, complexifiera le vocabulaire, les tournures de phrases et l'intrigue.
    Pour ceux qui ont peur de ne pas être capables de juger eux-mêmes de la valeur d'un texte, le tome 2 de Borel Maisonny, utilisé par des orthophonistes en cabinet tant pour des enfants de sept ans que pour des ados de douze ou treize ans, pourra servir de modèle).
    Ensuite, c'est très simple des amis compilent des dizaines et des dizaines de textes de valeur dans lesquels il leur suffira d'aller piocher jusqu'à ce qu'ils se sentent suffisamment forts pour trouver tout seuls si un texte est enrichissant ou sans intérêt scolaire pour leurs élèves...

    - Ce texte sera donné à relire à la maison ou à l'étude mais cette relecture ne sera pas contrôlée... en lecture, le par cœur n'est jamais souhaitable...

    - Dans un premier temps, tant que les élèves liront mal parce qu'ils n'en sont en fait qu'au stade du déchiffrage, il pourra être judicieux que le maître relise le paragraphe lu par un des élèves afin de donner un modèle, encourager à progresser, permettre aux enfants de suivre l'intrigue de l'histoire...

    - Dans un deuxième temps, lorsque tous les élèves seront habitués à ces lectures quotidiennes et commenceront à y prendre un goût certain, on pourra donner le texte à préparer la veille au soir à la maison, non pour obtenir le par cœur qui masque les "faibles lecteurs" et les habitue à faire plus confiance à leur mémoire auditive qu'à leurs capacités de décodage, mais simplement pour qu'ils puissent jouer le texte dont ils connaissent déjà l'intrigue et les difficultés...

    - On ne le fera que si l'on sait que la très grande majorité des élèves trouvent en dehors de l'école une "personne ressource" (parents, grands parents, éducateurs, PE) avec laquelle ils pourront préparer cette lecture. Si c'est pour donner à nouveau à Louis-Thaddée et à Sixtine-Marie l'occasion de briller devant les petits copains, on ne le fera pas...

    - Il faudra alors trouver un autre subterfuge... il en existe un, tout simple, qui consiste à faire relire le texte plusieurs fois...
    Le lundi, c'est Abel qui commence à lire le premier paragraphe, Bérénice prend sa suite, puis Charles, puis Doriane... Lorsqu'on arrive à Karim, le texte est fini. Léo reprend donc le paragraphe d'Abel, Maia, celui de Bérénice, etc. jusqu'à Zéphyrin qui clôt la lecture du lundi...
    Le mardi, ce sera Bérénice qui lira le premier paragraphe, puis Charles, puis Doriane... Grosso modo, on aura Maia qui reprendra le premier paragraphe, Nestor le deuxième et ainsi de suite jusqu'à Zéphyrin puis Abel qui, de premier lecteur ayant le droit d'ânonner un peu, sera passé au "grade" de relecteur prié de faire un peu de théâtre puisqu'il sait déjà de quoi l'on parle...

    - Avant-dernier conseil, faire lire, lire et encore lire, toujours du nouveau, en première, deuxième ou troisième lecture maximum, aussi bien pendant l'heure de lecture qu'en grammaire, conjugaison, vocabulaire, histoire, géographie, sciences et mathématiques et faire lire de tout : des consignes, des phrases à transformer, des listes de mots à réintégrer dans des phrases, des définitions de dictionnaire, des documentaires, des problèmes, des explications...

    - Et le dernier : ouvrez toutes grandes les portes de votre bibliothèque de classe, autant pour y faire entrer des livres neufs ou plus anciens que pour les en faire sortir, pendant les temps libres du temps de classe, le soir après l'école, le week-end et pendant les vacances scolaires.
    Conseillez des ouvrages, encouragez les enfants à se raconter mutuellement leurs histoires. Lisez-leur les deux premières pages des livres que vous sélectionnez. Racontez-leur comment, lorsque vous étiez enfants, vous avez aimé telle histoire, tel conte, comment tels autres vous faisaient rire aux larmes et comment celui-ci vous faisait pleurer...

    Je ne dis pas que vous aurez tout fait, mais au moins, vous pourrez vous dire qu'après tout, ce n'est déjà pas si mal, et qu'à part l'adoption, vous ne voyez pas très bien ce que vous pourriez faire de plus.

    Nota Bene : Ce texte, paru sur EDP en mars 2012 sous une identité d'emprunt, puisque mes propos ô combien subversifs m'avaient fait bannir de ce haut lieu des échanges pédagogiques entre professeurs des écoles, est toujours d'actualité. Après une lecture attentive de la proposition de programme de français pour 2016 et après, j'ai la tristesse de vous annoncer qu'il le sera encore longtemps et qu'il conviendra de complémenter encore plus le régime de famine de tous ceux qui n'ont pas la chance de se prénommer Louis-Thaddée ou Sixtine-Marie...
    Afin que vous compreniez mes craintes, la critique de ces programmes de français suivra... bientôt.

     


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  • La dictée nouvelle est arrivée

    Ah bon, c'est une dictée, ça ? Moi, je pensais que c'était une "consigne orale". Comme "Mouche ton nez et dis bonjour à la dame", "Mange ta soupe et va au lit", "Prenez une copie double et écrivez votre nom et votre classe en haut à gauche", "Posez sur la table votre convocation et votre carte d'identité" ou même la réplique-culte des vacances au bord de la mer : "Prends ta bouée et tire-toi, je bronze !"

    Si c'est ça la dictée nouvelle, c'est formidable. Tous les élèves vont devenir des bêtes à concours ! Pourvu que les rédacteurs des épreuves de PISA soient au courant et c'est bon, n'importe quel parent un tout petit peu directif pourra transformer son enfant en rival des Singapouriens, des Coréens du Sud, des Hong-Kongais et autres Japoniers
    Il n'y aura même plus besoin de l'école... Plus d'échec scolaire... Plus de redoublement... Plus d'orientation discriminante... Et on sera les meilleurs...

    Non, sans rire, à quoi rime cette navigation à vue, ces coups de godille intempestifs ? Pourquoi nous parle-t-on de dictées, calculs mentaux (sic) et autres lectures à voix haute un jour et nous suggère-t-on le lendemain de jouer à Jacques a dit ?
    La peur de ne pas ratisser assez large ? On change tout mais on ne change rien, c'est ça ? L'exigence de tous les instants pratiquée sur l'oral qui va déteindre sur l'orthographe de nos chers bambins ? L'EMC au service de l'ORL ? L'ORL au service de l'EMC[1] ? Et au collège, un EPI  "dictées de gestes, salades de grammaire, circonférence du O du mot "orthographe" et construction d'un Gaffiot interactif animé" ?

    Tout ce que ces bonnes gens arrivent à faire, c'est à se mettre tout le monde à dos et les professeurs des écoles en premier. Pour qui les prend-on ? Croit-on vraiment que c'est d'ordres et de contre-ordres dont ils ont besoin ?

    Enfin... Assez plaisanté... Passons aux choses sérieuses...

    Que pourrait être la dictée sans la poussière de craie, sans la blouse grise et le papier buvard ?

    Une vraie dictée formative, basée sur un travail collectif coopératif, visant à rendre vivants, nécessaires et utilisables les exercices d'entraînement à la grammaire, à l'orthographe et au vocabulaire pratiqués à d'autres moments. Une dictée qui servirait de relais facilitateur entre les acquis ponctuels des découvertes quotidiennes et l'écriture autonome d'écrits longs, la "rédaction", qui reste le but à atteindre mais qui ajoute aux difficultés orthographiques la charge de créer de toutes pièces mots, phrases et paragraphes s'emboîtant correctement les uns derrières les autres.

    La dictée se pratique communément partout, dans toutes les classes ou presque. Et elle prend de nombreuses formes. Car il y a peu de courageux pour se lancer dans la production de textes libres quasi quotidiens qui jouerait le même rôle en donnant matière à une étude approfondie et transversale du français écrit et de ses règles.
    Le rêve qui consiste à faire de chaque professeur des écoles un Célestin Freinet s'accommode mal d'une formation au rabais et d'un nombre d'heures de classe qui se réduit comme peau de chagrin à chaque nouvelle intronisation de ministre.
    La culture phénoménale d'un Freinet et de ses camarades de promotion, sa capacité à faire feu de tout bois ajoutée aux trente heures de classe de l'époque où il exerçait faisait qu'en effet, l'imprégnation, l'accumulation, la répétition fréquente jouaient leur rôle et permettaient que la majorité de leurs élèves acquissent une orthographe sûre et solide.
    Et puis, la liberté était vraiment libre et il ne s'agissait pas d'écrire "à la manière de " ou de mener des projets d'écriture multiples et variés qui rajoutent à l'acquisition de la syntaxe, de l'orthographe et du vocabulaire tout un fatras de difficultés qui amusent les adultes mais n'enchantent pas toujours les enfants.
    Dans les conditions et avec les contraintes actuelles, pas sûr qu'il aurait autant de succès et que ses élèves atteindraient le niveau que l'on découvre avec stupéfaction lorsqu'on lit un numéro de ses Bibliothèques de Travail ou de ses Enfantines !

    La dictée, c'est pas du tout c'qu'on croit !

    La dictée se pratique déjà partout ou presque, madame la ministre. Et on ne peut la confondre avec des consignes orales, données elles aussi partout du matin lorsque les enfants arrivent à l'école au soir lorsqu'ils la quittent, monsieur le président du CSP.
    Le temps manque, les modes changent, mais la dictée reste parce que, contrairement à ce que croient les ignorants, elle peut très bien être un excellent exercice d'apprentissage si on oublie qu'elle a pu être parfois un moyen de se débarrasser des mauvais élèves.

    Chez les Petits

    Il y a encore hélas des classes de CP où, dès la rentrée, on apprend à aligner des lettres sans comprendre ce qu'on fait pour pouvoir écrire sous la dictée le lendemain matin "un, deux, trois, quatre, cinq [2] " et ce, dès le début de l'année, car l'écriture des premiers nombres n'attend pas... Là, en effet, on sélectionne, par le vide, ceux qui n'ont pas une excellente mémoire visuelle ou kinesthésique ainsi que ceux dont les parents, faute de temps ou de capacités, n'ont pas la bosse de l'enseignement !

    Mais dans d'autres classes, heureusement, et de plus en plus, il me semble, c'est Lola, Lily, Tom, Malo, Papy, Ali, Sacha que l'on fait lire, aller à l'école, à la mare, dormir, parler de manière à créer avec les élèves de petits textes vivants qui leur donnent l'impression de maîtriser déjà un peu la rédaction autonome de phrases.

    C'est un niveau où, comme au CE1, cela suffirait presque. À condition que cela reste quotidien, évolutif, de plus en plus complet, recherché, complexe.
    On passe du "Lola a lu" des premiers jours de classe[3] du CP au court paragraphe de fin de CE1 qui pourrait donner par exemple :

    Le lion revient sur ses pas et prend le chemin de la forêt. Mais il aperçoit encore, au milieu d’un champ, deux bœufs attelés à une charrue. Ils sont arrêtés et ils reprennent haleine.
    «Eh ! qui êtes-vous donc ?
    - Nous ? des bœufs.
    - Que faites-vous ?
    - Nous avons labouré et maintenant, nous nous reposons. »

    Les enfants écrivent, aidés de leurs maîtres et de leurs camarades. On avance à pas comptés ; les élèves sont sollicités, ils interviennent à voix haute, rappellent les règles d'accord, la difficulté orthographique d'un mot. De temps en temps, le maître dit : "Ça, maintenant, nous ne disons rien. Vous devez savoir..." mais, discrètement, il passe près du bureau d'Untel et pointe du doigt l'oubli en donnant à mi-voix le petit coup de pouce qui aidera au franchissement de l'obstacle encore un peu trop haut. 
    D'une lettre oubliée ou confondue en début de CP, on passe insensiblement à quelque chose d'un peu plus résistant, comme dans les vraies dictées de grands qui motivent et font briller les yeux des plus de huit ans du CE1[4] !
    Les mots difficiles sont redonnés souvent à apprendre, on en donne peu chaque jour pour éviter l'effet "embrouillaminis".

    Et si on a le temps, c'est-à-dire si les projets de circonscription, d'école, de cycle, etc., ceux destinés à donner à voir dans les média, en laissent un peu, on complète cet apprentissage de l'orthographe par des productions d'écrits autonomes.
    Certains préfèrent les appeler textes libres, d'autres rédactions, mais le principe est le même, à terme : écrire seul, une ou plusieurs phrases correctes grammaticalement et orthographiquement.

    Personnellement, je préfère croire qu'un départ tout droit conditionne plus facilement une course rapide qu'un butinage à la Chaperon Rouge sur le chemin le plus long... En conséquence de quoi, j'ai toujours eu l'impression qu'il valait mieux favoriser une attention constante et immédiate à l'orthographe. Écrire un premier jet truffé de fautes, sans ponctuation, qu'il faudra ensuite reprendre complètement, comment cela peut-il être un encouragement ?
    Les gros ego se prennent pour des caïds et renâclent lorsqu'on cherche à retoucher leur prose, les timides peu sûrs d'eux perdent encore un peu plus confiance en eux devant leurs insuffisances dûment constatées...
    Mais après tout, si toute la classe progresse et que les écrits autonomes sont de plus en plus conformes,... pourquoi pas ?

    Et chez les Grands

    Et puis arrivent le CE2 et les deux années de CM. L'actuel Cycle des Approfondissements. Depuis quelques années, la dictée quotidienne est souvent la règle. C'est le rituel, encore un, de la Phrase du Jour. La veille, on a appris des mots et révisé des règles. Le lendemain, en arrivant en classe, on écrit une phrase. Puis on la corrige. C'est déjà ça même si c'est cruellement insuffisant par rapport à ce qu'on leur demande dans leurs écrits autonomes.
    Et cela peut devenir totalement inutile si l'on a le temps de pratiquer le texte collectif et la dictée hebdomadaire longue. Surtout si les élèves sortent d'un CP on l'on écrit seuls, sous la dictée, depuis le premier jour de classe et d'un CE1 où ces écrits sont devenus des suites de trois ou quatre phrases dictées quotidiennement.

    Parfois, on y ajoute une dictée hebdomadaire, plus longue. Que l'on note, avec une note sur 10 ou sur 100, cachée dans un pourcentage. Souvent en ne différenciant pas les fautes d'accord des fautes d'usage. Parfois en ne comptant que les mots appris et les règles revues. Comme si, à neuf, dix, onze ans, on n'avait pas de passé de scripteur... Comme si après chaque dictée, les élèves écopaient d'un Game over et que leurs acquis antérieurs n'avaient plus d'importance.
    Souvent, on dit aussi aux élèves d'écrire "comme ils savent" et de revenir ensuite sur leur travail pour rajouter les accords, préciser l'orthographe, calligraphier les majuscules...

    Peut-être est-ce parce que mes formateurs m'ont dit que ce n'était pas ainsi qu'il fallait faire mais j'ai de la peine à croire que ces techniques aident les élèves.
    Eux qui sont des champions de l'immédiateté, on les encourage à continuer dans cette voie.
    Eux qui peinent à tirer leçon de leurs erreurs, on les conforte dans cette propension à ne pas se forger d'expérience.
    Eux qui n'aiment pas qu'on leur resserve l'assiette de soupe froide, après leur avoir fait croire que tout était permis, on les condamne à la ruminer longuement chaque semaine.

    Pour moi, une dictée, pour un élève qui sait maintenant écrire depuis longtemps et qui a donc eu le temps d'emmagasiner des connaissances, c'est un texte de 40 à 50 mots en début de CE2 à 150 en fin de CM2, qui n'a pas été vu au préalable. Les élèves l'écrivent dès le premier jet avec ses majuscules, ses points, ses accords, ses subtilités orthographiques.
    Ce qui dépasse leurs capacités est écrit au tableau et ils doivent le copier sans se tromper. La relecture finale permet juste de rattraper un oubli par ci, une bévue par là.
    On peut choisir de donner toutes les aides qu'on souhaite avant et pendant la dictée. Tout sauf le "par cœur imbécile" qui consiste à donner à apprendre "chrysanthèmes" avec un "s" ou "couvèrent" parce que la dictée comporte une phrase disant que "les poules couvèrent sous les chrysanthèmes". L'accès au dictionnaire, la consultation des tableaux de conjugaison, l'analyse grammaticale des mots de chaque proposition avant écriture, tout est possible pourvu que cela fasse appel à l'intelligence, à la réflexion et à la rigueur.

    En revanche, à la correction, que la dictée soit notée ou non, tout doit compter parce que sinon, aux yeux des enfants, nous ne sommes plus crédibles. Comment leur faire croire que nous accordons de l'importance à l'orthographe si, d'une semaine sur l'autre, les règles changent et ce qui était valorisé la veille ne l'est plus le jour suivant ?
    Mieux vaut faire une dictée plus courte et moins compliquée que de proposer un texte long et difficile dont les difficultés seront escamotées. Mieux vaut une dictée où l'on aide avant et pendant qu'une correction truquée qui ne tient pas compte de tout.

    C'est ainsi que la dictée jouera son rôle de courroie de transmission qui mène les élèves de l'analyse étymologique et grammaticale de chaque mot de chaque proposition à la rédaction autonome d'un texte construit. Elle leur apprendra à prêter attention à l'environnement de chaque terme, elle leur donnera des exemples de constructions, leur apprendra par l'usage à ponctuer correctement leur propos...

    Et si cette exigence d'écriture correcte est transférée à leurs écrits collectifs[5] et à leurs productions autonomes, ils tireront profit de ces dictées lorsqu'ils rédigeront ces textes hebdomadaires qu'il serait bon de voir mis en avant au même titre que la dictée dont ils devraient être l'indispensable complément, si seulement nous en avions le temps...

    Petit hommage

    J'aimerais profiter de ce texte pour rendre hommage à un instituteur suisse qui a vu son école rurale fermer l'an dernier. L'histoire de la dernière année de cette école a été racontée dans un film charmant que j'ai vu la semaine dernière
    On y voit une correction de dictée (à 1 h 28, à peu près) bien loin des images d'Épinal pleines de blouses grises, de notes à l'encre rouge et de buvards mouillés de larmes. Et même si la petite Myriam est bien triste en constatant le nombre de ses erreurs, on voit comment le sourire revient sur son visage lorsque son maître l'aide et l'encourage.

    [1] J’avais écrit OMC… Joli lapsus.

    [2] Comme si 1, 2, 3, 4 et 5 ne permettaient pas d'attendre qu'aient été apprises les correspondances graphophonétiques complexes dont ces mots sont truffés ! Pas étonnant après que d'aucuns croient encore que le français n'est pas une langue alphabétique dont l'enseignement ne peut être rationalisé !

    [3] Plus de raisons d’avoir peur et de se contenter des contenus étiques des méthodes de lecture à la mode ! Roland Goigoux l’a dit maintenant : « C'est comme les Lego. Si vous n'en donnez que 6 ou 7 à un enfant, il ne pourra pas en faire grand chose et se découragera plus vite. Même chose pour la lecture et l'écriture. » Deux à quatre « sons » par semaine, c’est le bon tempo.

    [4] L’an dernier, au troisième trimestre, mes élèves de CE1 me réclamaient sans cesse que je dicte « comme au CE2 », c’est-à-dire sans les aider du tout. Et ils étaient fiers comme Artaban lorsqu’à ces « dictées de CE2 », ils ne faisaient qu’une ou deux fautes. Sauf Danou, le champion incontesté du 20/20 qui ne se satisfaisait que d’un « zéro faute » qui le faisait soupirer d’aise. Ils ont des joies simples à cet âge-là !

    [5] Du temps des 27 heures de classe, ces écrits collectifs pouvaient concerner le français, l’histoire, la géographie et les sciences sous forme de rédaction dirigée par l’enseignant de lettres aux correspondants, de contes collectifs, de résumés et comptes-rendus d’observations, de lectures et d’expériences. Maintenant, il faut faire des choix et il est rare qu’une classe puisse avoir l’opportunité de pratiquer l’ensemble de ces activités ô combien formatrices et facilitatrices pour chacun de ses membres… C’est une époque révolue où le temps ne comptait pas et où, en pédagogie, on pratiquait plus volontiers le Carpe Diem que le Time Is Money…


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  • Formation en écriture
    © Gelsomina

    Apprendre à écrire aux enfants, ça s'apprend. Pour les collègues que ça intéresserait, Laurence Pierson propose deux formations, une pour toute l'école primaire, de la TPS au CM2, et l'autre spécifique à la maternelle.
    Qu'on se le dise ! 

    Formation pour les enseignants du Primaire

    Vous pouvez y aller les yeux fermés mais n'oubliez pas de les rouvrir lorsque vous serez installés dans la salle, ce serait dommage de ne pas voir.

     


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  • Lire, c'est vraiment simple !
    Merci à Sophie Borgnet pour son illustration.

    Ce matin, je lis ça : Étude sur "lire et écrire" : Les élèves de CP doivent davantage travailler la compréhension." !  Autant vous dire que je bondis toutes les trois lignes...

    Trois ans d'enquête pour déduire ce que sait n'importe quel instit de CP dont les élèves commencent à "tout déchiffrer" à la rentrée des vacances de Toussaint et saoulent leurs familles et leur instit' avec leurs questions :

    - Maman, sur le paquet de biscuits, y'a écrit "par - ti - ellement dé-chu- ilé". Qu'est ce que ça veut dire "partie, elle ment ; déchu, il est" ?

    - Maîtresse, on s'est trompés. Chloé, elle s'appelle Chhhhhhh-lo-é, pas Kloé !

    - Papa, on a pas le droit de passer par là ! C'est écrit là, regarde : "Pelouse interdite" ! Viens vite, papa, je veux pas y aller ! C'est écrit, je te dis !

    Il aurait suffi de leur demander... Pour les trouver, c'était encore plus simple. Une petite annonce dans les écoles : "Recherchons classes de CE1 dont tous les élèves sont lecteurs deux semaines après la rentrée de septembre."
    Les deux semaines, c'est pour ceux qui n'ont pas ouvert un livre de tout l'été. Quand ils reviennent, parfois, ils nous font très peur. Et, devant le premier texte de l'année scolaire, on les voit hésiter, ânonner, se reprendre...

    -Vo... non... voi... ki... voiki... euh... voici... la... ma... mi... mai... çon... maison... pu... cu... que... Pire... pi...ré... pierre... a...  da... tie... dati... bâtie...
    - Tu peux nous le relire un peu plus vite maintenant ?
    - Voi... ki... voici... la... mmmm.... maison... pu... Piré... non... que Pierre... a construit...
    - Construite ? Tu es sûr(e) ? Regarde les lettres...
    - Da... Non... ba... ti... bâtie ?
    - Oui, bâtie. Bâtir, c'est comme construire. Tu avais bien compris mais tu n'as pas relu, tu as juste essayé de te souvenir...

    Deux semaines après, c'est revenu et même s'ils ne lisent pas encore aussi bien qu'un élève de collège, ce qu'ils lisent est clairement compréhensible des autres et d'eux-mêmes. Fin de la digression (n° 1 ?).

    Donc, on récupère quelques centaines de classes correspondant à ce profil. On en trouvera partout, de plus en plus. Il y en aurait plus sans l'acharnement de certains à nier l'évidence, mais bon...
    Et là, on s'intéresse non pas à l'année de CE1 qui commence, non pas à l'origine sociale des enfants qui peuplent ces classes... La couleur de peau, d'yeux, de cheveux, la consonance du prénom, du nom de famille, le métier ou l'absence de métier des parents, tout ça n'a pas grand-chose à voir avec l'apprentissage premier de la lecture. Le malheur, oui, sans aucune contestation possible.
    L'enfant malheureux, abandonné, laissé pour compte, rejeté, mal aimé, qu'il soit habillé en Cyrillus, Tartine et Chocolat, Kiabi, Intertextile ou en Emmaüs, oui, là, ça a à voir. Beaucoup, énormément, hélas. Et le maître aura beau eu se décarcasser, il n'est pas sûr qu'il y arrive, même avec toute la bonne volonté du monde. Heureusement toutefois qu'il suffit à cet enfant d'une lueur d'espoir aperçue au fond du puits noir pour qu'il ne soit plus si malheureux, si rejeté, si perdu... Et là, il apprend. Toujours. Fin de la digression n° 2.

    Donc, on va s'occuper... de l'année précédente, celle du CP. On va demander aux enseignants qui ont eu ces enfants lecteurs :
    - quelle méthode ils ont employée (nom du manuel ou absence de manuel ; fidélité à la progression de ce manuel, rajouts éventuels)
    - le temps consacré chaque jour à la lecture et à l'écriture
    - l'emploi de ce temps (découverte, langage oral, observation de l'écrit, écriture manuscrite, entraînement oral, entraînement écrit, contacts avec la littérature de jeunesse)
    - la progression dans l'année (quantité d'écrit, pourcentage de nouveautés, autonomie en lecture, en écriture)

    Et alors... bizarrement... on découvrira que... il est important de...

    faire des dictées mais pas trop, favoriser la lecture orale en classe mais sans excès, travailler la correspondance phonèmes-graphèmes mais pas seulement, enrichir le lexique mais cela ne suffit pas…

    Eh bien non, gros malins, ça ne suffit pas ! Étonnant, non ? Ce qui suffit, en revanche, c'est de faire un peu de tout ça, chaque jour, par petites touches de 20 à 30 minutes, pendant 1 h à 1 h 30 et tout. Garanti ! Effet immédiat !
    Le temps restant (30 à 60 minutes) étant occupé par l'apprentissage du geste d'écriture, la copie, l'utilisation autonome de l'écrit (exercices d'application et rédaction) et le dialogue entre enfants et entre enfants et enseignant au sujet du sens de ce qu'ils viennent de lire ou qu'on vient de leur lire.
    Faut pas être grand clerc pour savoir faire ça, quand même !

    C'est ce qu'on nous dit un peu plus bas, et que tout instit de maternelle, de CP ou des classes supérieures ferait instinctivement, si on ne lui avait pas rempli la tête de tout un tas de fadaises sur le comportement de lecteur, le statut de lecteur-expert, le droit à vivre individuellement le plaisir de lire et autres se laisser bercer par la musicalité de l'écrit :

    Pour qu’un enfant sache réellement lire en fin de CP, [...], il ne suffit pas qu’il maîtrise le code, c’est-à-dire la correspondance des lettres et des sons, et qu’il sache déchiffrer des phrases simples. Encore faut-il qu’il comprenne un texte contenant des implicites.

    Noooooon ? C'est pô vrai ? En voilà une nouvelle ! Reprenons nos instits de CP et demandons-leur... Comment ont-ils fait, eux, pour que leurs élèves soient tous lecteurs-déchiffreurs-compreneurs à l'aube du CE1 ?

    Toujours une fois passées ces deux petites semaines de ré-acclimatation à la chose scolaire. Parce que là, le côté du périph' a nettement à voir... Surtout si, en maternelle - parce que je l'apprends peut-être aux rédacteurs de l'enquête ou de l'article qui croient que l'enfant arrive au CP après  6 ans passés à la maison, les enfants qui entrent au CP ont entre trois et quatre ans d'école derrière eux - l'école était très imprégnée par les fadaises ci-dessus et avait utilisé des outils étranges pour remédier aux carences lexicales de ses chers apprenants... Il existe hélas des milieux où, encore une fois quelle que soit la couleur de la peau, des yeux et des cheveux, on ne parle pas aux enfants, on ne les écoute pas quand ils parlent, on ne leur pose jamais une seule question et on ne répond jamais aux leurs.
    Ceux-là auront vraiment besoin de ces quinze jours, parfois plus, et cela recommencera à chaque retour de vacances scolaires (d'où la bêtise des deux semaines d'arrêt à la mi-octobre, au moment où cela démarrait enfin et où tout était lancé), sachant que la coupure la moins néfaste, c'est bizarrement celle d'été, sans doute parce qu'elle a permis par sa longueur que les acquis décantent, que les enfants mènent d'autres projets, grandissent, se reprennent. Fin de la digression n°3.

    Ces maîtres de "CP-efficace" vous diront tous la même chose :

    I) Dès les premiers mots de lecture, que ce soit "Lolo a lu", "Tu as vu le chat ? Il chasse." ou "Bonjour ! Aujourd'hui, je rentre au CP.", ils obligent, oui carrément, ils obligent leurs élèves à faire marcher leur comprenette !

    - Qui a lu ? Qui cela peut-il être, ce Lolo ? Qui peut me dire ce que Lolo a fait ? Qu'a-t-il bien pu lire à votre avis ? Pourquoi a-t-il lu ? 

    - Et vous, l'avez-vous vu, ce chat ? Que chasse-t-il ? Pourquoi les chats chassent-ils, le savez-vous ? Que chassent-ils d'autre que des oiseaux ? Pour eux, est-ce "méchant" ? Qu'en pensez-vous ?

    - Qui est ce "je" dont nous avons parlé ? Qu'aurions-nous pu dire d'autres ? On rentre... oui. Ou alors ? Comment dit-on dans les livres ? Dit-on "On" ?... "Nous", voilà... Qui peut me faire des phrases qui commencent par "Je", nous allons jouer à les transformer en les commençant par "Nous"... "Je déjeune le matin.", très bien... Alors, comment allons-nous dire ? Nous.... ? Oui... Et maintenant, pourquoi entrez-vous au CP ? Qu'allez-vous y faire ? Pourquoi avez-vous changé d'école ? Qu'est-ce qui sera différent à votre avis ?...

    Tisser des liens entre ce qu'on lit noir sur blanc et l'imaginaire qui peut, ou pas, en découler dès que les enfants lisent trois mots, c'est ainsi qu'on fabrique un projet de lecteur et non pas en passant trois semaines après la rentrée à se demander ce qu'on va bien pouvoir faire pour devenir lecteur.

    Cela se fait dès les premiers jours de CP, même dans les classes "syllabique pure et dure" qui consacrent la première semaine à découvrir puis reconnaître les voyelles. L'exemple de Lolo a lu pour si peu riche qu'il semble permet finalement un recours à l'implicite bien plus grand que celui de Bonjour. Aujourd'hui je rentre au CP. qui finalement dit tout et n'ouvre le champ à aucune investigation du côté de l'imaginaire...

    Et cela se poursuit tout au long de l'année, à chaque fois que les élèves lisent, écrivent, discutent. Car bien entendu, ces maîtres-là ne segmentent pas. Cette réflexion qu'ils font mener à leurs élèves sur le livre de lecture ou les écrits qu'ils concoctent avec eux, ils la généralisent à toute leur pédagogie.
    C'est pourquoi ils se sentent bien dépités lorsqu'au détour d'une phrase, sur un rapport d'inspection ou pendant une animation pédagogique, ils lisent ou entendent : "Quant aux enjeux de compréhension, ils gagnent à être traités de façon ordonnée et distincte du déchiffrage pour conserver la fluidité de la lecture et la concentration des élèves."

    II) Eux, ils intègrent la compréhension à tous les moments de la vie scolaire, sciemment, volontairement, avec constance et application, pour appuyer la concentration sur du vrai, du solide, du réfléchi, du compris.
    L'ordre naîtra ensuite, dans d'autres niveaux, lorsqu'il s'agira de traiter de l'orthographe, du style littéraire, du registre de langue, des procédés d'écriture, de toutes ces choses que les enfants commencent à découvrir, comme M. Jourdain, sans le savoir.

    - De toute façon, il ne faut pas avoir peur, parce que les contes, ça finit toujours bien, hein, maîtresse ? Alors, La Chèvre de Monsieur Seguin, c'est pas un conte puisque ça finit mal. Et la Petite Sirène aussi, c'est pas un conte. La Petite Sirène, la vraie, hein ? Celle que tu nous as lue. De Truc Andersen, là... Ah oui... Hans Christian... C'est dur à dire.

    - Si haut qu'elle peut monter, ça veut dire qu'elle est montée tout en haut . On peut dire "si fort qu'elle peut pleurer", aussi. Ou alors "si étrange que ça peut être"... Ou... "si bête qu'il peut rien comprendre quand on parle" !!!

    - C'est marrant parce que, quand on dit le métier de quelqu'un, c'est comme pour le métier des arbres... Ça finit par IER. Un pâtissier, un pommier, un cerisier, un pompier... C'est tout IER. C'est peut-être parce qu'ils fabriquent des trucs, non ? Des pommes, des cerises, des pâtisseries, des... Ah ben non, ça marche pas... les pompiers, y fabriquent pas des pompes, ils les utilisent pour enlever l'eau dans les caves ! Oui mais, c'est un peu pareil, peut-être, quand même, non ?

    - Dans les cahiers de maths, y'a jamais d'histoires. Les problèmes, c'est des histoires mais pas des vraies avec une fin. C'est juste pour chercher un truc. Après, on nous dit jamais ce qu'il a fait avec les billes ou le chocolat ou tout ça, quoi... C'est juste pour ça, pour qu'on compte, quoi.

    - En fait, je sais pourquoi Djeïzonne, il court plus vite que nous. T'as vu, il est tout sec. Il a que des muscles et des os. Et puis, quand il court, il fait comme ça avec sa bouche et son nez. On voit qu'il veut que gagner, toujours. C'est pour ça qu'il court plus vite que nous.

    - Les Romains, ils voulaient se déplacer vite et aller loin. C'est pour ça qu'ils ont fait des grandes routes avec des pavés. C'est pour aller vite et loin. Les Gaulois, ils s'en fichaient puisqu'ils habitaient là et qu'ils avaient leur village et les villages d'à côté. Ils ne voulaient pas forcément aller vite et loin, alors leurs chemins leur suffisaient, je crois.

    - J'ai compris, maîtresse, pourquoi tu veux qu'on mette les cartables au fond de la classe, sous la table de l'ordinateur. C'est parce que comme ça, on a plus de place pour marcher. Et puis, quand on fait de l'argile ou de la peinture, on en fait tomber par terre. Alors, s'il y avait les cartables, ça les salirait et on se ferait engueuler par notre mère après. Oui... Gronder... Je me suis trompée, bon, ça va, hein.

    Alors, même si au départ ses élèves n'étaient pas portés à la réflexion, ils s'y mettent. Pour des sujets futiles sans doute, des histoires de cartables, de muscles de Djeïzonne, de billes perdues à la récréation qui ont bien plus d'importance que celles que Pierre a gagnées dans son livre de maths et dont on ne sait pas ce qu'il va faire ensuite... 
    Cela intègre l'EMC que tous les enseignants ont toujours fait dans leurs classes, bien obligés parce que la vie en collectivité, ça s'apprend, ça se cultive, ça se peaufine, ça s'améliore quand on a compris que tout est lié, tout est dans tout.
    Le maître sait que c'est dans cette apparente désorganisation de départ que tout va naître. Lorsque tout à coup, au détour d'un mot déchiffré avec difficulté, il arrête tout parce qu'il sait que c'est parce qu'il est inconnu que ce mot a été si mal lu, il le fait parce qu'il va trouver la matière à travailler l'implicite. Et cela, il le reproduira sans arrêt, à longueur de journée et donner à ses élèves ce projet de lecteur-scripteur-compreneur-interrogateur-chercheur-découvreur-réfléchisseur ! 

    Ce qui nous amène à son troisième point : la Culture...

    III) La Culture classique, humaniste, scientifique, tout ce que vous voulez...
    Parce que, là-bas, de l'autre côté du périph' culturel, au fin fond de nos belles provinces, dans les poulaillers d'acajou, partout, même là où on ne s'y attend pas du tout, on ne cause pas, monsieur, on ne cause pas...
    Et que pour un Louis-Thaddée qui a passé son dernier week-end sur les routes de Bourgogne, à la recherche des abbayes cisterciennes et ses dernières vacances à vélo dans le Val de Loire, de château en château, ou pour une Olympie qui a fréquenté l'Observatoire de Haute Provence, puis le Musée de la Préhistoire de Vinon sur Verdon, puis encore une distillerie de lavandes et un élevage de chèvres angora, il y a vingt-quatre, vingt-cinq, vingt-six Hugo, Emma, Dylan, Rayan, Sofia, Gabriel, Alissonne, Fatima et autres qui, eux, auront juste regardé Fort Boyard et fait des barbec'parties au bas des tours ou du lotissement...

    Et la compréhension de l'implicite de Fort Boyard et des barbec'parties, ça offre beaucoup moins d'horizons fertiles dans l'exercice du savoir-lire que l'éclectisme des abbayes cisterciennes, des châteaux de la Loire, des observatoires de Haute Provence et d'ailleurs, des distilleries de lavandes, des élevages de chèvres, des ports de pêche, des sommets enneigés, des petites librairies coopératives gérées par une vieille dame un peu baba cool mais tellement sympathique et de tout le reste.
    Alors, même s'ils savent qu'ils ne pourront les emmener voir tout cela, les maîtres qui réussissent à apprendre à lire à tous leurs élèves, sauf cas très exceptionnel,  se débrouillent pour leur donner accès à tout ça quand même.

    Chaque jour, ils leur lisent un extrait de conte ou de récit, en s'interrompant dès qu'ils sentent que l'un décroche car il lui manque trop de mots pour suivre. Chaque jour, il leur propose à observer une image d'Histoire, une photo de lieu, un objet, un fruit, une plante, un animal à observer, utiliser, manipuler. Chaque jour, ils leur font écouter de la musique, observer des œuvres d'art, même celles dont ils savent qu'ils ne pourront pas les faire reproduire dans un "À la manière de..." qui décorerait les murs de leurs classes.
    Il les ouvre culturellement par petites touches comme il leur apprend à déchiffrer ou à comprendre. Pas à pas, selon une méthode naturelle, familière, toujours ouverte à de nouveaux progrès, toujours susceptibles de se compléter et de se réformer (P. Kergomard, Organisation et Fonctionnement des Écoles Maternelles et des Classes Enfantines, 18 janvier 1887) .

    Et c'est ainsi que, l'air de rien, sans grands secrets bien gardés, sans remédiations coûteuses à base de maîtres supplémentaires, mais aussi sans défaitisme sociologique, ils arrivent à sortir tous leurs élèves du désespoir des déterminismes sociaux, contrairement aux conclusions de cette enquête :

    Quant à l’impact pédagogique, les chercheurs l’évaluent à 11% pour expliquer la progression en écriture et à moins de 5% pour la compréhension des textes. «La compréhension est plus culturelle et dépend du contexte social, explique Roland Goigoux, il est difficile de compenser en un an les six ans passés dans le milieu familial. »

    Car bien sûr qu'il y a impact pédagogique. Même qu'il y en aurait encore plus si la Maternelle acceptait de jouer son rôle de boucheur de fossé culturel, d'effaceur de déterminismes sociaux, de releveur de défis sociaux au lieu de se contenter de copier au plus près la misère culturelle sous prétexte de se faire comprendre.

    Et tout irait encore mieux après cette Maternelle et ce CP riches en stimulations intellectuelles et en références culturelles, accentuant leur penchant à pourvoir leurs élèves des codes nécessaires à l'exercice autonome de la lecture et de l'écriture, si l'effort si bien débuté pour que chacun lise et écrive correctement, en comprenant ce qu'il lit et écrit et en utilisant les codes communs (orthographe, syntaxe, lexique) était poursuivi par davantage de lectures, davantage d'explications, davantage de pratiques efficaces et davantage d'ambition pour tous les élèves, même ceux qui seraient nés du mauvais côté du périph', pendant au moins toute la scolarité élémentaire !

    Et pour cela, je n'hésite pas à dire que je suis  tout à fait d'accord avec ce que j'ai souligné dans cette citation en fin d'article : 

    « Les méthodes ne sont sans doute pas l’essentiel, a conclu Michel Lussault, l’important est plutôt l’outillage des enseignants. Un professeur bien outillé, bien formé et bien accompagné va bien fonctionner. Loin de clore les discussions, cette recherche les relance et permet de sortir des débats d’arrière cours. L’un des problèmes de l’éducation nationale est que l’on ne débat pas assez de pratiques».

    Dont actes, messieurs. Laissez-nous aussi participer à l'effort de formation, d'outillage, d'accompagnement que vous appelez de vos vœux.

     


    6 commentaires
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    Formation initiale et continue
    Merci à Sophie Borgnet pour son illustration.

    Voici la lettre que j'ai envoyée, accompagnée de l'ouvrage Pour une Maternelle du XXIe Siècle, à mon ancien IEN. Pour l'instant, il n'a pas encore eu le temps de me répondre mais j'ai bon espoir qu'il le fasse.
    Si toutefois d'autres IEN, DASEN et formateurs en ESPÉ fréquentent ce blog et sont intéressés par cette offre d'échanges pédagogiques, sachez que nous sommes partants pour étudier vos propositions.

    Catherine Huby
    Site internet : http://doublecasquette3.eklablog.com/

    VXXXXXXXXX, le 01/09/2015

    À M. l’Inspecteur de l’Éducation Nationale, NXXXX.

    Monsieur l’Inspecteur,

    Je profite de ces premiers jours de retraite pour vous souhaiter une bonne rentrée et une excellente année scolaire 2015/2016.

    Je me permets à cette occasion de vous offrir mon dernier livre, Pour une Maternelle du XXIe Siècle. En cette année de refondation des programmes de cette vénérable institution, j’ose espérer que cet ouvrage retiendra votre attention.

    En effet, remettant à l’honneur le jeu libre et l’expression sous toutes ses formes pour accompagner le développement physique, sensoriel et cognitif des enfants, valorisant avant tout l’oral et le vécu commun, évitant toute primarisation, rejetant résolument toute évaluation normative et n’introduisant les savoirs savants qu’en toute fin de parcours, toujours par le biais du jeu, de l’expression et de l’effort librement consenti, il me semble qu’il peut constituer une piste de réflexion intéressante pour qui souhaite faire de cette Refondation de l’École un véritable tremplin vers la réussite de tous.

    Par ailleurs, je suis heureuse et fière de vous annoncer que Mme la Ministre de l’Éducation Nationale a accordé sa confiance à l’association dans laquelle je milite en lui octroyant d’une subvention conforme à ses attentes.

    Nous avons bon espoir que cet aval s’accompagne rapidement d’un encouragement à intervenir dans le cadre de la formation initiale et continue des professeurs.

    Je vous renouvelle donc la proposition que je vous avais faite en juin 2014 d’intervenir de manière formelle ou informelle dans le cadre de la formation continue. Mes thèmes de prédilection sont, vous vous en doutez, « Découverte liée de l’écriture et de la lecture ; son et sens : un couple indissociable », « Jeux et expression libres, vecteurs de l’apprentissage en maternelle : de l’enfant à l’écolier » ou encore « Comptage et calcul : du jeu moteur à la résolution de problèmes de la GS au CP ». Mais je peux aussi élargir mon propos aux autres niveaux et domaines de l’École Primaire.

    Espérant que mes propositions retiendront votre attention, je vous prie d’accepter, Monsieur l’Inspecteur, mes sincères salutations.

    Catherine HUBY                 

    La balle est dans votre camp, Mesdames et Messieurs. Nous serons ravis de vous la renvoyer si, comme notre Ministre de tutelle, vous nous accordez votre confiance.


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